Chapitre 2 : Enfance volée


Resté seul, d'un geste machinal, Odul refaisait sa tresse de Padawan. Dans sa tête, la conversation défilait à nouveau.
Immanquablement, il dériva…


Mal, si mal.
Eliogan d'Achernar.
Inscrit dans son cœur. Comme au fer chauffé à blanc, brûlant, dans son cœur.
Une souffrance si intense que son corps crut un instant la ressentir. Il porta la main à sa poitrine, crispé. La douleur l'irradia encore quelques secondes - qui parurent incroyablement longues cependant - puis décrut. Sournoise car Odul savait par expérience qu'elle resurgirait à la plus petite occasion. D'ailleurs elle ne disparaissait jamais complètement : il en sentait toujours l'étau, pesant, sur sa poitrine. Et, dans le même temps, ses pensées volaient toujours, à la rencontre du plus cruel des souvenirs.

Les cors des Ewoks raisonneraient toujours en ce pays de mémoires. De même il reverrait toujours son Maître saisir sa cape au passage, tout en le pressant de se dépêcher.

- " Il nous faut les rejoindre maintenant. Les Ewoks n'ont jamais appelé à un tel rassemblement. "

Des cheveux noirs et longs, retenus en un bandeau vert et mince, fouettaient l'air. Eliogan courait presque, dégringolant les échelles et traversant les différentes passerelles. Il se retournait alors vivement et ses yeux bleus cherchaient la silhouette d'Odul, rendue plus petite encore à prés de dix mètres du sol.

- " Maître, pensez-vous que ce sont ces humains, que nous avons aperçus tous deux, qui les ont motivés ? " demandait alors Odul.
- " Assurément. Les Ewoks sont tout ce qu'il y a de plus pacifique d'habitude. Craintifs néanmoins. "

Odul le rejoignait précipitamment.

-" Veux-tu toujours m'accompagner ? A mon sens ce n'est pas très prudent. Crois-tu avoir seulement l'âge et l'énergie nécessaire ? ". Sa main bienveillante se posait sur l'épaule d'Odul. " Je crois bien que ce sera la fin. Je ne distingue pas l'issue de la bataille mais, Empire ou Rébellion, l'un des deux cédera. "

Odul, sans l'ombre d'une hésitation :

- " Raison de plus. La moindre force ne saurait être dédaignée. Les combats font l'homme, nan ? "
- " Juste. Si tel est ton choix, je veux bien l'accepter. Mais ne traînons pas plus longtemps. "

Il ceintura correctement son sabre-laser(une vibro-lame verte !) resserra le bandeau de ses cheveux. Puis il défit son blaster et le fixa à la ceinture d'Odul.

" Ainsi mon Padawan, tu me couvriras comme il se doit ! Qu'y a-t-il ? Ca ne te plaît pas ? " voyant qu'Odul avait un sursaut.
- " Euh… tout va bien ! C'est juste qu'un moment je me suis dit que je n'en aurais pas besoin ".

Odul leva ses grands yeux et vit le pâle sourire d'Eliogan.

Voici donc une première vision. Je remercie le ciel d'en avoir eu connaissance. Puisses-tu seulement avoir autant de Force que de courage pour l'épreuve qui t'attend !

Telles furent les pensées, certes inaccessibles à Odul, d'Eliogan. Lui qui savait ce que la décision d'Odul, celle de l'accompagner, allait générer. Et il ne faillit certes pas au rôle qui lui fut imparti dés lors.

Ils marchaient depuis plusieurs heures, les cors leur ayant donné de précieuses données quant à la direction dans laquelle il leur fallait aller. Et ce, pour rejoindre les lieux mêmes du combat. Les sens d'un Jedi ne s'y trompent jamais pour ce qui est de l'interprétation spatio-sonique, entre autres évidemment. La forêt d'Endor aurait semblé totalement hermétique à n'importe quel intervenant extérieur. Mais Odul et son maître s'y orientaient parfaitement, vivant ici depuis plus de cinq ans. Odul ne se rappelait d'ailleurs rien d'autre qui soit antérieur à cette forêt. Ces arbres, majestueux, imposants, étaient ses plus anciens, ses premiers souvenirs. Comme s'il était né en ces lieux. Dans cette cabane au milieu des hauteurs, construite sur le modèle de celles des Ewoks.
Mais et ses racines à lui ? Rien de rien.
Ses parents ? Il ne s'en connaissait pas.
Seul son Maître approchait le niveau d'affection et d'amour attendu. Parents. Ce mot même lui était donc strictement inconnu. A neuf ans, bonjour les questions existentielles ! Car comment voulez-vous vous construire si vous ne vous expliquez déjà pas votre naissance ? Odul, ayant vu déjà, par trois fois, le visage de son maître s'attrister sous le coup de cette seule question Qui suis-je ? , ne demandait plus. Eliogan n'en parlait jamais. A la dernière tentative d'Odul cependant, il avait tout de même répondu - ce qui était tout bonnement unique en son genre ! - " Le fils que je n'aurai jamais. " Odul avait donc appris ce mot de fils. Sa définition était amour et apprentissage. Ou quelque chose d'approchant. Il savait Eliogan Jedi et ne doutait pas qu'il en deviendrait un, le temps aidant. A Eliogan d'Achernar il donnait le titre de Maître. Et s'autorisait quelques fois un Eliogan timide mais aimant.
Que de respect aussi pour cet être hors du commun, sage, patient ! Doté de plus d'une Force insoupçonnable - au premier abord seulement, ne vous y trompez pas - mais cependant indiscutable. Persécuté par l'Empereur, comme tant d'autres, il avait fui son étoile. Emportant avec lui ce fils spirituel, ayant reconnu très tôt les prédispositions affolantes de l'enfant, l'arrachant ainsi aux massacres perpétrés par Palpatine. Son amour était sans faille. Son cœur constant et droit. Son bras vaillant mais avisé. Il n'utilisait la Force que lorsque l'adversaire n'en démordait pas, lorsque sa vie, ceux de ses proches, en dépendait, lorsque ce en quoi il croyait était menacé enfin.
Les Ewoks les toléraient. Mais depuis cinq ans qu'ils étaient là, Eliogan et Odul évitaient strictement toute compagnie, humaine ou non. Car la moindre incartade à ce comportement pouvait attirer l'attention, leur être fatale. D'autant que les Droïdes impériaux sillonnaient les environs depuis quelques temps. La plus petite imprudence et toutes ces années d'exil n'auraient servi à rien, seraient réduites à néant. Le danger n'avait jamais été si grand, presque palpable. Tension dans l'air. Leur refuge de toujours, envahi, circonstances troublantes, par ceux-là même qu'ils fuyaient tous deux.
Et c'est l'esprit plongé dans ces mêmes réflexions qu'Odul cheminait doucement aux cotés de son Maître. Il pensait à tout ce qu'Eliogan lui rapportait de leur situation actuelle. Ils allaient prendre les armes, se battre pour ne plus se terrer, défendre leurs convictions profondes. A savoir que toute vie était sacrée. Que ces persécutions impériales, au nom de ce Coté Obscur, n'étaient que prétextes pour éliminer certains Jedis, que l'on jugeait diminués ou qui ne partageaient pas les mêmes idéaux. Haine, peur et colère, trop accessibles aux hommes, ne pouvaient que servir au mieux les intérêts d'une telle croisade. C'était un peu trop simple de les invoquer. Un peu trop simple de les faire fleurir dans le cœur des hommes. Et rien n'était plus abject que d'établir une société sur ces bases élitistes. Dans le sens où il ne fallait pas se substituer à la Nature, seule apte à apprécier les chances de survie de chacun. Ah l'orgueil immanquable du genre humain !
Tel était l'enseignement d'Eliogan.
De plus, Odul voulait voir Achernar, cette étoile dont il ne se rappelait rien mais dont son maître lui parlait si souvent. Odul, perdu dans ses pensées, totalement absorbé…
Silencieux aussi, Eliogan était autrement plus inquiet. Pour se l'expliquer, Odul se disait juste que lui-même ne se figurait pas encore la réalité d'un combat. Que seul son Maître savait après tout. Et ce, même si son entraînement lui en fournissait une vague idée.
Mais si son Maître lui avait permis de venir c'était très certainement parce qu'il l'en avait jugé digne.

Ainsi allait Odul.

Oh, l'esprit si occupé qu'il ne vit absolument pas les coups partir !
Ce fut l'affaire de quelques secondes…
Zioziooon !
Les muscles tendus à se rompre, en un ultime réflexe, Eliogan projeta Odul au sol. Et tandis qu'Odul tombait…
Ziooon !
Odul il faut que je…
Se mettre dos au tir et protéger au mieux la chute d'Odul.

Ziooon ! C'est pas vrai !
Seulement, le temps ne jouerait jamais pour Eliogan et il le savait. L'ébauche de défense avorta quasiment !
Zioon Zion ! Aarg !
Il encaissa les coups de plein fouet alors qu'il effectuait sa rotation.
A terre, le heurt avait été rude pour Odul. La terre, sèche en certains endroits, s'était fissurée en un clin d'œil. Un nuage de poussière s'était élevé pour retomber presque aussitôt.
Mais il fut bien pis pour Eliogan dans les deux secondes qui suivirent : il s'écrasa ni plus ni moins ! Complètement abruti de douleur après la salve de coups. Sa tête vint durement frapper la terre. Occasionnant une nouvelle blessure !
Son corps avait servi de bouclier pour son fils. Car il n'aurait tout simplement jamais eu le temps de saisir son sabre pour parer les tirs un à un.
Non.
Plutôt parce qu'il avait toujours su qu'il les verrait trop tard. Qu'il n'aurait pas le choix pour qu'Odul y survive. Quant à abattre le ou les tireurs, de même, il savait que cela n'aurait servi à rien : Odul aurait déjà pris les lasers dans la poitrine et la tête. La masse, étau vert, des feuillages alentours n'y aurait rien changé : qu'elle eut été là ou pas, Eliogan n'avait rien pu prévoir ou anticiper. Hormis le fait qu'il ne pourrait pas se sauver.
Un bref instant, le visage d'Eliogan avait paru dansé au-dessus d'Odul. Puis, pour l'enfant, cela avait été le choc de son dos sur le sol. Un autre bruit sourd et quelque chose enfin avait pesé sur lui.
Silence.
Sauf peut-être ces piaillements électroniques plus loin. Et deux respirations. L'une rauque, l'autre affolée.
Odul rouvrit lentement les yeux.
Eliogan, les cheveux gluants de sang, le maintenait de son poids à terre. De ses yeux bleus, presque vitreux à présent, il fixait un Odul hagard, effaré. Pour le rassurer, Eliogan tenta une pauvre esquisse de sourire. Mais sa bouche s'emplit soudain. Il rejeta vivement la tête sur le côté. Ivre de douleur, les nerfs saturés. Le flot vermeil inonda le sol, infiltra la moindre fissure. Et la terre asséchée paraissait boire goulûment à ces sillons de mort. De ses lèvres, la vie s'échappait écarlate et souveraine. Mais ce n'était pas le plus impressionnant…
Une zébrure sombre déchirait profondément Eliogan du flanc gauche jusque dans le dos. Et sa cuisse semblait sourire horriblement comme les deux lèvres de la plaie s'ouvraient sur le fémur. La peau fumait, brûlée. Et cependant le laser était réglé de telle sorte qu'il ne suffise pas à cautériser les plaies infligées. Une arme conçue pour la douleur. Les hémorragies. La mort. Imparable. La concentration du rayon jouait son rôle quant à la gravité des blessures engendrée.

Light Amplification by Simulated Emission of Radiation.

Respirer était une torture, chaque bouffée d'oxygène, une brûlure !
Toutes ces mécaniques vitales, un effort phénoménal à présent. Vivre, une souffrance de chaque instant en définitive !
Eliogan venait d'encaisser deux coups de laser sur la bonne demi-douzaine du lot et n'avait plus la force de bouger.
Maître ! Mais les mots refusaient de sortir, sa poitrine oppressée par le corps quasi-inerte d'Eliogan et sa gorge nouée. Odul était pétrifié. Il sentait de plus le sang transpercer ses vêtements, courir sur ses mains, inonder bientôt tous les pores de sa peau. Il refrénait des tremblements. Oh non, lui n'avait rien ! Il était sauf mais à quel prix, quelle vue ! Les larmes ne venaient pas. Ses sens, saturés, cernés par le sang, étaient bridés d'horreur. Etat de choc.
Eliogan dégagea lentement son bras. Orage de douleur ! Il força d'avantage jusqu'à s'obliger à ne plus la sentir sous peine d'en être foudroyer. Sa main recueillit du sang - et ce ne fut pas long. Ses yeux cherchèrent Odul. Une tache lumineuse. Et alors la même main s'attarda sur ce visage, ne percevant plus rien des contours familiers. Trace sanglante sur les tempes de l'Enfant.
Puis, diminué par ses blessures et les hémorragies, Eliogan pensa. Dernières lueurs d'énergie. Télépathie.

" Tu les entends n'est-ce pas ? Mes sens m'abandonnent mais je sais qu'ils viennent. Dans quelques secondes. Il faut qu'ils nous croient morts.
Prouve-moi que mon enseignement a porté ses fruits. Maintenant ! Prouve-moi que tu peux survivre de toi-même. Fais abstraction de tout. Oui, même de moi. Et Rappelle-toi ceci :

Il n'y a pas d'émotion, seulement la paix.
Il n'y a pas d'ignorance, seulement la connaissance.
Il n'y a pas de passion, seulement la sérénité.
Il n'y a pas de mort, seulement la Force.

Ne l'applique qu'en cette seule occasion… Cela t'aidera à mieux plier la Force à ta volonté.

" Température : Phys. Manifestation de l'énergie cinétique [relative au mouvement] moyenne de translation des molécules d'une substance, due à l'agitation calorifique. "

…Tu vas ralentir les échanges chimiques inhérents à ton corps. Jusqu'à en faire chuter ta température corporelle. Dilatation, potentiel d'action, variation de pression des gaz, modification dans la viscosité des fluides, tout cela peut être diminué jusqu'à atteindre les limites les plus extrêmes de la vie, de la survie. C'est faisable...
Dompte tes craintes. Rien ne doit perturber la Force lorsque son influence est vitale. Utilise tes pleines capacités. Toujours ! Et ne doute pas qu'en ce jour ta vie en dépend. Ne dépend que de toi. Il faut que l'esprit prenne le pas sur le corps ! Qu'il réduise à néant toute tentative de rébellion contre sa volonté.
Ressens la Force ! Elle est issue des midi-chlorelles. Et chacun de ces corps émet des radiations vers la périphérie que tu as la capacité de réguler. Si tu condenses cette Force en intériorisant les radiations, cela ralentira déjà considérablement les dépenses calorifiques de ton système nerveux. Puisqu'elle deviendra totalement autonome. Le plus dur sera fait, les autres flux énergétiques comme les échanges sanguins se déroulent à plus grande échelle. Il sera donc facile de les réguler efficacement une fois que tu auras compris et appliqué le phénomène aux plus infimes éléments du corps humain que sont les midi-chlorelles. Commence par elles, essaye de limiter ta pensée au strict minimum, concentre-toi pour tourner ta Force vers l'intérieur, et le reste suivra très vite.
Alors ta chaleur corporelle chutera. Et fera mentir leurs détecteurs thermiques ! Avec tout ce sang, ils ne douteront pas. Oh non pas un seul instant !
Ton pouls faiblira, tes sens vont s'affaisser. Un ralentissement généralisé des fonctions vitales.
Là encore, l'esprit devra fournir l'impulsion de retour. Vers la vie. Et le combat sera rude. Car libéré de toute attache charnelle, tu seras velléitaire. Rien ne te semblera plus absurde que de t'encombrer d'un corps. La mort te tendra les bras. Douce. Il faudra lui cracher au visage ! Et revenir en ce monde de douleur, réintégrer ce corps, réducteur de l'âme. "

Les mots ricochaient dans l'esprit d'Odul, explosaient. Fous. Et chaque éclat, chaque lettre sonnait comme un adieu. Injuste ! Et Odul hurla intérieurement. Et Eliogan perçut ce cri. Il ne dit rien. C'était nécessaire… Et lui si faible, quelle énergie lui restait-il encore à dépenser ?
Et lorsque le silence revient entre eux, Odul s'emplit les yeux de l'image de son maître. Une dernière fois. Si peu de temps…

Adieu, Maître.
Eliogan sombrait… Ne t'occupe pas de moi, fils.

Puis Odul abaissa les paupières. Les plis de son front s'estompèrent. Il déploya sa Force. Il la matérialisa. Flot bleu s'enroulant sur lui-même. Le halot se rétracta, cernant chaque forteresse de Force. Jusqu'à les pénétrer entièrement, jusqu'à devenir un système parallèle, totalement distinct du système corporel. Déconnecté. Et Odul se répétait.
Il n'y a pas d'émotion, seulement la paix. Il n'y a pas d'ignorance seulement la connaissance. Il n'y a pas de passion, seulement la sérénité. Il n'y a pas de mort, seulement la Force…
Il n'y a pas…oh non pas de mort…Seulement la Force !
Seulement…
La Force !


Puis tout s'enchaîna.
Le cœur eut quelques sursauts. Normal. Mais ses battements même finirent par s'espacer jusqu'à n'être plus qu'un murmure inaudible et ténu. Fil de vie à la merci de la crédulité des machines. Improvisées Parques modernes pour la terrible occasion… Elles qui avaient tiré implacables sur ces êtres non-identifiés, à la recherche évidente d'intrus.


Odul partait à la dérive. Lentement. Plus de sensation aucune. Et bientôt il n'y eut plus de mots. Le verbe devint pensée. Ni lumière ni ténèbres. L'Equilibre. Un vaste tout. Un rien du tout. Un vide. Et cette conscience du vide était juste ce qu'il restait d'Odul. Il était Force, Connaissance, Paix, Sérénité. Intemporel. Et loin. Si loin.

Eliogan, est-ce bien toi qui appelles ?

Me souvenir ?
Le matériel est éphémère, douleur et émoi.
Vivre ?
Le monde est poussière et prison.
Te sauver ?
Te sauver… Eliogan, ainsi tu veux vivre !


Alors Odul sembla émerger de son long sommeil. Happé dans le tourbillon de vie inquiète qu'était son corps, tout en souffrance brute et barrières de chair. Au niveau cellulaire, quelques courants de Force furent libérés. Eclairs bleus primordiaux !
Retourner d'où je viens !
Combien de temps suis-je parti ?

Ses poumons se remplirent d'un seul coup. L'air était tout chargé de sang. Si froid, si froid. Et sentir les pleurs, si longtemps refoulés, s'amonceler sous les paupières. Perler sur ses cils. S'écouler, en courants amers, laver son visage de la poussière et du sang.
Odul n'osait pas ouvrir les yeux mais prit conscience qu'il ne percevait plus le poids d'Eliogan sur lui. Ils avaient dû vérifier l'étendue des dégâts.
Le tissu de son habit était raidi. Le sang avait séché. Ainsi cela faisait déjà pas mal de temps qu'il était parti.
Eux aussi, les tireurs. Ils l'auraient déjà abattu sans cela, au moindre mouvement.

Il veut vivre. Qu'attend-tu Odul ?

Je ne veux pas voir le sang.

La peur cessera, dés lors que tu pourras voir son sourire. Saisi ta chance !

Il se redressa d'un bond… Il n'était pas de plus horrible vue !
La tête lui tourna, ses genoux fléchirent. Il s'affaissa à côté de son maître. Eliogan… Trahissez-moi mes yeux ! Je ne veux plus revoir ça. Ses doigts endoloris, tremblants, effleurèrent le visage de l'ange, écarlate et blanc, repoussèrent les mèches noires. Le sauveur. Celui qui de sa voix avait dissipé la torpeur de la mort. Celui qui avait consommé ses dernières forces à le guider, en un ultime secours. Celui qui, sans hésitation aucune, l'avait soustrait par deux fois à la mort et offert sa vie pour rétablir les comptes des Dieux.

" Une vie pour une vie ".
C'était écrit.


Il y eut une explosion dans le ciel. Empire ou Rébellion, l'un des deux cédera. L'Etoile Noire !
Mais Odul ne réagit même pas. Ses tympans sifflèrent longtemps pourtant.
Il aurait suffit d'un rien et nous aurions été sauvés tous deux.
La pluie détrempa le sol, comblant et purifiant les cicatrices qu'Eliogan y avait imposé. Mais les larmes, elles, demeuraient impuissantes à panser les plaies de l'âme. Au loin, des chants montaient déjà vers le ciel…

Dans les bras de son maître, cette nuit-là, l'enfant s'éteignit. Au matin, Odul eut beau chercher, la candeur s'en était allée. Au pays des ombres sûrement, où ses sourires font patienter Eliogan.

L'aube naissait à peine, que déjà, de ses ongles, Odul voulut mutiler la terre. Mais elle était boue. Alors il insista et ses mains finirent par rencontrer des surfaces plus dures. Des boutons de sang fleurirent sur le sol enfin. Il enterra Eliogan. Au pied du chêne. Avec pour seul témoin le bruissement des feuillages alentours.
Et trois jours il fixa la tombe, les yeux flous, le cœur vidé. La vie lui était égale.
Je n'avais rien demandé. Sa poitrine commença de le lancer alors. S'il avait pu en mourir…
Au matin du quatrième jour, une troupe passa. Et recueillit Odul, l'orphelin blessé. Longtemps ils le crurent muet. Mais un jour il parla. Et ce fut Luke qui recueillit ses dires… Ils avaient quitté Endor depuis trois mois.
Et doucement, soutenu par Luke, Odul revient à la Force. Parce qu'il n'avait plus qu'Elle. Parce qu'il n'avait pas su émerger à temps de sa transe et que cela avait coûté ses dernières lueurs d'énergies à Eliogan…
De la bouche de Luke, comme il semblait un écho blessant de leurs deux histoires, tomba enfin le mot de père, celui-là même que le cœur d'Odul n'avait pas su traduire jusqu'alors.

Odul revint soudain à la dure réalité qu'était la sienne. Mais il n'avait plus de larmes depuis dix mois maintenant.

Onze heures standard. Luke devait déjà l'attendre.
Pathétique de perdre toute notion du temps en s'abîmant dans ses pensées de la sorte. Surtout pour tout le lot de peines que cela lui renvoyait.
Le miroir des souvenirs est souvent le plus désespérant des reflets…
Pourquoi repensait-il si souvent à Eliogan ces temps ? Et cette question tournait en boucle, lui martelait le crâne, presque sur le même rythme que cette douleur intercostale. Il ne trouvait pas d'explication qui le satisfasse.
Juste une nouvelle obsession… Pourquoi était-il tenté de répondre que cela avait un rapport avec le Phénix ? Avec le Grand Y Austral. Formalhaut Alpha du Poisson Austral, Diphda Bêta de la Baleine, Achernar Alpha de l'Eridan et au centre Nairal Zaurak Alpha du Phénix. Eridan et Phénix. Achernar, Akir-an-nahr, le bout du fleuve.
Il voguait d'un mystère à l'autre. Et il lui semblait que cela n'aurait jamais de fin… Non plus que sa peine, quotidienne. Celle d'être encore de ce monde et par là même d'avoir entraîné son maître à sa perte…
Ses mains enserrèrent sa tête, comme pour l'empêcher d'éclater sous le flot des souvenirs et de l'amertume. Le silence. L'écran de sa montre diffusait un faible halot. Il se reprit : c'est l'heure, je ne vais pas passer la journée dans cette pièce…
Les murs semblaient emprisonner ses pensées. Et il n'y avait aucune fenêtre. L'allégorie de mon obsession ! Je ne tiendrais pas une minute de plus ici c'est évident. Ressasser le passé ne l'aiderait en rien. Non plus que fuir assurément. Il ne fit ni l'un ni l'autre.

Sur ses souvenirs, il referma simplement la porte. Et sortit doucement. Pour le jour où il serait prés à les accepter…

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Millereux Marie-Line.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.