Chapitre 11 : Fleurs de Poison


Mémoires d'Aphrodite, chevalier d'Or du signe des Poissons.


Faible. C'est le mot qui me convenait incontestablement le mieux et que les autres n'hésitaient pas à employer pour me qualifier. Je le détestais mais je constatais, non sans amertume, que ce n'était que la vérité.
J'étais faible et j'avais beau y faire, cela ne changeait rien. Il semblait que j'étais né ainsi et que j'étais destiné à le rester jusqu'au dernier de mes jours. Cela me désolait et plus encore me terrifiait car j'avais peur de devoir affronter éternellement la mechanceté et l'animosité des autres. Mais plus encore que leur regard, ce qui m'affectait en tout premier lieu était la propre opinion que je me faisais de moi-même.
Le tableau que je me dépeignais n'avait rien de brillant, bien au contraire et je finissais par me détester, alors que les jours passaient et que j'étais contraint de rester coucher, dans ce lit de malade ou l'on m'avait déposé, de plus en plus souvent.
La faiblesse, je la haïssais, elle me répulsait et je finissais par ne plus supporter la propre vue de mon reflet dans la glace puisque j'étais représentatif de ce terme. Non pas que j'ai possédé un visage à faire peur, mais tout en moi, mes cheveux collés à mes tempes par la fièvre, mon teint blâfare, ma voix hésitante, mes cernes sous les yeux, dénotait un être incapable de faire face à la vie, et aux gens.
Je m'en étais rendu compte très tôt, à cause des autres. J'aurais voulu pouvoir m'en sortir, m'endurcir, quitter ce personnage que je mésestimais pour une autre peau que j'aurais su apprécier, qui m'aurait mieux convenu, mais je ne le pouvais pas. J'avais un désir, mais je ne pouvais nullement le satisfaire. Cela aussi, les autres avaient réussi à me le faire comprendre. Pourtant, je n'étais pas d'un naturel à abandonner facilement, et je gardais malgré tout un secret espoir dans les tréfonds de mon âme de parvenir un jour à me sortir de ma condition.
J'étais né en Suède, en plein milieu d'un rigoureux hiver qui ne prenait jamais fin dans ce pays. J'avais été abandonné la nuit même de ma naissance, sans explication, sans un mot et surtout sans tarder, l'on m'avait déposé sur les marches d'une église, à la va-vite, pour que personne ne s'aperçoive de ce qui se produisait.
J'imagine sans peine une silhouette fuyante me déposant sur les marches de ce lieu saint et partir ensuite à vive allure, s'esquivant dans la nuit, se fondant dans les ombres. La neige tombait avec violence alors, et le couffin d'osier, d'assez médiocre qualité, en avait été recouvert, moi y compris.
Les médecins disaient souvent que c'était à cause de cela que j'avais les poumons si fragiles, que j'avais parfois tant de mal à respirer. Je n'avais que quelques heures, et j'étais déjà confronté à l'hostilité des éléments.
Dans pareils cas, beaucoup d'enfants se seraient laissés aller dans le repos éternel, mais je n'étais pas de la race de ceux qui abandonnent, malgré ma faiblesse de constitution. Je me suis accroché, alors que je n'étais encore qu'un être minuscule, à l'existence de façon désesperée et insensée et contre toute attente, ma lutte aboutit, puisque l'on me retrouva le lendemain matin, le coeur toujours battant mais grelotant de froid. Je me suis souvent demandé, par la suite, comme j'avais pu être si fort et ou était donc passé ce caractère volontaire et courageux dont j'avais disposé durant les premières heures de mon existence.
L'église devant laquelle on m'avait déposé était depuis longtemps inoccupée et désaffectée et on peut donc en déduire que mes parents n'étaient pas de la région puisqu'ils ne le savaient pas et qu'ils m'y avaient laissé. Personne ne passait dans ce quartier et surtout pas dans ce pays ou la nuit semble parfois éternelle.
Pourtant, un homme, que le destin m'avait sans doute envoyé, s'aventura jusqu'au lieu sensé être celui de mon dernier repos et m'y trouva. Il m'a avoué qu'à quelques heures près, j'aurais probablement dépéri et par moment, alors que j'étais si malade ou en proie à une crise de diabète, je souhaitais qu'il ne se soit jamais avancé jusqu'à moi et qu'il ne m'ait jamais recueilli.
La vie, on ne s'y accroche que lorsque l'on possède des raisons de le faire, et je n'en avais à l'époque malheureusement aucune. Je ne me rendais pas compte qu'il fallait du tempérament pour lutter contre la maladie, pour tromper ses journées de l'oisiveté... je ne voyais que la force à son état le plus brute autour de moi, la puissance physique et c'était celle-ci que j'avais envie de pratiquer.
Je rêvais souvent de courir dans les étendues eneigées, de rejoindre les autres, de pouvoir me lever le matin sans ressentir quelque trouble ou quelque vertige. Je ne voulais pas être comme les autres, j'étais né différent car malade, mais ce que je désirais, c'était devenir plus fort que tous, montrer ainsi à ceux qui n'avaient pas cru en moi que j'étais quelqu'un de tout aussi valable qu'eux. Cependant, je croyais que tous ces rêves étaient condamnés à rester à jamais à l'état d'utopies.
Cet homme qui ramassa le couffin de lequel je reposais, était un chevalier du Sanctuaire, Vivian d'Orion, la personne qui devait guider mon destin et diriger ma vie sans même s'en rendre compte. C'était une personne juste et au coeur profondément bon et généreux mais malheureusement, il se trouvait être trop indulgent sur bien des points et avec beaucoup de personnes, y compris moi.
Il m'a souvent dit que c'est à cause de ma remarquable beauté qu'il a choisi de me garder et de ne pas me confier à un hospice. Il ne se doutait alors pas que c'était les trois Moires qui se tenaient derrière lui alors qu'il me prenait pour la première fois dans ses bras et que je représentais une personne très importante pour le monde dans lequel il évoluait. Vivian ne devait pas être âgé de plus de quinze ans alors qu'il décidait de me ramener dans le pays ou le Grand Pope l'avait affecté, le Groenland.
Il était venu en Suède à la recherche de nouveaux disciples mais ne pensait pas trouver un enfant aussi jeune que je l'étais. C'est pourquoi, il me ramena dans sa patrie plus à titre de son propre fils qu'à celui de simple élève. Et c'est peut-être ce qui explique entre nous les liens d'attachement profond qui nous reliaient et tout le temps qu'il passait auprès de moi à me distraire et à me faire oublier la maladie.
Il n'a d'ailleurs pas mis longtemps à se rendre compte que j'étais un nourrisson en mauvaise santé et m'a fait examiner avant même de repartir vers ce qui allait être notre nation à tous deux. On lui expliqua que j'avais le poumons particulièrement fragiles, que je pourrais être victime de crises d'asthme à tout moment et que j'étais malheureusement touché par un autre mal que l'on appelle le diabète.
Cela compromettait malheureusement grandement les projets qu'il avait batti pour moi, car il m'imaginait sans doute comme un chevalier. Son instinct lui avait sans doute fait comprendre que je pouvais devenir quelqu'un d'exceptionnel mais il se laissa convaincre par la science humaine que c'était impossible et il réussit même à m'en persuader. Pourtant, au plus profond de moi et de mes moments de désespoir, et malgré l'image peu flatteuse que je me revoyais de moi-même, j'avais toujours su qu'une destinée m'appelait et m'attendait et qu'il suffisait d'un rien pour que je la prenne à bras le corps.
Malgré les maladies dont je souffrais, Vivian décida de me garder et de prendre lui-même soin de ma personne, comme s'il nourrissait déjà à mon égard des sentiments parternels.
C'est sur le chemin du retour qu'il me trouva mon prénom. Il était lui aussi d'origine nordique, il avait vu le jour en Finlande, et connaissait particulièrement bien les prénoms de ces nations du froid. Mais il voulait quelque chose qui sorte de l'ordinnaire. C'est ainsi que je fus prénommé Nordhal, en hommage à mon teint de porcelaine et à mes grands yeux d'un doux bleu pâle. J'aimais et aime toujours ce nom, même si les gens ne m'appellent plus ainsi et que très peu connaissent ma véritable identité.
On pense généralement qu'Aphrodite est mon nom de baptême, mais tout comme Masque de Mort, il ne s'agit que d'un surnom, que l'on m'a donné il y a de cela bien longtemps...
Les premières années de ma vie furent bercées par la tranquillité d'esprit dans lequel je baignais en permance. Malgré les douleurs que je ressentais presque en permanence à la poitrine, je connaissais un bonheur sans nuage et sans ombre, comme seule l'enfance permet aux plus chanceux d'en ressentir.
Je vivais dans l'insoucience aux côtés de mon maître, je l'appelais ainsi car il n'avait pas totalement perdu l'espoir de me voir un jour croître et guérir de façon assez miraculeuse pour devenir un guerrier d'Athéna, dans cette maison modeste et vétuste mais que j'avais appris à aimer. J'en sortais d'ailleurs rarement, la dureté du temps m'en empêchant et provoquant chez moi des étourdissements inquiètants.
Je me souviens qu'une fois, j'ai voulu suivre Vivian dans la tempête. Il avait reçu une lettre du Grand Pope lui demandant de revenir rapidement au Sanctuaire parce qu'il devait lui parler de sujets importants. Mon maître m'avait alors expliqué qu'il devait me laisser, même si je n'étais âgé que de trois ans. J'avais été particulièrement anxieux à l'annonce de cette nouvelle et j'avais pris sur moi en décidant de le suivre secrètement.
Je l'aimais énormement et j'aurais aimé qu'il ne me cache rien et j'avais l'impression qu'il me tenait à l'écart de sa vie en ne me racontant pas le but de son abscence.
Je me suis donc aventuré, en plein milieu du mois de janvier, à l'extérieur, vêtu d'un simple manteau doublé de fourrure que Vivian m'avait acheté en octobre et des bottes faites de la même peau, ce qui était loin d'être suffisant pour un enfant aussi fragile que je l'étais alors. Mais je n'avais plus le temps de réfléchir, je craignais, au fond, d'être abandonné de nouveau et braver le froid ne me faisait pas peur, tant l'idée de le perdre m'accaparait l'esprit.
Je me rappelle que dès les premiers mètres, je me suis rendu compte que cela ne pourrait pas aller, que l'air me manquait, que je ne pouvais pas même garder les yeux ouverts malgré l'épaisse capuche qui me protégeait. Est-ce à cet instant de mon existence que je pris conscience de ce que j'étais?
Je me trouvais pourtant être extrêmement jeune, mais doté d'un esprit très vif et rationnel et j'avais pour habitude, l'influence de mon maitre obligeant, de ne pas me fermer les yeux ou d'essayer de me leurrer. J'étais un faible, un incapable, un être à la merci de tous et terrorisé à l'idée qu'un jour, on puisse le délaisser.
Je suis rentré sur mes pas rapidement ensuite, et je suis resté debout longtemps, sur le pas de la porte, à regarder le traineau de Vivian s'éloigner et à me demander s'il reviendrait un jour ou non. Je ne n'avais alors pas encore dans l'idée de ce qui m'attendait, mais déjà, je venais de faire un premier pas vers l'opinion que je me ferai de moi-même dans les années qui allaient suivre.
Le chevalier d'Orion est revenu évidemment, au bout de quelques jours, et je ne lui ai jamais raconté le sentiment de froid qui m'avait envahi à l'instant ou j'avais compris que je n'étais que faiblesse et que j'étais visiblement condamné à le rester durant toute mon existence.
Le Grand Pope avait appelé mon maître auprès de lui pour une raison bien simple et qui marquait la fin de mon agréable cohabitation avec Vivan. Sion, s'était encore lui à l'époque, avait décidé d'attribuer à celui que je considèrais comme un père et qui me faisait si facilement oublier que je n'étais qu'un garçon sans origines, deux disciples. C'était logique et je n'y vis, du moins au début, aucun inconvénient. Je n'étais pas de ceux qui recherchent un amour exclusif et sans concession et malgré ma nature fragile, j'étais une personne très sociable et éprise de compagnie.
Otto et Ortwin étaient deux frères qui avaient été abandonnés, tout comme moi, dès leur naissance et qui avaient été recueillis peu de temps après par un chevalier du Sanctuaire, dont j'ai malheureusement oublié le nom. Ils étaient très solidaires l'un de l'autre, j'allais d'ailleurs le découvrir à mes dépends et étaient déjà âgés de huit et sept ans à leur arrivée dans notre camp d'entraînement.
Ils n'avaient rien d'avenants dès le départ, avec leurs longs corps et leurs yeux d'un noir si profond que l'on en distinguait à peine la pupille, mais j'avais décidé de ne pas les juger sur les apparences. Cependant, j'étais déjà pourvu d'un caractère assez fin et perspicace, il fallait bien que je possède quelques qualités pour combler les manques que laissaient les maladies dont j'étais affligé, et je sus immédiatement de quelle nature serait nos rapports. Mon instinct me soufflait qu'ils ne seraient qu'affrontements permanents, et je ne me trompais en effet pas.
Pendant près de quatre années, je vécus un véritable enfer, sans jamais proférer un mot pour appeler à l'aide. J'avais beau ne pas être puissant comme mes deux compagnons, j'avais mon orgueil. Mais j'aurais mieux fait de parler de ce qu'on me faisait subir plutôt que de me draper dans un manteau de dignité dont je ne me dépareillais jamais et qui était par trop encombrant.
Vivian avait décidé, contre toute attente, de me donner en même temps que les deux frères, les leçons nécessaires pour devenir un chevalier. J'étais âgé de quatre ans de moins qu'eux mais mon maître n'arrivait pas à se sortir l'idée de la tête que j'avais un potentiel hors du commun et qui ferait de moi un guerrier exemplaire.
J'avais personnellement du mal à y croire et il avait de plus eu la maladresse d'en parler devant Otto et son cadet, qui y avaient décellé comme une marque de préference. Je ne peux nier que ce qui nous unissait avec mon père d'esprit était largement supérieur avec les liens qu'ils ne réussiraient jamais à nouer avec lui, mais, plutôt que de tenter de trouver une place entre nous, ils me firent payer très chèrement ces marques d'affection qu'il n'hésitait pas à me prodiguer.
Quatre années durant, j'ai appris à mes dépends ce que signifiait être handicapé par sa santé. Je me souviens que devant Vivian, et ce, dès les premiers cours, Otto et Ortwin avaient l'air des élèves les plus studieux et les plus attentifs que l'on puisse trouver et dont ton maître rêvait. Ils étaient suspendus à ses lèvres, se donnaient beaucoup de mal et cherchaient toujours à approfondir, à aller plus loin que ce qu'on leur disait.
Pour ma part, j'avais déjà du mal à réussir ce qu'il proposait et j'étais souvent arrêté en plein milieu d'un travail car je n'arrivais plus à respirer dans l'air glacial ou il nous emmenait nous entrainer.
Je surprenais alors le regard de mes deux compagnons, leur rires étouffés, leurs poignets de mains qui me faisaient clairement comprendre qu'ils allaient m'exclure de leurs vies la plupart du temps, excepté les journées, et elles allaient devenir de plus en plus fréquentes, ou ils décidaient de me punir de ma faiblesse et de l'affection qu'éprouvait à mon égard notre maître.
Mais qu'y pouvais-je? Je n'étais fautif ni de mes incessantes crises d'asthme ou de diabète, ni de l'amour que me portait le chevalier d'Orion. Je n'étais qu'un petit garçon de trois ans, qui avait encore tout à découvrir de la vie. Cependant, avec une cruauté toujours grandissante, les deux enfants me le faisaient payer chaque jour et me châtiaient de choses sur lesquelles je n'avais aucun contrôle.
Je me souviens que la première fois ou ils ont portés la main sur moi, il s'agissait du troisième jour après leur arrivée. Ils avaient pretexté un premier entraînement, et innocement, voire même naïvement, je les avais crus et suivis.
Là, ils ne m'avaient pas ouvertement avoué qu'ils se vengeaient de ce qu'ils avaient remarqué. Ils m'avaient battu, mais sans oser s'aventurer trop loin, juste assez pour que cela passe pour un accident, pour des coups non contrôlés ou, à la rigueur, pour une querelle de gamins.
J'avais été dans un tel état, c'était la première fois que l'on me frappait ainsi, que j'avais été incapable de contredire les histoires qu'ils avaient inventés, avec tant de brio d'ailleurs, que je finissais moi-même par me demander ou s'arrêtait la vérité du mensonge. Vivian n'y avait vu que du feu, et je le comprends et le pardonne car, avec un caractère aussi bon et généreux que le sien, je saisis parfaitement qu'il se soit laissé berner. Il n'était malheureusement pas pourvu de mon sens aigue de la perception des gens et n'avait donc aucune raison de douter de l'intégrité de ses élèves.
Cette première agression déclencha chez moi, tout comme celles qui allaient suivre et qui s'avéreraient être de plus en plus violentes à chaque fois, des quintes de toux telles, que l'on crut à plusieurs reprises que j'allais y laisser la vie. C'est sans doute aussi à cause d'eux, que mes guérisons étaient si lentes, si difficiles.
Ils venaient me voir dans ma chambre, alors que j'étais alité et que nous nous trouvions être tous les trois seuls dans la maison. Ils éteignaient le feu, ouvraient la fenêtre en grand, me battaient sans ménagement parfois, m'empêchant ainsi de regagner les entraînements que mon maître proposait. Car tel était le but de ces deux esprits mal formés : m'éloigner le plus possible de celui qui m'aimait comme un père. Ils désiraient que nos relations se désagrègent peu à peu, lentement, comme si ces liens qui nous avions si soigneusement tissés s'effilochaient lentement et si imperceptiblement que l'on ne s'en appercevrait que dans les derniers instants, quand il serait trop tard.
Comment avais-je, à l'âge de trois ans, deviné tout cela? J'étais, je suppose que cela devait remplacer ma force physique inexistante, remarquablement intelligent et très attentif aux comportements des autres. Cela n'avait d'ailleurs pas échappé aux deux frères, qui se méfiaient chaque heure un peu plus de moi, ni même à Vivian qui avait remarqué, à sa plus grand surprise, que j'avais appris à lire seul, et en tendant simplement une oreille distraite aux cours qu'il donnait à Otto et son cadet.
Je me souviens de sa voix me disant :
"-Nordhal, je suis fier de toi. Tu es remarquable."
Et des regards que cela avait engendré chez les disciples alors présent dans la salle ou je me trouvais. Ce soir-là, ils m'avaient trainé dans la neige de force, alors que j'aurais eu besoin d'être alité durant encore deux bonnes semaines et ils m'avaient jeté à terre, me rouant de coup de poings, de pieds et des lanières de cuir avec lequelles ont attachaient les chiens au traineau. Ils m'avaient dis à ce moment combien j'étais sans force.
"-Tu n'es qu'un faible, Nordhal et si le maître est si gentil avec toi, c'est parce que tu lui fais pitié.. mais tout ce qu'il souhaite, c'est que tu meurs, espèce de petit faiblard!"
Ces paroles, je ne les ai jamais oubliées et elles resteront à jamais gravées en moins, douloureuses, mais réelles.
Ce fut la première fois qu'ils me tinrent ce discours, mais certainement pas la dernière. Ils me le disaient à la moindre occasion, finissant par m'en convaincre moi-même car je n'avais que quelques années et j'avais un esprit encore très influençable.
Leurs menaces me faisaient peur et ils étaient véritablement terrifiants. En fait, avec le recul, je pense sincèrement qu'ils étaient fous. Ces deux enfants n'étaient pas normaux et on me les avait envoyés un peu comme une épreuve du destin, imposée par les dieux eux-mêmes pour que je prouve ma valeur et ma force de caractère.
La faiblesse, je finis par la mépriser, et de par la même, à me haïr moi-même.
Je rêvais, alors que je les regardais par la fenêtre de cette chambre que je songeais un jour être mon tombeau, de ressembler à mes deux tyrans, de ne plus avoir rien à craindre de personne.
J'aimais la journée, lorsqu'ils s'entrainaient, car, même si je ne profitais pas de la présence de Vivian à mes côtés, je connaissais la paix de corps et d'esprit et pouvais me reposer autant que je le désirais. Je regrettais souvent, alors que j'avais les yeux fixés sur le plafond de bois de ma chambre, l'époque où je vivais encore seul avec mon maître. Je finissais même par me demander si elle avait un jour existé ou si c'était moi qui l'avait inventé. Pourtant, dans les recoins de ma mémoire, je ne me rappelais pas qu'à ce moment, mon père adoptif me détestait comme Ortwin le prétendait.
Cela, j'avais du mal à y croire. Je ne remettais pas en doute le fait que je n'étais qu'un faible et un lâche, car c'était pour moi comme un acquis : j'étais un être sans aucune valeur. Mais la pensée que le chevalier d'Orion ne m'aimait pas était comme impossible. Ce ne pouvait pas être vrai, je m'en rendais bien compte, lorsque, chaque soir après qu'il ait entrainé durant toute la journée mes bourreaux, il rentrait silencieusement dans ma chambre de peur me réveiller.
Mais il me trouvait généralement toujours les yeux ouverts, l'attendant impatiemment. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire de tendresse lorsque je repense à ces scènes. Il venait s'assoir au bord de mon lit, ou sur un chaise près de moi, posait une main inquiète sur mon front pour vérifier que je n'étais pas trop fièvreux et me racontait ce dont il parlait avec les deux frères. Il ne pouvait pas imaginer que je ne devienne pas chevalier car cela l'aurait sans doute terriblement déçu et je comprenais que de part ma faiblesse, j'étais pour lui la seule personne qui comptait et que j'aimais dans mon monde restreint, une source de chagrin et de déception.
C'était pour cette raison que j'aiguisais sans cesse mon esprit, que je devenais plus intelligent, que je lisais tant durant la journée, pour le rendre au moins fier et heureux du seul don que j'avais, mon incroyable intelligence.
J'aimais tellement voir son sourire illuminé son visage parfois rembruni par ses journées, lorsqu'il découvrait que j'avais à présent des notions de grecques, que j'étais capable de traduire quelques lignes de latin ou que certaines opérations de mathématiques n'avaient plus de secrets pour moi. Il restait ébloui par mes progrès et ma culture sans cesse grandissante, sans se douter que cela impliquait de ma part un travail incroyable et terriblement fatiguant pour un enfant aussi jeune et malade que je l'étais alors.
Mais je n'avais que faire des souffrances que provoquaient mes longues heures de veille, alors que j'aurais du dormir pour pouvoir me ressourcer et gagner de nouvelles forces, à apprendre les légendes nordiques, l'histoire de l'Europe ou je ne sais quoi d'autre... Je devais le faire, pour lui. Et pour moi aussi, car cela m'évitait de penser au fait que je n'étais rien de plus qu'un faible, un alité permanent qui aurait mieux fait de vivre en hôpital que dans un camp d'entrainement.
"-Tu sais, Nordhal, dans un combat, lorsque l'on a plus de forces ou que notre cosmos n'est pas assez puissant pour vaincre son adversaire, il ne reste qu'une seule solution : l'intelligence, la ruse. Un plan bien conçu vaut tous les coups que tu pourrais porter. Et lorsqu'il est question d'astuces ou de génie, Nordhal, tu es le meilleur.
"Malgré tes problèmes de santé, je suis sûr qu'un jour, tu seras à la hauteur. Je suis certain que tu porteras une armure car comment Athéna, déesse de la guerre mais aussi de l'intelligence, pourrait-elle laisser un élément tel que toi se perdre?"
Ces discours, il me les faisait souvent et cela me rassurait, me réconfortait et me prouvait qu'il avait encore un peu d'estime pour moi. Mais j'appréhendais aussi ces compliments qu'il me décernait si généreusement, car je savais que, de l'autre côté de la porte, les frères les entendait aussi. Et ils me punissaient toujours.
Parfois la nuit, dans mon lit, je pleurais, marque de faiblesse, une nouvelle fois mais je ne pouvais pas m'en empêcher, car je craignais le moment ou j'entendrais la porte de ma chambre grincer et le bruit de leurs pas sur le parquet de bois.
J'aurais voulu faire comme si je dormais, mais je tremblais de peur et cela me trahissait. Je n'avais donc pas d'autre choix que de subir leurs mauvais traitements, sans rien dire et en eésperant m'en sortir à chaque fois. Que pouvais-je faire de plus?
Ce calvaire, je le vécus durant quatre années, jusqu'à l'âge de mes sept ans, ou durant une nuit, tout bascula.
Nous étions en plein milieu du moins de septembre, et la neige s'abattait en rafales depuis déjà prêt d'une semaine. Il était donc impossible pour moi de mettre même ne serait-ce que le bout du nez dehors. Mais cela n'empêchait pas Vivian d'entraîner les deux autres à l'extérieur car ils étaient tous habitués au froid.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'eus un mauvais présentiment ce soir-là, alors que l'on m'avait laissé le soin de faire la vaiselle. Je savais que depuis quelques temps, Otto et Ortwin redoublaient de messes-basses et qu'ils devenaient de plus en plus étranges et aussi de plus en plus forts. Même mon maître s'en était apperçu. Il avait réalisé que quelque chose ne tournait pas rond et que la situation n'était plus normale, et tout cela sans rien soupçonner des sévices que j'endurais.
Pendant le dîner, alors que ses élèves s'apprêtaient à rentrer, il m'avait confié qu'il comptait leur parler ce soir. J'eus immédiatement un pincement au coeur à cet instant, comme si j'avais déjà conscience de ce que l'avenir réservait.
Alors que j'essuyais tranquillement les couverts avant de les ranger, je sentais mon souffle s'accélerer tout en sachant parfaitement qu'il ne s'agissait pas d'une simple crise d'asthme. Je sentis tout à coup comme un éclair me traverser le front et je faisais tomber au sol dans un violent bruit de fracas tout ce que je tenais entre mes mains. Mon sixième était, sans que je m'en rende alors compte, à son paroxysme.
J'entendais comme un appel au secours et je me précipitais vers le porte manteau pour prendre mon manteau, enfilais à toute allure mes bottes et me ruais dehors avec la force du désespoir. Je savais, alors que je courrais, que je m'élançais au travers des immensités enneigées, qu'il était déjà trop tard et que je ne pouvais plus rien.
Vivian m'avait emmené à plusieurs reprises à l'endroit ou ils s'entrainaient de nuit. C'était à quelques kilomètres de la maison, mais ce soir-là, il me sembla que j'atteignis l'endroit voulu en quelques enjambées, comme si ma vitesse avait été démultipliée à l'infini. Je n'avais aucune conscience qu'en moi, explosait ce cosmos surpuissant que Vivian avait toujours su latent. La peur était entrain de réveiller ce que j'étais réellement et je ressentis toutes les ondes de la force que je découvrais au fur et à mesure de ma course.
Le corps de mon maître, de mon père adoptif, gisait aux pieds de Otto et Ortwin qui avaient des regards hallucinés et brillants, comme seuls les fous en possèdent. Je ne pensais alors plus un seul instant que j'étais faible car je ne l'étais plus. Je réalisais immédiatement que je leur étais et leur avait toujours été supérieur.
Ma fureur m'aveuglait car je comprenais immédiatement ce qu'ils avaient fait. Ils l'avaient tué. Vivian était mort. Jamais plus je ne le reverrai et c'était leur faute, à tous deux. Il m'avait fait tellement souffrir, Vivian aussi. Et je le saisissais seulement maintenant.
Mon maître avait toujours nourri de la peur vis à vis d'eux. Il craignait qu'il ne me fasse du mal et de par mes cachoteries il n'avait jamais pu que supposer que tel était le cas.
Des larmes de rages roulèrent le long de mes joues alors qu'un filet de sang s'échappait de la bouche du courageux chevalier d'Orion.
"-Il nous a supplié de ne pas te toucher, de te laisser tranquille."
C'est ce que me précisa Otto avant de se jeter sur moi avec un rire de dément. Là, je compris que pour la première fois de mon existence, j'allais devoir tuer. Non pas par envie, mais par necessité. Je devais me venger ainsi que Vivian et plus encore me libérer. Prouver à mon père que j'étais la personne qu'il rêvait de me voir devenir, que j'étais bel et bien un guerrier de cette déesse qu'il vénerait et que je servirais moi aussi.
Tout est plus floue ensuite dans ma mémoire et je n'en garde que des bribes d'images succintes.
Les deux frères se jettant sur moi, l'énergie dorée entourant mon corps et l'explosion d'énergie qui les balaya commes des fêtus de paille... Cependant, ce dont je me souviens parfaitement, c'est du sentiment de ne pas être appaisé, même après que mes deux bourreaux mais aussi ceux de Vivian aient poussé leur dernier soupir.
Etrangement, je me rappelle aussi de détails stupides et sans importance, comme de la texture de la neige dans les cheveux de celui qui m'avait recueilli et aimé comme un fils, de la couleur plus foncée que prenait mon manteau, à cause de l'eau contenue dans la neige alors que je courrais vers l'infiniment blanc, vers ce paysage d'éternité.
Très haut dans le ciel nocturne et malgré le ciel moutonneux, perçaient quelques étoiles, qui toutes réunis formaient un dessin que le chevalier d'Orion m'avait désigné comme étant la constellation des Poissons. Ma constellation autrement dit.
Je dus courir durant plus de deux ou trois heures, vers mon destin, vers ce qui m'appartenait. Mes maladies avaient complètement disparu à l'instant même ou mon cosmos avait explosé et fait vibrer tout mon être.
Je me souviens du peu d'étonnement que j'émis alors que je brisais le sol de glace épais de plusieurs mètres d'un coup de poings et que je plongeais sous l'eau à des profondeurs hallucinantes pour récupérer mon armure d'Or du signe des Poissons, celle que Vivian rêvait de me voir rêvetir un jour. C'était pour lui que je faisais tout cela et je me rendais parfaitement compte que je n'avais jamais été faible, et que, au contraire, une force hallucinante avait toujours sommeillé en moi.
Je déplorais simplement qu'elle ne se soit pas reveillée avant, car ainsi, j'aurais pu défendre mon maître et le sauver. Ce fut la seule pensée que j'eus alors que je revêtissais le vêtement de protection doré que je venais de faire mien pour la première fois.
Cette nuit reste à jamais gravée dans ma mémoire.
Je me souviens qu'ensuite, les jours qui ont suivi, j'ai erré dans les étendues glacées en songeant à la nature de l'homme. J'avais envie d'être isolé pour pouvoir nourrir des pensées philosophiques et je n'éprouvais pas encore le désir de rejoindre le Sanctuaire ou j'étais sans doute attendu. J'avais besoin de prendre ou plutôt de garder, quelques jours de deuil.
Pour moi, la plupart des personnes étaient à l'image de Otto et Ortwin. En apparence, les hommes semblent doux et beaux, lisses et purs, et on leur accorde trop facilement notre confiance, nous contentant de la première impression, qui est toujours la mauvaise. Hors, si l'on gratte sous le vernis de la surface, on découvre généralement des êtres laids et égoïstes à la nature aussi froide que mauvaise. Telle était l'humanité, une meute de chiens enragés parmi qui seuls les plus forts pouvaient survivre.
Cela me faisait penser à autres choses, aux roses. Ces fleurs semblent délicates car elles sont belles à regarder et délicieusement parfumées alors qu'elle ne sont en réalité que poison et épines. Commes les êtres humains à qui l'on ne pouvait jamais accorder sa confiance.
Se méfier des gens aussi bien que des choses, être plus intelligent et plus rapide qu'eux, c'était ainsi que je voulais être et que j'allais devenir.
Cependant, je n'oublais pas qu'il existait des hommes comme Vivian, mon père, mais je constatais avec effroi que c'était eux qui mourraient car ils étaient victimes de leur propre générosité qui les rendait faible.
Le chevalier d'Orion, je l'aimais, je l'admirais, mais je ne voulais pas devenir comme cela. C'était Nordhal qui ressemblait à cela, pas moi. Moi, j'étais quelqu'un d'autre, de bien différent, de bien plus dur.
Je me souviens, alors que je sortais de la ville d'Athènes, après plusieurs jours d'errance dans l'Europe, pour pénétrer dans le village de Rodorio, que j'ai croisé un homme qui se figea sur place en m'appercevant. Il m'interpella et me dit :
-Ce n'est pas possible, vous êtes si beau que vous ressemblez à une divinité.
-Ah bon? repondis-je.
-Et si vous êtes une divinité, cela signifie que vous ne pouvez être qu'Aphrodite.
-Tiens donc... Aphrodite? Et pourquoi pas?

Pisces Aphrodite
"L'Appel des Etoiles"

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.