Mémoires d'Aioros, chevalier d'Or du signe du Sagittaire. J'avais exactement sept ans quand mes parents sont morts, alors qu'Aiolia venait juste de naître. Je me retrouvais seul et sans plus personne sur qui compter, car ils n'étaient malheureusement pourvus ni l'un ni l'autre, de parents proches suceptibles de nous élever. Jamais je n'avais envisagé que mon enfance tournerait de cette façon. Et jamais je n'avais cru possible ce qui allait m'arriver par la suite. Je me souviens qu'ils m'avaient laissé à la maison avec mon petit frère afin que je puisse m'en occuper pendant qu'ils sortaient s'amuser un peu, ce qui ne leur arrivait pas très souvent, notre pauvreté nous en empêchant. Ma mère m'avait embrassé sur le front avec toute la tendresse et la douceur qu'elle me prodiguait depuis toujours et mon père s'était contenté de poser sa main sur ma tête en me recommandant d'être bien sage. Et puis, ils étaient partis. Seulement, à aucun instant je n'avais jamais envisagé ne plus les revoir après ce moment. Je m'étais imaginé qu'ils rentreraient un peu tard, que je leur raconterai rapidement comment ma soirée s'était passée avec Aiolia et que j'aurais ensuite été me coucher. Cela aurait d'ailleurs dû se passer ainsi...mais pas cette fois-ci puisque le destin avait décidé d'agir et de laisser son empreinte dans mon existence. Je me rapelle comme j'avais les yeux rivés sur la pendule du salon alors que le temps s'égrenait et que mon estomac se nouait pendant que les aiguilles ne cessaient de se déplacer sur le cadran, comme pour se moquer de moi et me dire que quelque chose de grave était arrivé. Etrangement, j'en avais eu le présentiment depuis que mes parents étaient montés dans leur voiture pour aller au restaurant. J'avais comme reçu un appel de ce sixième sens que je ne connaissais guère mais dont je me servai malgré tout. Je leur avais fait signe par la fenêtre, alors que le véhicule s'éloignait et que je n'avais pas l'esprit tranquille de les savoir parti par cette nuit étoilée. J'ai d'ailleurs levé les yeux vers toutes les constellations qui mouchetaient la voûte célèste en me disant qu'il était bien reconnu que nulle part ailleurs qu'en Grèce, les cieux sont aussi beaux. Et puis, j'étais retourné m'asseoir sur le canapé, en installant le berceau ou Aiolia reposait silencieusement près de moi, et j'avais attendu. Tout d'abord, je n'avais senti qu'un curieux malaise, mais peu à peu, je m'étais mis à éprouver une peur latente puis une véritable angoisse. J'avais passé ma soirée à regarder des livres d'images que j'avais dans ma bibliothèque et que ma mère adorait m'acheter dès qu'elle avait un peu d'argent de côté. Quand j'y repense, je ne peux m'empêcher de me dire qu'ils étaient de bons parents et qu'Aiolia aurait vraiment mérité de les connaître. Il les aurait aimé, c'est certain, car comment un enfant pourrait-il ne pas apprécier ses parents, du moins quand ils sont comme les miens? Nous vivions dans une maison vétuste et éloignée de la ville d'Athènes, et je pense que c'est pour cette raison que l'on mit tant de temps à me prévenir du drame qui me touchait soudainement, sans prévenir. Je me rappelle que lorsque je vis des policiers arriver, je n'ai pas eu peur, pas plus que je n'ai été surpris car je m'attendais à une visite de ce genre depuis le départ. Ou plutôt depuis leur départ. Malgré tout, je n'ai pas pu empêcher mon coeur de se mettre à battre plus vite et ma respiration de devenir plus courte, plus difficile. En allant ouvrir la porte, j'ai jeté un coup d'oeil à Aiolia pour me donner de la force car ce petit frère, que je ne connaissais que depuis quelques semaines, allait devenir mon meilleur soutien et l'était déjà d'une certaine façon. J'ai inspiré profondément en tournant la poignet, et je les ai vu, le visage grave, la mine sévère et pourtant, avec cette lueur de compassion au fond des yeux qui me prouvaient qu'ils regrettaient plus que tout ce qu'ils avaient à faire. Ils me l'ont annoncé très doucement, prenant le temps de me faire asseoir, de me ménager, mais sans faire de détour, pour ne pas me faire souffrir inutilement et trop longtemps. De toute manière j'avais déjà compris, je n'étais pas idiot et je l'avais senti depuis l'instant ou j'avais posé le pied par terre ce matin-là. La mort est l'une de ces choses que l'on ressent avant même de s'y trouver confronté car sa présence est là, stagnante, bien avant qu'elle ne nous frappe de sa faux et nous emmène avec elle. J'ai des frissons rien qu'en songeant à cela, car je n'aime pas y penser, cela me met mal à l'aise et je crois que les vivants doivent uniquement songer au présent et laisser les ombres du passé en paix. C'est du moins mon avis, et ce depuis ce fameux jour ou j'ai perdu tout ce qui avait constitué mon existence jusqu'alors. Ils étaient morts dans un accident de voiture, pour une mystérieuse raison leur véhicule avait soudainement quitté la route et était tombé dans l'un de ces immenses ravins qui échellonnent tout le territoire de cette partie de la Grèce. Ils avaient dû perdre le contrôle du véhicule sans s'en appercevoir et avaient perdu la vie sur le coup, c'est du moins ce que les policiers me racontèrent pour apaiser ma souffrance. Mais cela n'y faisait rien car je voyais peu à peu mon avenir se peindre sous mes yeux. Les assistantes sociales, les orphelinats, encore tout cela, j'aurais aisément pu le supporter car j'étais déjà doté d'un caractère très fort, mais je comprenais que l'on allait essayer de me séparer d'Aiolia et cela, je ne le voulais pas. Il était encore mon seul lien avec mes parents, ma seule attache avec cette existence que je venais juste de voir se briser sous mes yeux. Mais si j'avais déjà compris cela, si j'avais déjà assimilé le fait que l'on ne nous laisserait jamais continuer à vivre ensemble, je ne savais par contre pas comment faire pour me sortir de pareille situation. Mes parents n'avaient jamais envisagé de mourir, car, comme tous les êtes humains, ils se croyaient pratiquement intouchables, ce qui est somme toute naturelle car nul ne peut s'imaginer ce qui existe dans ce monde de l'au-délà que seuls très peu d'hommes connaissent. Ils ne m'avaient donc jamais donné de consignes, d'ordres sur la manière dont je devrais me comporter s'ils venaient à disparaître. Dans ma vie, je n'avais jusqu'alors jamais pris aucune décision importante. Mais ce jour-là, je me retrouvais face à un choix que je devais faire rapidement, avant que les policiers ne m'emmènent. Je n'avais que six ans, et ce n'est guère un âge ou l'on n'est sensé être capable de choisir son avenir et son destin, sauf en cas d'extrême urgence, comme celui ou je me trouvais. Je me suis levé doucement du canapé et je leur ai demandé de me laisser un peu de temps pour préparer une valise avant de les suivre afin prendre les affaires d'Aiolia. Ils ont acquiescé sans rien dire, sans doute étonné de ne pas voir de larmes maculées mon visage. J'aurais aimé pouvoir leur dire combien j'étais peiné, attéré par ce que se passait, mais je n'avais pas encore le droit de m'épancher librement sur mon chagrin. Avant je devais emmener mon frère, très loin de là, dans un endroit ou nous pourrions grandir l'un près de l'autre sans risque d'être séparé par un nouveau coup du sort. Je n'avais pas la moindre idée d'ou ce lieu se trouvait, s'il était proche ou loin mais je devinais que quelque part sur terre, quelque chose nous attendait et que nous serions reconnaitre ce mystérieux coin lorsque nous le verrions. C'était comme une certitude qui était ancrée au fond de moi, peut-être même plus, c'était comme un appel. Oui, c'était le mot qui convenait le mieux à ce que j'étais entrain de vivre. Mes parents étaient morts et cela me laissait traumatisé, j'avais la tête qui me tournait et j'entendais de curieux bourdonnements à mes oreilles car je ne réalisais pas encore vraiment à quoi allait ressembler mon existence sans eux. Mais malgré le chagrin qui écrasait mon coeur, j'éprouvais autre chose, comme une incontrôlable exhaltation. Je ne savais d'ou elle provenait mais elle était bien présente et me rendait encore plus fébrile que je ne l'étais déjà. J'avais emmené Aiolia dans la pièce ou je préparais un maigre bâluchon, unique souvenir que nous aurions de cette maison ou nous aurions dû grandir comme deux petits garçons normaux, auprès de parents aimants et auquel j'étais si attaché. Mais l'ordre des choses, de la vie, venait soudainement d'être bouleversé et je devais tout faire pour retrouver un semblant de normalité. Je venais de perdre ma mère et mon père. Cette phrase, je ne cessais plus de ma la répéter, tout le temps, comme pour essayer de la retenir, de comprendre ce qu'elle signifiait. Mais je n'arrivais pas à assimiler le fait que je ne verrais plus jamais ma génitrice passée le pas de la porte de ma petite chambre en me souriant. Que je ne verrais plus jamais mon père rire le matin, au petit déjeuner, d'une plaisanterie de sa femme. Que je ne verrais finalement plus jamais ce foyer qui avait constitué pendant six années, ma famille, mon univers, tout ce que j'aimais. Cette terrible nuit, non seulement je perdais mes parents, ce qui était le coup le plus terrible que l'on pouvait m'asséner, mais en plus, je me retrouvais dans l'obligation de quitter mon foyer, de tout abandonner derrière moi. Je balayais alors du regard la pièce dans laquelle je me trouvais. De toute manière, il n'y avait plus d'âme dans cette maison. Le changement qui s'était produit était incroyable. Le matin encore, la demeure respirait la joie, les éclats de rire, la bonne humeur, et maintenant elle ne ressemblait plus qu'à une maison fantôme que tous ses habitants auraient déserté. Ce qui prouve bien que les lieux ne sont jamais que de vulgaires tas de pierres et que se sont les hommes qui les animent et leur insufflent la vie. Je soupirais bruyamment en pensant à cela alors que je jetais mon petit sac sur mon épaule et époignais le couffin d'Aiolia avec force. Je n'avais pas le choix. Je devais partir. Evidemment, j'aurais pu docilement suivre les policiers, les laisser me conduire dans un orphelinat ou je n'aurais pas été à ma place, et regarder des inconnus emporter mon petit frère. Mais c'était cette dernière pensée qui me poussait à prendre la fuite. Entre Aiolia et moi, il y avait quelque chose de bien plus fort qu'un simple amour fraternel. Nous étions réunis par quelque chose dont je n'avais pas encore conscience, mais qui n'avait rien avoir avec nos liens du sang, pourtant déjà très solides. Je ne voulais pas qu'il grandisse loin de moi, je ne voulais pas qu'il n'ait jamais la chance de connaître l'amour d'une famille. Je désirais lui offrir un foyer ou nous aurions été tous les deux, ou je lui aurais appris ce que mes parents m'avaient enseigné, comme la foi en ses proches, en soi-même, tant de valeurs en lesquelles je croyais si fermement. J'ai ouvert la fenêtre et j'ai préféré ne pas me retourner. Cela m'aurait fait trop mal, je le sentais. Je ne voulais pas voir ce qui avait été réduit à l'état de ruines en quelques heures. Ce qui m'arrivait était inconcevable, et je le vivais comme si j'avais été dans un rêve. Le monde, les gens, tout autour de moi me semblait floue, éloigné, les voix me parvenaient comme déformées et je n'arrivais plus qu'à distinguer correctement les étoiles. La maison que j'habitais depuis ma naissance se situait entre de grandes collines rocheuses ou il était facile de se perdre, et c'est pourquoi mes parents m'avaient toujours interdits d'aller me promener trop loin seuls. Mais maintenant c'était différent. Etrangement, je réalisais vraiment qu'ils avaient disparus au moment ou j'empruntais la petite route que je n'avais jamais eu le droit de prendre. Cela me prouvait bien qu'ils n'étaient plus là. Jamais ils ne m'auraient laissé faire cela. -C'est pour Aiolia, murmurai-je à leur adresse, comme s'ils pouvaient m'entendre de l'endroit ou ils se trouvaient à présent. Un curieux frémissement me parcourut. Tout allait si vite, trop vite, j'avais l'impression de perdre le contrôle, de ne plus pouvoir diriger mon existence, de ne plus avoir de prise sur rien. C'était comme si j'avais été entrain de me noyer et que je n'arrivais pas à remonter à la surface. Je me débattais sans parvenir à sortir ma tête hors de l'eau et pourtant j'avais un aspect de calme et de sérénité absolu, comme si je devinais que c'était mon seul moyen de rester encore raccroché à cette vie sur laquelle je n'avais plus aucun contrôle. Je savais que je n'avais pas beaucoup de temps devant moi, que bientôt les policiers entreraient dans ma chambre pour voir ce que j'y faisais car j'étais trop long, qu'ils se mettraient à me chercher et qu'alors, il vaudrait mieux que je me trouve déjà loin. Mais je possédais un avantage sur eux, je connaissais, grâce aux nombreuses promenades que m'avait fait faire mon père, extrêmement bien l'endroit et je pouvais donc utiliser un bon nombre de racourcis dont ils n'imaginaient pas même l'existence. J'essayais de faire le vide dans mon esprit alors que j'avançais dans cette nature déserte dont je me sentais si proche. Au-dessus de ma tête, je ressentais la présence de l'astre de la nuit, et plus encore des étoiles. Grâce à elles, j'avais moins peur de me diriger dans le noir et avec un nourrisson à charge. J'avais l'impression qu'elles me rassuraient, qu'elles me prêtaient de leur force et de leur courage. Je n'avais encore jamais fait preuve d'une témérité hors du commun et ce que j'accomplissais cette nuit me laissait sans voix. J'osais comettre quelque chose que je n'avais encore jamais envisagé. Mais il fallait reconnaître que la situation l'exigeait. Je m'étais acculé contre un mur qui n'était pas pourvu de porte, et il fallait bien que je m'en sorte d'une façon ou d'une autre. Et j'avais employé le seul moyen qui m'avait traversé l'esprit: la fuite. Je ne réalisais pas encore vraiment ce que cela impliquait, mais j'entrevoyais déjà que cela n'allait pas être très facile. De toute manière, tout ce que j'espérais était que personne ne me rattrappe. Je regardais le couffin que je portais serré contre moi et observais mon petit frère quelques secondes, lui promettant intérieurement de ne jamais le laisser et de toujours m'occuper de lui. Je ne voulais pas qu'il connaisse ce que je vivais à cet instant, la douleur de l'abandon, la plus cruelle existante. J'aurais pu m'absorber plus longtemps dans la contemplation d'Aiolia, mais un bruit me fit soudainement relever la tête. Je venais de percevoir un son très puissant, comme si quelque chose d'énorme venait de tomber par terre et de briser le sol de pierre. Je sentis les battements de mon coeur s'accélérer. Depuis combien de temps évoluais-je dans le sombre manteau de la nuit? Trop longtemps, et je n'avais pas assez fait attention à ma route, car je me rendis compte que j'étais perdu. Je ne reconnaissais absolument pas l'endroit ou je me trouvais et je sentais la panique me gagner. Je serrai alors avec plus de force contre moi Aiolia, cherchant à le protéger de dangers dont il n'avait pas même conscience. Des bruits de pas réssonèrent puis un cri, qui, loin de me glacer le sang, me rassura un peu. C'est une exclamation victorieuse qui s'élevait dans l'air, et non pas quelques hurlements barbarres qui m'auraient fait perdre tous mes moyens. -Oui! Il était temps, j'ai cru que je n'y arriverais jamais! Et puis, bien-sûr, il n'y a personne pour voir ça, comme cela, quand je le raconterais demain, il n'y aura pas une seule bonne âme pour le croire. Bah tiens... ça m'aurait étonné que j'ai un peu de chance durant cet entraînement de fou! -C'est gentil de ne pas me considérer comme une personne, merci! Cela fait toujours plaisir d'être ton ami. Des rires retentirent contres les immenses parois des rocheuses qui nous entouraient. Deux personnes s'approchaient de moi, et je me demandais si je devais me cacher ou non. Quelque chose m'intriguait dans ces deux voix qui m'étaient déjà si familières. C'est à cet instant précis qu'ils me remarquèrent et se figèrent sur place. Je ne m'apperçus qu'à ce moment que les deux garçons qui se tenaient en face de moi avaient mon âge. -Eh! Qui es-tu? demanda l'un d'entre eux, celui qui s'était plaint que personne ne saurait ce qu'il avait réussi à accomplir. Tu ne sais donc pas qu'il est interdit de venir par ici? N'est-ce pas Saga? -Ce n'est rien, Fomalhaut, c'est peut-être un des nouveaux disciples qui sont arrivés ce matin. Ils échangèrent un regard plein de complicité et je les regardais, la mine hagarde et sans doute l'air franchement hébété. Tout s'enchaînait trop rapidement, j'avais du mal à suivre ce qui se passait. -Je me nomme Saga, je suis en ce moment un entraînement pour devenir chevalier. Et lui, c'est Fomalhaut, un autre disciple. Tu sais, c'est interdit d'être dans ce coin à une heure aussi avancée de la nuit. Franchement, je te déconseille de rester ici, car si ton maître te surprenait... -Bah... il ferait sûrement comme les nôtres! termina Fomalhaut avant d'éclater de rire avec une bonne humeur presque rafraîchissante. Saga unit bientôt son rire au sien alors que je laissais errer mon regard de l'un à l'autre. Des disciples? Des maîtres? Ou étais-je tombé? De quoi me parlait-on? Je n'avais encore jamais rien entendu de tel. Je parcourus l'obscure paysage du regard pour essayer de comprendre quelque chose à ce qui m'arrivait et trouver une réponse dans les ruines qui nous entouraient. C'est à cet instant que Saga se rendit compte que je ne faisais pas partie du Sanctuaire, sans doute à cause du couffin que je portais serrer contre ma poitrine. Il fronça les sourcils et donna un coup de coude au garçon qu'il avait précedemment nommé Fomalhaut. -Qu'est-ce que tu tiens comme cela? demanda-t-il avec douceur, alors que ses yeux s'attendrissaient en devinant ce que je gardais dans mes bras. -Mon petit frère, murmurais-je de façon presque inaudible. -Tu n'es donc pas du Sanctuaire, enchaîna Saga en se rapprochant de moi pour venir voir le bébé. Fomalhaut le suivait de près et je reculais un peu craintivement d'un pas. Mais leur regard à tous deux étaient si doux, et ils avaient l'air de si bien s'entendre que je ne me sentais pas vraiment menacé par leur présence. Saga passa une main dans le couffin et écarta doucement la couverture qui recouvrait mon frère avant d'effleurer son visage en une fugace caresse comme celle que ma mère avait à mon égard. Il releva ensuite la tête et me fixa des yeux. Je crois que je n'avais jamais recontré de pareil regard avant, si pur, si intense... j'en restais sans voix pendant quelques instants, jusqu'à ce qu'il m'adresse la parole de nouveau en fait. -Comment s'appelle-t-il? interrogea-t-il, alors que Fomalhaut regardait le poupon, comme s'il était intrigué par ce curieuse animal. -Aiolia. Saga eut une moue approbatrice et me sourit ensuite avec gentillesse. Quelque chose de rassurant se dégageait de lui et je remerciais intérieurement le ciel que quelqu'un est mis ce garçon sur ma route. L'autre aussi d'ailleurs, car il semblait aussi agréable à fréquenter. -Moi aussi j'ai un frère. Il se nomme Kanon, c'est mon jumeau, mais il ne vient pratiquement jamais ici, tu sais... Il chassa ces dernières phrases d'un geste de la main alors que Fomalhaut croisait ses bras sur sa poitrine en me déclarant: -Je suppose que tu es perdu. Ou bien, alors, tu ne dois plus avoir nulle part ou aller. Quoi qu'il en soit, tu es au bon endroit et il se peut bien que tu restes plus longtemps que tu ne l'avais prévu. Le Sanctuaire. J'y ai été introduit de cette façon, par une nuit ou j'étais totalement déboussolé, désorienté par l'enchaînement des évènements sur lequel je n'avais plus aucun contrôle. Mais je n'allais jamais regretter, plus tard, que cette errance m'est conduit jusque dans le domaine sacré, ou ma vie allait prendre tout son sens, toute sa justification. Tout au long de mon enfance, j'avais toujours su qu'un destin particulier m'attendait, comme si j'avais déjà conscience que je finirais par devenir l'un des chevaliers d'Athéna et que je devrais consacrer chacun de mes jours, et ce jusqu'au dernier, à servir cette déesse de compassion et le genre humain. J'avais parfois évoqué à mes parents le fait que je ressentais comme un curieux frisson quand je songeais à mon avenir, et, ils avaient vite compris que quelque chose de spécial m'attendait, sans vraiment en savoir plus que moi. Mon père comme ma mère étaient des personnes très mystiques, et ils n'auraient jamais remis en doute ma parole, surtout lorsqu'il était question de ce qu'accomplissait les trois Moires. Et la cruauté du sort, car sans le décès de mes parents rien n'aurait jamais été possible, me montra que j'avais raison. Je n'ai pas mis très longtemps à me faire à ma nouvelle existence dans le Sanctuaire d'Athéna. Evidemment, la présence de mes parents me faisait cruellement défaut, et pendant les premiers mois, je n'ai jamais passé une seule nuit sans rêver d'eux, sans imaginer que peut-être, ils n'étaient pas morts et qu'un jour, ils reviendraient me chercher, vivre avec moi pour me voir grandir et devenir un guerrier mythologique. Je savais que c'était impossible, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'en rêver. Mon entraînement était difficile, voire même invivable certains jours, mais on m'avait appris la tenacité, et enseigné qu'il fallait toujours s'accrocher pour mener à bien ce que l'on avait commencé. Je n'étais pas de la race de ceux qui abandonnent et c'est bien pour cela que j'avais le droit de concourir pour obtenir une armure d'or. Je me rappelle encore parfaitement du jour ou l'on m'a présenté au Grand Pope. J'étais terriblement impressioné, et j'avais Aiolia dans mes bras. Cet homme me terrifiait, autant par les vêtements qu'il portait, sa haute stature, que par le rôle qu'il occupait dans la hiérarchie du domaine sacré ou je devais à présent vivre. J'avais affaire au représentant terrestre de la déesse Athéna, et ce n'était pas rien. Il se trouvait sans doute être l'un des hommes les plus proches des dieux, et je me sentais petit, aussi bien en taille qu'en savoir, à côté de lui. Pourtant, à aucun moment il ne m'a mis mal à l'aise, il n'a essayé de m'humilier ou de m'écraser sous son autorité, et bien au contraire, il s'est tout de suite intéressé à mon histoire. Il était la bonté incarnée, je m'en rendis compte lorsqu'il commença à me poser des questions à propos d'Aiolia et de mon passé. Il me traitait d'égale à égale, et non pas comme si je n'étais qu'un simple enfant que l'on ne doit pas prendre en considération. Il connaissait la valeur de chaque personne, et c'est sans doute en partie pour cela qu'il avait été choisi pour tenir le rôle de Grand Pope. A un instant, il m'a toisé de la tête aux pieds, je ne voyais pas son visage à cause du casque qu'il portait, mais j'avais involontairement deviné son expression. Il évaluait mes capacités de combattant, et cherchait probablement ce qu'il pourrait bien faire de moi... et apparement, à mon plus grand soulagement, je ne l'ai pas déçu. Il m'a expliqué qu'il voyait un très grand potentiel en ma personne, que je pouvais facilement devenir un chevalier d'exception, et qu'il me suffisait d'ouvrir mon coeur à la justice et mon âme au cosmos. Et c'est bien évidemment ce que j'ai fait, en le prenant pour modèle. J'aimais le voir passer dans les ruines qui composaient les alentours du Sanctuaire et ou je venais souvent observer les étoiles la nuit, avec Saga et Fomalhaut. J'aurais aimé lui ressembler, avoir cet amour des hommes, cette même gentillesse à l'égard de tous, et je m'évertuais à devenir ce qu'il souhaitait me voir être. Je jetais toutes mes forces dans mon entraînement, sans commis mesure, et ne cherchais jamais à m'épargner lorsqu'il était question de travail. Et je n'étais pas le seul à penser ainsi. Fomalhaut faisait tout ce qui était en son pouvoir pour devenir un guerrier brave, et on lui avait découvert une redoutable intelligence lorsqu'il était question d'apprendre des langues, anciennes ou modernes. Il étudiait donc aussi bien les guerres saintes, que l'anglais, le français, l'espagnol ou le suédois. Il désirait devenir le chevalier du Poisson Austral, et j'étais persuadé qu'il y arriverait étant donné tout le mal qu'il se donnait pour cela. Personne d'autre que lui ne méritait autant cette armure, je n'avais de cesse de lui dire, tout comme il me répétait à l'envie que j'étais assurément le chevalier du Sagittaire. Mais le meilleur d'entre nous était, à n'en pas douter une seule seconde, et nous étions, Fomalhaut et moi, d'accord sur ce point, Saga. Non seulement, il était pourvu d'une force physique supérieure à la nôtre car il avait un potentiel encore plus étendu, mais en plus, il était la personne la plus pure que l'on pouvait rencontrer dans tout le Sanctuaire. Autant je voulais devenir semblable au Grand Pope, autant Saga était né semblable. Il avait un coeur en or, une façon d'être avec les gens douce et aimante et des yeux si innocents que nulle n'aurait été capable de mettre sa parole en doute, surtout qu'il ne mentait jamais. Mais je ne l'enviais pas, non, au contraire, je l'admirais. Il était l'un de mes meilleurs amis, au même titre que Fomalhaut et je les appréciais sans vouloir ternir les liens qui nous unissaient par de quelconques sentiments de jalousie ou d'envie. Si je me sentais très proches d'eux, il y avait pourtant bien une autre personne, qui retenait encore plus mon attention, avec qui je marchais encore plus souvent lorsque j'avais du temps libre, avec qui je discutais jusqu'à ne plus avoir de voix. Il s'appelait Shura et il était arrivé d'Espagne. C'était un chevalier du nom de Orphée qui l'avait ramené au Sanctuaire et j'avais tout de suite compris que ce garçon de quatre ans plus jeune que moi était lui aussi destiné à devenir un chevalier à la puissance hors du commun. Evidemment, j'étais plus âgé, mais cela ne nous empêchait pas d'avoir d'interminables conversations sur Athéna et des débats philosophiques encore plus passionants sur notre vision des choses. Je voyais le monde qui nous entourait comme la promesse d'un avenir meilleur, l'espoir que l'humanité ne formerait plus qu'un ne cessait de m'habiter. Shura, pour sa part, songeait aux mêmes utopies, mais ne cessait de me répéter qu'avant que l'on ne puisse voir cela se produire, il nous faudrait débarasser le monde de tous les personnages vils qui le saccageaient. En ce sens, il n'avait pas tort, et je devais avouer, malgré ma nature idéaliste, que beaucoup d'hommes n'ont pas le coeur pur, mais je ne pouvais me résoudre, comme il le faisait, à pouvoir les juger ou à vouloir les châtier. Pourtant, malgré nos différentes façons de voir, jamais notre amitié n'a été remis en cause, bien au contraire, elle devenait de plus en plus solide au fil des semaines, des mois et des années qui passaient sans même que nous nous en rendions compte. Shura était comme mon frère, au même titre qu'Aiolia, que je voyais grandir avec émerveillement au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Il allait devenir le chevalier du Capricorne, sa tenacité et sa foi en lui-même était trop absolue pour qu'il échouât. Il était né pour être l"un des plus fidèles serviteurs d'Athéna, titre qu'il revendiquait d'ailleurs dès que cela lui était possible, et que je m'amusais à lui châmailler. Je me rappelle des nuits, lorsque nous n'avions pas à nous entraîner, que nous passions à nous disputer en jouant à répondre à des questions telles que : qui est le plus apte à servir Athéna? Qui aime le plus la déesse? Et nous étions, durant ces moments, bien près de ressembler à des gamins comme les autres qui se disputaient pour un rien. Shura était l'ami dont j'avais toujours rêvé, le compagnon dont je ne me séparais jamais, même après que nous ayons reçu notre armure. J'avais obtenu celle du Sagittaire à peine deux ans après mon arrivée au Sanctuaire, à l'âge de huit ans, car j'avais été extrêmement travailleur. Shura, qui était arrivé plus jeune, n'avait mis que quatre années à revêtir le vêtement de protection du signe du Capricorne. Cela avait été pour nous une véritable consécration, une manière de nous prouver que nous étions bel et bien des chevaliers d'Athéna, ses fidèles serviteurs, et ses combattants les plus acharnés. Saga reçut la même année que moi son armure des Gémeaux, tout comme Fomalhaut celle du Poisson Austral. Et nous formions, à nous quatre, un groupe indissociable dans la petite société qu'était le Sanctuaire. Je me souviens qu'après avoir reçu mon armure en récompense des incessants efforts que j'avais accompli, j'avais été demandé la permission au Grand Pope de devenir le maître de mon petit frère, Aiolia, car je sentais en lui cette force latente qui m'avait autrefois habité sans que je sache quoi en faire. Il m'avait immédiatement donné son accord, me faisant entière confiance, et j'étais ainsi devenu le maître de mon cadet. Cela lui avait fait très plaisir, car il avait toujours été élevé, contrairement à moi, dans le milieu de la chevalerie, et brûlait d'envie de m'imiter. Bien-sûr, il m'arrivait parfois de lui parler de nos parents, mais il ne pouvait malheureusement que s'imaginer. Il ne connaissait que l'amour fraternel, et comme me le faisait remarquer Shura, ce n'était déjà pas si mal. Mon ami Shura... ou plutôt mon frère. Toujours en désaccord avec moi ou l'opinion publique, à clamer des idées d'égalité et de justice expéditive tout en restant le plus parfait des chevaliers... les gens n'avaient de cesse de nous faire remarquer combien nous étions différents. C'était on ne peut plus exact, mais cela n'empêchait pas notre incroyable amitié d'être bel et bien présente. Je ne pouvais pas envisager mes jours sans lui et sans son humour ironique, tout comme il était sans doute incapable d'imaginer son existence sans moi et mon habituelle gentillesse avec tout le monde. Dans les esprits de tous, nous étions devenus deux personnes inséparables. Lorsqu'un jeune chevalier me cherchait pour un conseil, il allait toujours demander ou me trouver auprès de Shura, s'il en avait le courage évidemment, car mon ami était très impressionant et difficilement abordable, et vis et versa. Jamais nous ne nous sommes éloignés l'un de l'autre, comme cela arrivait pour certaine amitié superficielle comme il en existait parmi les chevaliers d'argent, mais nous étions aussi sérieux dans notre fonction de combattant luttant pour la justice que dans nos rapports personnels. Même encore maintenant, et à mon plus grand soulagement, surtout en ce moment, rien a changé, et j'espère que rien ne changera jamais. Cela fait précisément huit ans que nous nous connaissons, que nous allons partout accompagnés de l'autre. Et je sais que je peux lui parler de tout, lui expliquer tout ce qui me pose problème ou me passe par la tête exactement de la même façon qu'il n'hésite pas à me livrer confidences et secrets. Je dois justement aller lui parler ce soir, car quelque chose m'inquiète. Mais je ne crois pas qu'il s'en soit rendu compte, c'est pourquoi, je dois lui ouvrir les yeux. J'ai toujours été pourvu d'une nature lucide et je me rends bien compte qu'il se trame un mystère dont je n'ai pas la clé. Récemment, le Grand Pope a décidé de se retirer, suite à la renaissance d'Athéna sur terre, car notre grande déesse vient de se réincarner, et de confier sa place à quelqu'un d'autre car il se sent trop âgé, et il hésitait entre Saga et moi-même, Shura étant encore un peu trop jeune pour assumer ce rôle, tout comme les autres chevaliers d'Or. Contre toute attente, et à ma plus vive surprise, c'est moi qui ait été choisi. J'ai évidemment accepté, mais depuis, je n'entends plus parler de ce projet, pourtant primordiale pour l'avenir du domaine sacré. Je vois de moins en moins Saga, comme s'il était en colère de la décision de Sion. Je reconnais qu'elle est étonnante, car le chevalier des Gémeaux me semble bien plus juste et bon que moi-même, mais il n'y a pas de quoi froisser Saga, qui est d'ordinnaire d'un naturel toujours doux et à se réjouir pour les autres. Et puis, il y a comme une pulsation dans l'air, oui, je ne peux pas décrire autrement ce que je ressens. C'est invisible, comme un frémissement, un frisson qui agiterait le domaine sacré et c'est pourtant bien là. Cela tremble, cela s'entend, s'étend au-dessus de nos têtes mais on n'arrive rien à distinguer de précis. C'est quelque chose de latent et que j'ai peur de voir éclore. L'air devient pesant, électrique, comme avant qu'un orage ne vienne à éclater, je crains le pire... Il faut que j'en parle à Shura, même si cela doit remettre en cause certaine chose. Je sais le prix qu'il accorde à notre amitié. Je sais qu'il me croira. Mais avant de le retrouver, il faut que je me rende dans la chambre sacrée, voir Athéna. Je ne saisis par pourquoi j'ai besoin de faire cela, mais c'est instinctif. Il faut que je m'y rende, car je sens que ce tremblement du Sanctuaire, que cette lézarde invisible qui fissure le domaine sacré la concerne. Ce soir, encore plus que d'habitude, je sens le malaise qui règne autour de moi, et c'est peut-être pour cela que j'ai eu envie d'écrire tous ces mots. Comme... comment dire? Comme pour laisser quelque chose derrière moi. Cela semble stupide mais ce frémissement m'inquiète. Il m'inquiète d'ailleurs tellement que je vais me rendre de ce pas au palais, car dehors, il fait déjà nuit. Je vais y aller. Juste pour vérifier que tout va bien. Sagittarius Aioros |