Chapitre 15 : Ganymède, tisseur de reflets


Le vent souffla à travers les branches des chênes gigantesques de Dodone, et les feuilles vertes frémirent en un murmure assourdissant. A l'époque de la Grèce antique, quand des dizaines de pèlerins venaient chaque jour au Sanctuaire de Zeus apporter des offrandes en espérant que leurs suppliques seraient entendues, on disait que ce bruit était la voix du dieu. Aujourd'hui, l'espace qui s'étendait à l'ombre des arbres plus que millénaires était désert.

Pas tout à fait désert, non. Une réunion étrange était en train d'avoir lieu au beau milieu d'un cercle de chênes antiques, dont les troncs supportaient comme autant de piliers une épaisse voûte de feuillage, à l'endroit même où les devins de Zeus avaient à une époque prédit l'avenir. Quatre hommes et une femme se tenaient là, assis en un cercle approximatif, et un jeune adolescent était étendu entre eux, inconscient, les pieds et les mains entravées. Le vent parut faiblir un instant, puis reprit avec plus de force encore.

Arimaspe se racla la gorge. Vêtu d'une simple tunique blanche, le serviteur de Zeus se sentait nerveux. Pas vraiment pour une raison précise, mais plutôt en raison du vague pressentiment qui l'habitait depuis ce matin. Aujourd'hui était le jour de la première véritable offensive contre le Sanctuaire d'Athéna. Toute la stratégie qui s'ensuivrait dépendrait du camp qui aurait obtenu l'avantage quand le soir tomberait. Une victoire signerait presque certainement la perte d'Athéna. Une défaite, même si elle n'entraînerait peut-être pas des conséquences aussi extrêmes, pourrait contraindre les forces de l'Olympe à un repli temporaire.

Arimaspe se mordit les lèvres. Il aurait voulu participer au combat en première ligne, comme il en avait l'habitude. Mais les ordres de Zeus avaient été très explicites. L'attaque contre le Sanctuaire d'Athéna ne le concernait pas.

Le serviteur de Zeus jeta un coup d'oeil à son voisin de gauche. Hector se tenait assis en tailleur, le dos très droit, l'air aussi calme qu'à l'ordinaire. Le commandant des Bersekers risquait d'un moment à l'autre de devoir aller prêter main-forte à ses hommes engagés au Sanctuaire. Mais cela ne transparaissait nullement dans son expression. Il était détendu, serein, comme s'il ne s'agissait que d'une journée ordinaire dont il comptait malgré tout profiter au mieux. Il ne portait même pas son armure. Arimaspe n'aimait pas beaucoup Hector, qui avait reçu la responsabilité de cet assaut, mais il reconnaissait sa compétence. Le commandant des Bersekers était un excellent guerrier, doublé d'un stratège hors pair. Non, ce n'était pas Hector qui le préoccupait.

Les yeux d'Arimaspe dévièrent, très légèrement. Juste à la gauche d'Hector, et par conséquent face à lui, se tenaient les deux guerriers élémentaires, Meyastes et Sylphia. Meyastes, fermé, qui semblait réfléchir profondément. Sylphia, alerte, dont les yeux verts scrutaient tour à tour ceux qui l'entouraient. Les deux guerriers élémentaires qui étaient venu ce matin même rejoindre les forces de l'Olympe. Arimaspe aurait presque préféré qu'ils choisissent le camp ennemi.

Ce n'était pas vraiment le fait de savoir que leur puissance était nettement supérieure à la sienne qui le dérangeait. C'était le fait de savoir que ce qu'il voyait n'était que deux enveloppes vides, dominées par les esprits attachés aux armures qu'ils portaient. Meyastes, possédé par Inachos du Léviathan. Sylphia, possédée par Thidiakyne du Dragon de flammes. Inachos et Thidiakyne. Inachos, froid et inflexible. Thidiakyne, cruel et impitoyable. Deux des guerriers les plus puissants qui aient jamais vécu. Arimaspe se souvenait d'eux. Il se souvenait du jour où ils avaient abandonné leurs maîtres respectifs, Poséidon et Hadès, à l'instar du traître Boréen. Mais ils étaient morts. Cela faisait plus de deux mille ans qu'ils étaient morts. Et pourtant, d'une façon qu'il ne parvenait pas à concevoir, leurs esprits étaient restés liés à leurs armures. Et à présent, ils vivaient de nouveau, empruntant pour ce faire le corps de ceux qui avaient revêtus à leur tour ces armures disparues. Le corps de leurs descendants.

Arimaspe détourna les yeux. Au cours des siècles qu'avait duré son existence, il y avait bien peu de choses qui étaient parvenu à perturber son sens moral. Mais ça... Pourtant, Zeus leur avait ordonné d'accepter les guerriers élémentaires et de leur accorder tous les égards. Il n'avait pas à discuter.

Arimaspe posa finalement son regard sur l'homme qui se trouvait juste à sa droite. Un homme grand, aux traits à la fois fermes et fins et aux longs cheveux noirs qui lui tombaient dans le dos. Il portait une légère armure, dont la surface métallique s'irisait de temps à autre sous les rayons de soleil que laissait filtrer le feuillage épais. Arimaspe ne connaissait pas son véritable nom. Peut-être que personne ne le connaissait, hormis Zeus. Mais l'homme se faisait appeler Lumen. C'était le chef informel des Sculpteurs de Lumière, et certainement le plus puissant d'entre eux. Arimaspe le détestait cordialement.

_Bon, finit-il par dire pour rompre le silence pesant, puisque nous sommes tous ici, autant récapituler la situation. Hector, où en sont tes hommes ?

Hector haussa les épaules, mais son visage ne changea pas d'expression.

_Cinq de mes lieutenants sont morts. Apparemment, il n'y a pas eu de pertes chez les chevaliers d'Athéna, même si plusieurs ont été blessés sérieusement. Bien sûr, nous avons notre... prisonnier.

Il fit un signe de la tête en direction de l'adolescent étendu à même le sol herbeux. Hector ne manifestait pas un enthousiasme débordant à ce sujet et Arimaspe savait très bien pourquoi. Même si le prisonnier était effectivement le chevalier Pégase, même s'il avait été possible de le capturer uniquement parce que Eéséht du Minotaure lui avait infligé des blessures critiques, il n'en restait pas moins que ce n'était pas l'un des Bersekers qui l'avait fait. C'était Lumen qui s'était emparé du chevalier de bronze et l'avait amené ici à l'issue du combat terrible. D'une façon ou d'une autre, il s'était trouvé au bon endroit au bon moment. Et cet accomplissement ne ferait probablement que rehausser encore l'estime de Zeus pour lui, songea Arimaspe en grinçant des dents. Le chevalier Pégase était beaucoup plus utile comme otage que mort. Pour le moment, au moins, il n'avait pas reprit connaissance. Lumen avait empêché que ses blessures ne lui soient fatales, mais elles restaient sévères. Pour plus de sécurité encore, ses pieds et ses mains étaient liés par des chaînes d'orichalque, pratiquement indestructibles.

_Le Cyclope n'a pas encore atteint les Cinq Pics, reprit Hector après un instant. Et Phobos et Deimos doivent être en train d'affronter les gardiens du Sanctuaire, maintenant que Tityos est mort. Ce sont tous les deux les plus puissants parmi mes lieutenants, je ne doute pas qu'ils seront efficaces. J'ai également envoyé quelques autres Bersekers pour s'occuper des chevaliers qui n'ont pas encore rejoint le Sanctuaire.

Hector se tut abruptement. Geste faisait partie de ceux qu'il avait envoyé. Il avait confiance en lui, confiance en la force démesurée de l'enfant et en sa volonté de vaincre. Pourtant, depuis un instant, son cosmos semblait étrangement troublé...

*

_Meurs, Phénix !!

La vague d'énergie déferla comme une lame de fond, emplissant tout l'espace à la fois. Ikki écarquilla les yeux, stupéfait par cette débauche de puissance, mais se reprit aussitôt. A cette distance, il n'avait aucune chance d'esquiver. Croisant les bras devant lui pour se protéger, il se prépara à encaisser l'attaque.

L'impact fut si violent qu'il faillit perdre connaissance. Ikki vola en arrière comme une marionnette désarticulée. L'espace d'un instant, ses yeux s'obscurcirent et il ne sut plus où se trouvait le haut ni où se trouvait le bas. Puis il se reprit et réalisa qu'il était en train de tomber. Très rapidement. Un moment, Ikki songea à déployer ses ailes pour arrêter sa chute, avant de réaliser que, s'il faisait cela, il donnerait également à Geste l'occasion rêvée de lui porter un coup autrement plus dangereux, qu'il ne pourrait aucunement parer. Mieux valait continuer de descendre. Un combat dans les airs contre cet adversaire-là ne tournerait pas à son avantage.

Ikki intensifia son cosmos pour accroître encore sa vitesse tout en se protégeant du frottement de l'air, alors qu'il franchissait en un éclair la mince couverture nuageuse. Le paysage s'étendait en-dessous de lui comme une fresque d'une infinie précision. La mer au bleu riche et profond. Les côtes rocheuses abruptes et découpées. Une fresque qui s'agrandissait peu à peu. Il fallait qu'il trouve un endroit où atterrir. Et après ? Il aviserait.

L'esprit d'Ikki fonctionnait avec une clarté stupéfiante, comme à chaque fois lors d'un combat à mort. Chercher, analyser, trouver. Presque sans réfléchir, il modifia légèrement sa trajectoire pour se diriger vers la côté. Pas d'habitations de ce côté. Parfait. Une fois au sol, il lui serait plus aisé de trouver une façon de neutraliser son adversaire que si celui-ci était libre de voler autour de lui. Il fallait simplement qu'il ait le temps de se poser et de l'attendre, et, apparemment, Geste ne le suivait encore qu'à distance. Ikki sentait très clairement son aura, terriblement puissante, rageuse et destructrice. L'aura de Saga avait été la même lors du combat qui s'était livré entre eux. Ce désir absolu de tuer, de faire naître souffrance et terreur avant de tuer... Ikki frissonna. Cela n'allait pas être facile.

Loin, bien loin d'ici, il pouvait sentir indistinctement que son frère était également en danger. Son cosmos était perturbé, comme hésitant. Il ne pourrait pas l'aider cette fois-ci.

Il aurait de la chance s'il pouvait s'aider lui-même à rester en vie.

*

_Le vrai danger, acheva Hector, c'est l'inconnue que représentent les deux chevaliers élémentaires qui ont pu se rallier au Sanctuaire. Ou peut-être même trois, d'après certains rapports.

Un silence s'ensuivit. Le vent s'était réduit à un chuchotement.

*

Assise à même le sol, Shina essayait de se concentrer. L'armure qu'elle portait entourait son corps comme une seconde peau, comme si elle était vivante aussi. Les vibrations qui en émanaient lui rappelaient son ancienne armure d'Ophiucus. Et pourtant, elles étaient subtilement différentes. Et cette voix, qu'il lui semblait parfois entendre... Si seulement elle pouvait comprendre ce qu'elle lui disait, elle avait l'impression très nette qu'elle aurait enfin les réponses à ses questions.

Non, elle n'avait plus le temps pour cela. Shina se releva précipitamment, grimaçant sous son masque. La bataille avait déjà commencée devant la Maison du Bélier. Deux hommes, dont elle n'avait pas reconnu le cosmos, étaient apparemment venus prêter secours au Sanctuaire, mais il ne fallait pas prendre de risque. Elle allait se rendre immédiatement sur place et...

Shina s'immobilisa. Il y avait quelqu'un, là, à moins de deux mètres sur sa gauche. Elle ne l'avait pas remarqué jusqu'au moment où elle s'était levée. C'était un enfant, qui ne devait guère avoir plus d'une dizaine d'années. Vêtu d'une sorte de tunique claire, il avait des cheveux noirs et des yeux sombres qui brillaient d'amusement. Il lui souriait.

*

_C'est probablement exact, dit tout à coup Lumen. Zeus nous a recommandé de faire particulièrement attention à ces guerriers. Il serait certainement intéressant de savoir quelles sont leurs capacités exactes.

Il avait une voix agréable, à la fois grave et douce, qui ne semblait jamais marquer une expression autre que le calme et la concentration.

_C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai envoyé quelqu'un au Sanctuaire.

_Quoi ?! s'exclama Arimaspe, stupéfait, se levant presque de l'endroit où il était assis. Tu as envoyé...

*

_Qui es-tu ? demanda Shina, indécise quant à l'attitude à adopter.

Le sourire de l'enfant s'élargit.

_Je m'appelle Ganymède, répondit-il d'une voix joyeuse. Mais les autres Sculpteurs de Lumière m'appellent Gany.

Et, au moment où il prononçait ces mots, le soleil étincelant de tous ses feux vint se refléter sur l'armure translucide qui le recouvrait.

*

_Tu as envoyé ce gamin immature de Ganymède au Sanctuaire pour qu'il affronte l'un des guerriers élémentaires ?!

Les lèvres de Lumen se serrèrent imperceptiblement et son visage se durcit.

_Ganymède est mon meilleur élève, répliqua-t'il d'une voix presque tranchante. Il n'a que onze ans, mais il maîtrise la quasi-totalité de mes techniques et son potentiel de progression est encore considérable. Accessoirement, c'est un Sculpteur de Lumière à part entière et, si tu le critiques encore une fois en ma présence, je te le ferais regretter.

Les phalanges d'Arimaspe se crispèrent jusqu'à en devenir blanche. Il aurait voulu pouvoir faire rendre gorge à ce parvenu arrogant dans l'instant. Mais Zeus leur avait ordonné de coopérer. Bouillonnant de rage intérieure, Arimaspe se contint néanmoins. Hector ne le soutiendrait pas s'il s'en prenait à Lumen. Le commandant des Bersekers avait lui aussi admis un gamin parmi ses hommes. Quand aux guerriers élémentaires, il préférait ne pas deviner comment ils réagiraient.

*

Shina se mit en garde. L'enfant n'avait toujours fait aucun mouvement agressif, mais elle sentait son cosmos, à présent. Un cosmos remarquable, d'un jaune pâle presque blanc. Puissant, mais pas suffisamment pour se révéler dangereux contre la force qu'elle sentait en elle. Elle n'avait rien à craindre. ...plus dangereux qu'il n'y paraît... Il lui suffirait de l'immobiliser sans lui faire de mal. ...cache une partie de son cosmos... Après cela... Il cachait une partie de son cosmos ??

Shina sursauta. Un bref instant, il lui avait semblé qu'une voix lui murmurait des conseils à l'oreille. Elle devait rêver. Pourtant... Le cosmos de l'enfant s'était accru. Il était plus fort, plus brillant. Et Ganymède souriait toujours, de ce sourire qui ne semblait ni ironique, ni agressif, mais qui paraissait pourtant receler une menace terrible.

_Bon, dit-il tout à coup d'une voix teintée d'un amusement innocent, je crois qu'il va falloir que je vous tue.

Le cosmos blanc-jaune s'embrasa. Mais Shina était déjà prête. L'énergie terrible qu'elle ressentait depuis qu'elle avait revêtu cette armure affluait dans ses veines, et elle pouvait la déchaîner du moindre geste de la main. Une force colossale, qu'elle n'aurait pu concevoir seulement une semaine plus tôt, animait chacun de ses membres. Rien ne pouvait résister à cette force. Pourtant, elle attendit patiemment que Ganymède arrive sur elle, le poing brandi, pour lancer à son tour son attaque.

_Par les griffes du tonnerre !!

*

_Même s'il a un niveau convenable, reprit malgré tout Arimaspe, tu ne peux pas prétendre que Ganymède fera le poids contre un guerrier élémentaire ! Il va se faire massacrer !

_Ce n'est pas certain, intervint Meyastes, sortant tout à coup du mutisme dans lequel il s'était confiné depuis le début.

*

_Avec cette force, vous ne devriez pas utiliser une attaque aussi déficiente.

Shina se retourna, haletante. Elle avait porté son coup alors que Ganymède était juste devant elle. Elle était certaine d'avoir atteint la vitesse de la lumière. Il aurait dû être impossible d'en réchapper. Et pourtant, Ganymède se tenait juste devant elle, les bras croisés, résolument indemne. Et son sourire n'avait pas disparu.

_Vous voyez, fit-il d'une voix d'autorité, comme s'il récitait quelque chose qu'on lui avait appris, une attaque qu'on lance à la vitesse de la lumière doit impérativement être parfaite. Un défaut mineur n'entamera pas l'efficacité d'une attaque portée à deux ou trois fois la vitesse du son, mais, à la vitesse de la lumière, il donne à l'adversaire un avantage considérable. Votre attaque n'est pas faite pour être employée à la vitesse de la lumière. Elle est très nettement imparfaite.

Shina le fixa. Imparfaite ? Oui, les Griffes du Tonnerre ne sont pas efficaces contre un adversaire qui attaque au niveau du sol. Comment était-il possible de percevoir et d'exploiter d'entrée un défaut dans une attaque à la vitesse de la lumière, de toute façon ? Il l'a déduit à partir de ta posture. C'est comme ça qu'il a pu te toucher. Shina cligna des yeux. Toucher ? Mais...

Stupéfaite, Shina découvrit le sang qui maculait sa main gauche. La blessure était superficielle, et elle ne l'avait pas ressentie sur le coup. Mais, s'il était parvenu à la toucher alors qu'il n'avait jamais vu l'attaque auparavant, cela signifiait que, la prochaine fois qu'elle emploierait les Griffes du Tonnerre, il serait très probablement en mesure de la tuer.

Et, brusquement, le sourire de Ganymède était la chose la plus effrayante qui soit.

*

_La puissance d'un guerrier élémentaire ne provient pas directement de l'armure, fit Sylphia avec une grimace sarcastique qui découvrit ses dents blanches. Elle provient en fait de l'esprit de son ancien propriétaire qui y est resté attaché.

Arimaspe ne put s'empêcher de frissonner quand elle rit, d'un rire dur et mauvais. De son vivant, Thidiakyne avait eu la réputation d'être un monstre, qui se complaisait dans la souffrance et la destruction. Et même s'il était maintenant de leur côté, Arimaspe ne pouvait s'empêcher de souhaiter qu'il n'ait pas survécu à sa propre mort, qu'il ne soit pas revenu de l'oubli.

_Le niveau de puissance de quelqu'un revêtant l'une des armures élémentaires dépendra en fait de l'harmonie entre lui et l'esprit de l'armure, expliqua Meyastes d'un ton neutre. Si le porteur ne s'harmonise pas avec l'esprit, il ne disposera que d'une fraction infime du pouvoir de l'armure.

_Evidemment, reprit Sylphia, ses yeux brillant d'un éclat malsain, le moyen le plus simple de s'assurer qu'ils s'harmonisent est que l'esprit domine le porteur, comme nous l'avons fait. Mais ni Boréen ni Gaia ne feront une chose pareille. Ils ont trop de... principes.

Elle partit de nouveau d'un rire qui fit courir des aiguilles de glace le long de l'épine dorsale d'Arimaspe.

_Ce qui veut dire, conclut tranquillement Lumen, qui ne semblait pas perturbé le moins du monde, que Ganymède a toutes ses chances.

*

Shina écarquilla les yeux. C'était démentiel. Elle avait été sur le point d'attaquer de nouveau, cette fois-ci sans employer sa technique secrète, quand Ganymède s'était... multiplié. Elle ne voyait pas d'autre moyen d'expliquer cela. Ils étaient maintenant six à lui faire face. C'est une illusion. Un éclair d'irritation traversa Shina. Elle se doutait bien que c'était une illusion. Elle avait déjà vu Astérion faire la même chose à une occasion. Mais comment était-elle censée déterminer lequel était le vrai ? Ils paraissaient tous aussi réels les uns que les autres. Pire, ils n'agissaient absolument pas de la même façon. On aurait dit qu'il y avait vraiment six Ganymède, ayant chacun un esprit propre.

_J'appelle ça mes jeux de lumière, dit Ganymède d'une voix très sérieuse, comme s'il présentait un jouet à un adulte. C'est très facile, une fois qu'on a l'habitude.

Shina voulut battre en retraite, puis renonça. Les six reflets de Ganymède s'étaient déplacés pour venir l'encercler, lui coupant tout moyen de s'échapper. Et, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à déterminer d'où venait la voix. Même son sixième sens était inutile. Elle ne parvenait pas à trouver comment elle pourrait faire la différence entre le vrai Ganymède et ses illusions. Dans ce cas, la meilleure solution est peut-être d'attendre qu'il passe à l'offensive. Shina grinça des dents. Cette voix dans son esprit commençait à l'irriter, d'autant que ses fameux conseils ne l'aidaient pas à grand-chose.

Le Ganymède qui se trouvait juste sur sa gauche bougea brusquement, si vite qu'elle parvint tout juste à réagir à temps. Esquissant un pas sur le côté, elle leva les bras en une parade... Illusion. Le coup la traversa sans qu'elle ne ressente rien. Mais, déjà, deux autres des reflets l'attaquaient, l'un visant les jambes et l'autre visant la tête. Illusions, tous les deux. Les deux faux-semblants se dissipèrent au moment même où ils allaient l'atteindre. Shina roula en arrière, se demandant comment diable la voix fantomatique faisait pour distinguer les faux du vrai. C'est une question de tactique. Il faut savoir deviner les pensées de l'adversaire... Les trois reflets restants se jetèrent sur elle en même temps. Réagissant à la vitesse de la lumière, Shina bondit de côté, pivotant aussitôt sur elle-même pour décocher un coup de pied au premier qui s'approchait... Il y eut un déplacement d'air juste devant elle, qu'elle perçut à peine. Ils avaient disparus. Les trois reflets s'étaient estompés comme s'ils n'avaient jamais existé.

_Ce masque n'est pas très beau, je trouve, fit une voix songeuse juste derrière elle. Vous n'êtes pas d'accord avec moi ?

Shina se retourna précipitamment. Ganymède se tenait juste là, à quelques mètres à peine, et il observait d'un air songeur le masque d'acier qui se trouvait entre ses doigts. Le masque ?! Shina porta les mains à son visage et ses doigts rencontrèrent le contact de la peau nue. Il lui avait enlevé son masque sans même qu'elle s'en rende compte ?! Mais c'était... c'était...

_Vous êtes vraiment jolie, dit Ganymède en la regardant, l'air surpris comme s'il ne s'y était pas attendu. Je ne comprends pas pourquoi vous portiez ce masque. Et je ne vous ai même pas demandé comment vous vous appeliez, au fait.

_Shina... laissa échapper la jeune femme stupéfaite avant de se reprendre. Chevalier d'argent Shina de l'Ophiucus.

Ganymède eut un sourire radieux et il inclina légèrement la tête.

_Mademoiselle Shina, fit-il de sa voix d'enfant, je suis désolé de devoir me battre contre vous maintenant que j'ai vu votre visage. Mais je l'ai promis à mon maître.

Shina aurait voulu que la sueur cesse de ruisseler sur son front.

*

_Tout de même, observa Arimaspe à l'issue d'une discussion particulièrement longue, je ne vois pas bien à quoi va servir cela.

_A étudier les capacités de ces guerriers élémentaires, répondit patiemment Lumen. Et à semer le doute dans leurs esprits quand aux capacités dont ils disposent. S'ils doutent, ils ne pourront jamais s'harmoniser avec l'esprit de leurs armures.

Meyastes hocha brièvement la tête en signe d'approbation.

_Mais Ganymède devra révéler ses propres techniques par la même occasion, argumenta Arimaspe, à court de meilleurs arguments.

_Non, fit Lumen en secouant légèrement la tête. Je lui ai interdit d'employer ses techniques secrètes contre les guerriers élémentaires. Il se battra sans y avoir recours.

*

Shina plissa les yeux. Ganymède avait reculé de quelques pas et se tenait maintenant en garde. Une garde qui semblait peu appliquée, mais qui, elle le remarqua rapidement, ne comportait pas de véritables défauts. Une bonne partie de sa technique se base sur des faux-semblants. Le tout est de savoir laquelle. Shina se mit en garde à son tour. Logiquement, elle avait une portée légèrement supérieure à la sienne, étant plus grande. Peut-être que cet avantage suffirait...

Ganymède fondit sur elle. Shina faillit être prise au dépourvu. La transition avait été instantanée, passant de l'immobilité relative à un déplacement proche de la vitesse de la lumière. Proche seulement ? Alors même que Shina se préparait à bloquer l'attaque qui arrivait, elle réalisa avec stupeur qu'elle ne parvenait pas à distinguer précisément où se trouvait Ganymède. Son corps était flou, comme s'il se déplaçait au contraire trop rapidement pour qu'elle puisse le suivre. Non, c'est encore une illusion ! Il déforme la lumière autour de lui pour que... Ganymède était sur elle. Shina ébaucha précipitamment une parade contre le coup qu'elle voyait venir à la tête. L'instant d'après, le poing de Ganymède la frappa en plein ventre, la pliant en deux et la projettant en arrière avec une violence terrifiante. Shina s'écrasa brutalemment à une dizaine de mètres.

Un bourdonnement terrible dans les oreilles et des points noirs qui dansaient devant ses yeux, Shina fit un mouvement pour se relever. Impossible. Son corps était tétanisé, elle ne pouvait pas réagir. Indistinctement à travers les brumes qui l'entouraient, elle pouvait juste sentir Ganymède approcher...

*

Ikki fit un pas en arrière, parvenant de justesse à ne pas tomber. Tout autour de lui, des cratères béants sur lesquels planaient des nuages de poussière témoignaient de la violence du combat qui s'était déroulé sur la côte escarpée. Un combat où, malgré tous ses efforts, il n'était pas parvenu à avoir le dessus. Ikki essuya d'un revers de main le sang qui lui coulait sur le front et essaya d'ignorer la douleur de ses nombreuses blessures. Ce n'était pas encore fini, pourtant.

Geste s'avança vers lui d'un pas lent, comme pour savourer son angoisse. Le jeune Berseker arborait également les traces des coups de son adversaire, mais ne semblait pas ressentir la moindre souffrance, perdu qu'il était dans sa fureur guerrière. Ses yeux déments fixaient sauvagement Ikki et son aura brûlait frénétiquement. Pas à pas, il réduisit la distance entre lui et le chevalier Phénix, jusqu'à ce qu'il se tienne à moins d'une dizaine de mètres. A ce moment-là, Ikki le vit croiser les mains devant lui, en un geste qu'il reconnut aussitôt, pour l'avoir vu exécuter par Saga et son frère Kanon.

_Mon père n'a jamais voulu m'enseigner ses techniques, confia Geste, un sourire démoniaque aux lèvres, tandis que son énergie s'intensifiait encore. Je suppose qu'il avait peur que je ne les utilise contre lui. Mais je l'ai vu utiliser celle-ci à deux reprises contre toi et cela a suffit pour que je la retienne.

Le cosmos haineux de Geste atteignit son paroxysme. La mâchoire crispée, sachant ce qui arrivait, Ikki ramena les bras devant lui pour se protéger.

_Meurs, Phénix ! Par l'Explosion Galactique !!

*

Shina battit des paupières, tandis que sa vue se clarifiait enfin. Ganymède se tenait juste à côté d'elle, une main levé pour lui porter un coup fatal. Mais il avait arrêté son mouvement et semblait regarder dans le vide, comme s'il voyait quelque chose se situant au-delà de l'horizon. Pour une fois, son sourire avait disparu et il avait l'air surpris.

_Non, murmura-t'il en un souffle, si bas qu'elle l'entendit à peine. Geste, qu'est-ce que tu fais ?

Puis ses sourcils se froncèrent et son visage prit une expression de profonde concentration. Une demi-seconde plus tard, une aura de lumière intense vint le recouvrir. Il y eut un bourdonnement d'énergie contrôlée et, l'instant d'après, Ganymède avait disparu.

Les yeux écarquillées, Shina ne bougea pas immédiatement, s'attendant à moitié à ce que ce ne soit qu'une nouvelle illusion. Il s'est téléporté. Puis elle entreprit de se relever, avec un peu de mal. La douleur était en train de disparaître progressivement. Examinant son armure, elle fut un peu surprise de découvrir qu'elle était absolument intacte. L'impact du coup de Ganymède aurait probablement suffit à détruire en une fois son ancienne armure d'argent. Les armures élémentaires sont plus résistantes que n'importe quelle autre, hormis les armures divines. Et l'armure de la terre est la plus solide des quatre. Seul un dieu aurait une chance de la détruire. Shina secoua la tête. C'était trop. Cette armure, la voix dans son esprit, Ganymède... Tout cela était arrivé en un temps si court qu'elle n'était pas parvenu à l'assimiler. Le sang cognait à ses tempes et elle aurait voulu pouvoir s'évanouir une bonne fois. C'est bien le moment de jouer les femmes sensibles. Tu ferais mieux de suivre ce Ganymède. Shina se hérissa. Avant tout, elle aurait surtout voulu pouvoir mettre un nom sur cette voix arrogante et prétentieuse, et surtout un visage sur lequel elle puisse se défouler. Comment était-elle censée deviner où il s'était téléporter ? Je m'appelle Gaia et je suis morte depuis plusieurs millénaires, ce qui fait que tu as peu de chance de pouvoir passer tes nerfs sur moi. Accessoirement, je suis ton ancêtre à je ne sais quel degré et j'aimerais bien un peu de respect de ta part. Et, pour finir, il est très facile de suivre quelqu'un par téléportation une fois que l'on sait comment faire. Concentre-toi simplement, et accède à mes connaissances...

Shina leva les yeux au ciel. Indestructible ou pas, elle commençait à maudire intérieurement le moment où elle avait découvert cette armure. Mais ce n'était pas le moment. La disparition subite de Ganymède ne cachait probablement rien de bon. S'efforçant de faire le vide dans son esprit, Shina entreprit progressivement de s'accorder aux vibrations de l'armure...

*

Ikki évita le dernier coup et battit en retraite une nouvelle fois. Geste suivit, son cosmos brûlant toujours comme s'il ne devait jamais faiblir, son visage couvert de sang figé en une expression démente. Rien à faire. Il avait encaissé plusieurs attaques qui aurait dû suffire à tuer n'importe qui et il avançait toujours comme s'il n'avait pas subi la moindre égratignure.

Ikki faillit trébucher et se reprit de justesse. L'Explosion Galactique l'avait frappé de plein fouet, mais il était parvenu à réduire l'impact. Un peu. La technique de Geste ne reproduisait pas parfaitement celle de Saga, mais elle n'était pas moins efficace. Le choc avait sérieusement endommagé l'armure du Phénix, et Ikki ne pouvait s'empêcher de se demander combien de temps elle tiendrait encore. L'armure noire de Geste n'était pas intacte non plus, mais l'enfant ne semblait pas y accorder la moindre importance. Il ne semblait pas accorder la moindre importance à quoi que ce soit, hormis la destruction de celui qui se trouvait devant lui.

Geste s'arrêta et prit une garde étrange que Ikki ne reconnut pas. Probablement pour déclencher l'une des attaques qu'il avait développées par lui-même. Ikki se doutait qu'il ne survivrait pas si le combat se poursuivait encore longtemps. Le moment était venu d'employer son dernier atout. Recourir au Genma Ken une seconde fois, pour ramener à la surface l'autre personnalité de Geste et affaiblir ainsi son esprit. Ikki ne savait pas si c'était possible, mais c'était très certainement sa dernière chance.

Un instant de silence passa tandis que les deux guerriers se dévisageaient l'un l'autre, immobiles.

Puis il y eu un bref flamboiement à côté d'eux et un jeune garçon aux cheveux noir apparut juste à la gauche de Geste.

_Geste, qu'est-ce qui t'arrive ? s'exclama-t'il presque aussitôt. Ton cosmos...

_Dégage, Ganymède, grogna Geste sans même tourner la tête. Tu me gênes.

Resté concentré sur son adversaire, Ikki le vit bouger légèrement la main droite vers l'avant et se tendit, prêt à lâcher sa propre attaque. Mais Ganymède saisit le poignet de Geste, l'immobilisant.

_Je me moque bien que tu le tues ou pas, fit-il d'une voix préoccupée, mais tu n'es pas dans ton état normal. Tu devrais...

Les yeux de Geste flamboyèrent.

_Tu me... fatigues !

Le coup atteignit Ganymède en pleine poitrine, le faisant voler en arrière. Les dents découvertes en une grimace, Geste se retourna aussitôt pour faire face à Ikki, les mains tendues devant lui comme des serres. Il esquissa un pas en avant... puis ses yeux roulèrent dans leurs orbites et il s'effondra, inconscient.

Stupéfait, Ikki découvrit derrière lui le jeune garçon qui venait d'arriver, qui s'était présenté sous le nom de Ganymède. D'une manière ou d'une autre, il avait dû se relever juste après avoir reçu le coup et frapper Geste derrière la nuque. A présent, il regardait le corps sans connaissance de l'autre garçon, dont les cheveux étaient revenus à mi-chemin entre le gris et le bleu. Il avait l'air pensif, presque sombre. Au bout d'un moment, il releva les yeux et fixa Ikki.

_Je n'aime pas beaucoup ce que vous avez fait à Geste, dit-il d'une voix inexpressive. Je trouve que ça manque un peu de fair-play.

Ikki le vit s'avancer vers lui, et réalisa qu'il venait juste d'échanger un adversaire contre un autre. Pourtant, il ne dit pas le moindre mot et se prépara de nouveau à combattre. Ganymède paraissait à peu près le même âge et la même taille que Geste. La comparaison s'arrêtait là. Ganymède n'avait pas l'air d'un guerrier. Il paraissait aussi frêle que n'importe quel enfant normal d'une dizaine d'années, et l'armure qui le recouvrait était pratiquement invisible. Même son aura décolorée ne dégageait aucune haine, aucune colère, aucun esprit combatif. Aucune émotion. Si, une seule : une sorte de très léger amusement, presque imperceptible à présent. Ikki se sentit brusquement empli de dégoût pour ceux, hommes ou dieux, qui utilisaient ainsi des enfants aux fins de se battre.

Le Genma Ken restait probablement la meilleur solution. Avec son aura, Ganymède ne pouvait pas être totalement sain d'esprit. Ikki se prépara à l'utiliser... quand il vit avec stupeur les contours de l'enfant devenir flou, ses traits se brouiller... Ikki plissa les yeux, incrédule, mais cela n'eut pas le moindre effet. Ganymède n'était à présent plus qu'une tâche de blancheur indistincte qui s'avançait sur lui.

Ikki se força à se reprendre. C'était forcément une illusion. Il lui suffisait de se concentrer et... Trop tard, il réalisa que cela ne fonctionnerait pas. Ganymède ne projetait pas son illusion dans son esprit, il la créait directement en déformant la lumière. Ikki eut tout juste le temps de ramener les bras devant lui...

_Par la clarté céleste !

...avant qu'une lumière blanche aveuglante ne le frappe de plein fouet, lui brûlant les yeux avant de le faire basculer dans le noir le plus profond.

Ganymède resta un instant immobile devant le corps inconscient du chevalier Phénix, se demandant vaguement s'il devrait l'achever. Puis il entendit le bruit de déplacement d'air derrière lui, et il sourit.

_Vous m'avez retrouvé, mademoiselle Shina, dit-il sans même tourner la tête. Vous êtes très douée.

_Je voulais savoir pourquoi tu ne m'avais pas achevée, répondit la voix féminine derrière lui.

Ganymède se retourna. Shina se trouvait à une dizaine de mètres de lui, en garde, concentrée. Si le fait de découvrir les corps inconscient de Phénix et de Geste la surprenait, elle n'en donnait pas le moindre signe.

_Je ne pense pas que vous m'auriez laissé vous achever si facilement, répondit Ganymède, en haussant les épaules d'un air enfantin. Et, de toute façon, mon devoir était seulement de vous tester, pas d'essayer de vous tuer.

Son sourire s'élargit tandis qu'il la regardait.

_Et je pense que j'ai à peu près accompli ma tâche. Que diriez-vous d'un dernier assaut, mademoiselle Shina ? Je n'utiliserai pas mes illusions.

Shina le vit se mettre en garde et intensifier son aura sans pour autant se départir de son expression amusée. Son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine. Même sans ces illusions, est-ce qu'elle avait une chance ? Utilise mes connaissances ! Accorde-toi à moi et sers-toi de mes techniques de combat ! Shina frémit. Elle n'avait pas le choix. Prenant une profonde inspiration, elle se contraignit à se calmer. Et lentement, très lentement, sous les yeux pétillants de Ganymède qui la regardait sans bouger, elle entreprit d'estomper sa propre personnalité pour s'adapter à l'armure. D'oublier ses peurs, ses doutes, ses émotions. D'oublier ses propres techniques de combat, qu'elle avait acquise en risquant sa vie et qui ne suffiraient pas ici. De se rappeler les souvenirs d'une autre...

Là. Là ! Elle se souvenait ! La succession de gestes venait d'apparaître à la surface de son esprit, comme émergeant des profondeurs du vide. Une attaque simple, directe et rapide. Elle ne l'avait jamais employé, et pourtant il lui semblait qu'elle était à présent imprimé dans son esprit, comme si elle l'avait déjà pratiquée de nombreuses fois.

_Faites attention, mademoiselle Shina, lui lança Ganymède brusquement.

Shina intensifia son cosmos au moment où il lança son attaque. L'énergie crépitait dans l'air autour d'elle tandis qu'elle la canalisait autour de ses mains. Attaquer... maintenant !

_Par la foudre d'acier !

*

_Malgré tout, dit tout à coup Meyastes, qui n'avait pas parlé depuis un moment, si le combat se prolonge trop, le porteur, quel qu'il soit, finira par s'harmoniser plus ou moins à l'esprit de l'armure. Cette harmonisation ne durera probablement pas longtemps une fois que le combat sera terminé, mais, tant que ce ne sera pas le cas, le porteur disposera d'une puissance terrible.

_Ganymède est un excellent combattant, même sans ses illusions et ses attaques secrètes, répondit simplement Lumen, un sourire fugitif venant éclairer son visage. La technique de combat que je lui ai enseigné se base entre autres sur la fluidité totale des mouvements. Le simple fait de se déplacer à la vitesse de la lumière ne suffira absolument pas contre lui.

*

Shina s'effondra au sol, un goût de sang dans la bouche. Une fissure légère, presque imperceptible, apparaissait à la surface de son armure au niveau du coeur. Elle se sentait la tête étrangement légère et ne parvenait pas à penser correctement. Ce fut à peine si elle réussit à se retourner vers son adversaire.

Ganymède se trouvait à quelques pas de là, apparemment indemne, alors même qu'elle était sûre de l'avoir touché. Il avait chargé sur son épaule le corps inconscient de l'autre jeune garçon.

_Il faut que je m'en aille, mademoiselle Shina, fit-il avec un air d'excuse en la regardant. J'espère que je pourrais vous revoir.

Un flamboiement de lumière. Il avait disparu.

Shina poussa un profond soupir, relâchant par la même occasion la tension qui l'avait habitée, mais n'essaya même pas de se relever. Elle aurait vraiment voulu pouvoir s'évanouir. Mais elle n'avait même pas le temps pour cela. Il fallait qu'elle retourne au Sanctuaire aussi vite que possible.

*

A Dodone, la réunion prit abruptement fin quand Ganymède se matérialisa parmi les arbres épais, Geste entre ses bras. En temps normal, le Sanctuaire de Zeus était inaccessible à la téléportation, mais, pour les besoins de l'attaque en cours, la restriction avait été provisoirement levée.

Hector se leva précipitamment dès qu'il aperçut le corps inconscient de Geste.

_Il a été frappé par une attaque mentale de Phénix, je crois, expliqua Ganymède, d'un air presque préoccupé, tandis que Hector soulevait délicatement le jeune Berseker.

_Je te remercie de l'avoir ramené, dit-il avec un signe de tête avant de se tourner vers les quatre autres adultes, qui s'étaient levé à leur tour. Je crois qu'il est temps de mettre fin à cette réunion. Je vais m'occuper de Geste et, après cela, il faudra probablement que je me rende au Sanctuaire. Arimaspe, tu devrais t'occuper du prisonnier.

L'intéressé n'eut pas l'air enchanté de la chose, mais il acquiesca néanmoins. L'instant d'après, Hector s'éloignait à grands pas, emmenant Geste inconscient avec lui, tandis que Sylphia et Meyastes partaient ensemble de leur côté, disparaissant presque aussitôt parmi les grands arbres où le vent avait cessé de souffler.

Lumen ébouriffa légèrement les cheveux de Ganymède, qui sourit.

_Viens. Nous aussi, nous avons des choses à faire.

_Qu'est-ce qui va se passer, maître ? demanda Ganymède avec curiosité tandis qu'ils quittaient tous deux le lieu où avait eu lieu la réunion.

_Nous allons rejoindre les autres Sculpteurs de Lumière et nous rendre au Sanctuaire, répondit Lumen. Zeus nous a ordonné de ne pas prendre de risques démesurés, mais notre présence suffira peut-être malgré tout à faire pencher la balance. Tu me raconteras ce que tu as appris en chemin. Et il faudra aussi que tu panses cette blessure.

Ganymède eut l'air surpris et ses yeux s'écarquillèrent légèrement lorsque son maître désigna son épaule gauche. L'épaulière translucide avait été fracassée, et en-dessous s'élargissait peu à peu une tâche de sang sur la tunique blanche.

_Vous ne m'aviez pas manqué en fin de compte, mademoiselle Shina, murmura Ganymède, étonné. Mais cette attaque-là ne marchera plus sur moi la prochaine fois où nous nous verrons.

*

Meyastes s'arrêta et se retourna vers Sylphia, le visage fermé.

_J'ai à te parler.

Sylphia fronça les sourcils, mais ne répondit pas. Un long moment s'écoula sans qu'aucun des deux ne dise un mot, ou ne fasse un mouvement. Le vent souffla faiblement entre les branches, puis s'éteignit de nouveau. Les deux chevaliers élémentaires se fixaient l'un l'autre sans ciller. Les yeux glacés d'Inachos. Les yeux brûlants de Thidiakyne. Aucune émotion n'apparaissait sur leurs visages. Chacun regardait l'autre, comme s'il essayait de lire en lui.

Puis Meyastes sourit, et Sylphia l'imita une demi-seconde plus tard.

_Alors, toi aussi...

Meyastes hocha la tête.

_Oui. Il me semblait avoir disparu, n'être plus qu'un souvenir anonyme au fin fond de l'esprit de quelqu'un d'autre. Et puis, subitement, j'ai repris le dessus.

Sylphia fit la grimace. Il lui était arrivé exactement la même chose. Elle était brusquement revenue à elle en plein milieu de la discussion qui avait eu lieu parmi les grands chênes de Dodone. Elle était à peu près certaine qu'aucun des autres ne l'avait remarqué, ou du moins elle l'espérait.

_Tu as une idée de comment nous avons fait ? demanda-t'elle, perplexe.

Meyastes haussa les épaules.

_Je n'en sais rien. Mais je soupçonne que ces esprits, aussi forts qu'ils soient, ne sont tout simplement pas assez puissants pour... dominer nos esprits pendant de longues périodes.

Sylphia frissonna. Elle se souvenait parfaitement de tout ce qui s'était passé pendant toute la période où Thidiakyne l'avait contrôlé. Elle avait partagé son esprit et ses souvenirs, elle avait senti la folie qui brûlait en lui, elle avait vu tout ce qu'il avait fait au cours de son existence comme si c'était elle qui l'avait vécu... Non. Non, elle ne voulait pas y repenser. Et pourtant, la voix démente était toujours là, à l'arrière de son esprit, marmonnant des paroles incohérentes, hurlant et riant par moment, plus faible qu'auparavant, mais toujours là. Sylphia se demanda combien de temps elle pourrait résister à cette pression intérieure. Un coup d'oeil à l'expression crispée de Meyastes lui apprit qu'il ressentait exactement la même chose.

_Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda-t'elle au bout d'un temps.

_Je n'aime pas être manipulé, répliqua Meyastes, la mâchoire crispée. Avant tout autre chose, cependant, le mieux serait de trouver quelqu'un pour nous raconter exactement ce qui se passe. Peut-être que nous pourrions trouver des réponses à ce fameux "Sanctuaire d'Athéna", si quelqu'un nous y amenait.

Leurs regards à tous les deux se dirigèrent dans la direction où se trouvait Arimaspe et le prisonnier capturé par Lumen.

_Il va falloir jouer serré pour ne pas avoir à se battre, observa Sylphia.

Une chose dont elle était sûre, au moins, était que le fait d'engager un combat contre qui que ce soit tant qu'elle porterait cette armure donnerait à Thidiakyne une occasion parfaite de reprendre le contrôle. Elle sentait sa présence dans son esprit, rageuse et violente. Elle ne garderait pas la maîtrise de son esprit si elle devait se battre. Et, sans armure, elle n'était qu'une jeune femme ordinaire.

_Alors, il faudra nous servir de nos têtes, répondit Meyastes avec un nouveau sourire, surprenant chez lui.

Sylphia lui sourit en retour. Au moins, elle n'était pas seule dans cette histoire.

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.