Chapitre 11 : Renaissance


Le sommet d'un piton rocheux, point culminant de l'Ile de la Mort, le crépuscule d'un destin. Sciron soulève son ancien maître au-dessus du vide, le tenant fermement à la gorge de sa main griffue. Quelques centaines de mètres plus bas, le détroit de Charybde semble attendre impatiemment le moment d'avaler la victime que lui offre le nouveau chef des Chevaliers Noirs. Suppliant, tétanisé et impuissant, Sauran sent ses forces le quitter. Ses sens s'amenuisent au fur et à mesure que Sciron resserre l'étreinte de son poing autour de sa gorge, que l'air peine à atteindre ses poumons, que son sang peine à nourrir son cerveau.

- C'est fini à présent, Sauran !

Sciron s'avance près du bord. Le corps d'un homme défait chutant de plusieurs centaines de mètres dans un tourbillon constellé d'écueils, englouti par l'écume sauvage, sombrant dans les abîmes, dévoré par les flots, rappelant la légende de Charybde. Ainsi disparaît Sauran, celui qui fut longtemps le chef des Chevaliers Noirs et dont le destin n'était pas de le rester. Ainsi naît Sciron le nouveau maître incontesté de l'ordre déchu et maudit.
Triomphant, éclatant d'un rire retentissant, Sciron se retourne pour faire face à ses hommes, intensifiant son Cosmos, manifestant une aura sombre tout autour de lui… pour qu'ils aient conscience de sa puissance, de sa suprématie, de son autorité, pour que tous le craignent.

- Je suis le Seigneur des Chevaliers Noirs, déclare-t-il en caressant son armure sombre. Je suis celui qui a mis un terme au règne de Sauran le lâche, je suis celui qui nous libérera du joug de Cassandra.

Et répondant à l'expression de sa mégalomanie, la plupart des Chevaliers Noirs scandent alors le nom de leur nouveau maître. Quant à ceux qui ne reconnaîtraient pas leur seigneur, leurs jours… leurs heures sont comptés ! Un amoncellement de cadavres aux pieds de Sciron en apporte très vite la démonstration… C'est alors que le volcan entre en éruption…



Octobre 2199. Le volcan de l'Ile de la Mort crache son venin draconique alors qu'une brume mystique vient épaissir le voile d'émanations gazeuses et de cendres qui couvre les lieux. A travers le brouillard, le Chevalier du Dragon et la jeune réincarnation d'Athéna progressent à l'aveuglette.

- Quelque chose m'inquiète, Shin, confie la jeune fille à son compagnon. J'ai l'impression que les autres sont en grand danger. Tant que cette étrange brume perdurera, la bataille sera inégale…
- Inégale ? Les Chevaliers Noirs aussi ne doivent pas pouvoir nous repérer, tente de se convaincre Shin.
- Les Chevaliers Noirs se battent sur leur terrain. Même si tu dis vrai, ils gardent un avantage indéniable…

Un ricanement lugubre interrompt la conversation. Aussitôt, Shin se positionne en face de Sandra pour pouvoir la protéger avec son bouclier si le Chevalier Noir, car c'en est forcément un, vient à l'attaquer. Malheureusement, le rire semble émaner de toutes les directions à la fois et d'aucune en particulier, preuve riante que toutes les perceptions sont brouillées en ces lieux.

- Montre-toi, Chevalier Noir ! Je te défie en combat singulier ! déclare Shin en espérant que le peu d'honneur de son adversaire le pousse à relever le défi avant qu'il n'ait la mauvaise idée de s'en prendre à sa compagne.
- Et pourquoi je me montrerais ? Alors qu'il m'est facile de vous écraser tous les deux en restant où je suis, hors de portée de vos sens !
- Tu veux dire que tu peux nous localiser ?
- Bien sûr ! Qu'est-ce que tu crois ? poursuit le Chevalier invisible comme pour narguer ses interlocuteurs. La brume qui recouvre l'île nous épargne par la volonté du Cosmos qui en est à la source. Ce qui signifie que je peux vous tuer tous les deux sans prendre le moindre risque. Ha ha ha !
- Tu n'es donc qu'un lâche ! Je m'en doutais un peu…
- Lâche ? Et alors ? Pourquoi pas ? L'honneur importe peu du moment que la victoire est acquise. Vous pouvez faire vos prières maintenant, car mon attaque vous sera fatale.

Le visage de Shin se couvre de sueur. Il doit absolument déterminer de quelle direction proviendra l'assaut afin de pouvoir protéger Sandra. La jeune fille fronce les sourcils, tentant également d'aiguiser ses sens pour percevoir le Chevalier Noir. Le Chevalier du Dragon se déplace lentement, sans jamais s'éloigner de celle qu'il doit protéger, s'engageant dans une intense réflexion.

- Ha ha ha ! Pauvre idiot que tu es, Chevalier minable ! poursuit le Chevalier Noir ricanant. Tu ne pourras pas deviner de quelle direction viendra mon attaque, même en te positionnant parfaitement au hasard, tu n'as aucune chance de m'empêcher de vous atteindre tous les deux !

Les regards inquiets et interrogateurs de Sandra et de Shin se croisent, mais la machine intellectuelle du jeune homme s'est enclenchée et il sait d'ores et déjà qu'il n'a pas beaucoup de temps pour trouver la réponse à son épineux problème.

- Il est très sûr de lui, réfléchit le jeune Japonais. Et dans ce cas, il va forcément réussir ce qu'il a décidé. Je pourrai me déplacer au hasard au dernier moment, cela me donnerait une chance minime de réussir à protéger Sandra, mais je suis sûr que ça échouerait… Je sais, il n'y a que d'un seul endroit où il peut être certain de nous atteindre tous les deux, et ce quelle que soit ma position vis-à-vis de Sandra.

Un violent souffle de vent : le Chevalier Noir a déployé toute l'énergie de son Cosmos, il s'apprête à attaquer. Sandra resserre de plus belle le Sceptre de la Victoire qu'elle n'a plus lâché depuis le débarquement. Puis Shin bondit dans les airs en faisant littéralement exploser son Cosmos, en même temps que se déclenche l'assaut de son adversaire…

- Que le Souffle du Dragon Noir vous emporte !
- Je t'ai trouvé ! Par la Colère du Dragon !

Un dragon noir ectoplasmique jaillissant du ciel embrumé percute de plein fouet la matérialisation du dragon de Rozan, projeté par le poing droit du Chevalier de Bronze, telle la bête remontant les eaux du torrent et s'élançant vers les cieux. Réalisant d'où vient le danger, Sandra a reculé ; elle relève la tête pour pouvoir assister à l'extraordinaire choc de ces deux Cosmos qui ont visiblement mis toute leur puissance dans cette attaque.

- Si je n'avais pu faire rempart de mon corps pour protéger Sandra quelle que soit ma position, clame Shin, c'est que ton attaque ne pouvait provenir que du ciel !

Un corps disloqué, brisé, détruit, retombe lourdement sur le sol… Sandra se précipite au-dessus de lui… S'il n'avait eu cette chevelure ébène, elle aurait pu le prendre pour son ami…

- Tu es donc… étais donc… le Dragon Noir, murmure-t-elle tristement.

Alors que Shin retombe à terre, debout, Sandra s'agenouille pour fermer les yeux du défunt Chevalier Noir. D'un pas lent, tout en contemplant de ses yeux emplis de larmes son poing droit qui n'a laissé aucune chance à son adversaire, puis son bouclier, qui l'a protégé de l'attaque peut-être dévastatrice de celui-ci, Shin se rapproche de Sandra.

- Nous avons eu beaucoup de chance, pleure la jeune fille. J'ai peur… J'ai vraiment peur que cette brume ne soit fatale aux autres…

Shin tourne son visage un instant vers Niké : et si ce n'était que grâce à la Déesse de la Victoire qu'il avait pu vaincre aussi rapidement son adversaire ? Puis il pose son regard sur Sandra qui a joint ses mains en prière… Une douce aura dorée commence à nimber le corps de la jeune fille.

- Sandra ?


Un cadavre encastré dans le flanc de la montagne. Un corps étendu autour d'une mare de sang séché. Une douce aura de lumière envahissant lentement le sol incandescent de l'Ile de la Mort.
Non loin de là, un Chevalier blessé marche, fier de sa victoire récente sur celui que l'on croyait immortel. Le Phénix Noir avance en claudiquant : il n'est pas sorti indemne de la redoutable attaque de son homologue disparu, mais tout ce qui compte à ses yeux, c'est la victoire qu'il a acquise, et la gloire qui l'attend.

- Tu pourras être fier de moi, Sciron ! J'ai tué le Phénix, celui qui avait semé la honte dans notre clan en faisant de Sauran la lavette qu'il était devenue !
- Tu as tué le Chevalier Phénix ?

Le Chevalier Noir sursaute. Tellement occupé à se remémorer sa victoire et à anticiper sur sa gloire à venir, il n'a même pas remarqué la silhouette assise sur un rocher à côté du sentier. Un jeune Chevalier, qui vient de remettre son casque, se relève, révélant à la faible lumière du jour son visage.

- Si vraiment tu as tué Kemri, je ne te le pardonnerai jamais !
- Mais… Tu es… Je croyais que tu étais mort !
- Par les Météores de Pégase !

Sans avoir pu réagir, le Phénix Noir est transpercé de part en part par une pluie de coups portés par les poings du Chevalier Pégase. Le corps sans vie du Phénix Noir s'effondre sur le sol. Néo se redresse, fermant les yeux.

- Je n'ai aucun mérite à t'avoir vaincu, Chevalier Noir. Tu avais déjà un pied dans la tombe à cause des blessures que Kemri t'a infligées. (Reprenant son chemin…) Kemri… Est-ce possible ?

Une larme échappée se consume au contact du sol incandescent. A quelques mètres de là, un visage austère se fend d'un sourire triste, un bref instant. Le Chevalier de la Licorne observe son compagnon de jadis s'éloigner avant de poursuivre à son tour son chemin dans une autre direction.

- Je suis content que tu aies choisi de revenir parmi les vivants Néo, cela m'aurait peiné de ne plus pouvoir entendre tes interminables discours.


Le Chevalier Noir d'Andromède s'est enfin montré. Mais la chaîne légendaire n'avait pu réagir tant que l'ennemi ne s'était pas approché suffisamment près d'elle. Un reflet ! Andromède Noir semble être le reflet du jeune Italien, car à la différence des autres, même leurs cheveux sont semblables. S'il n'avait pas eu cette armure noire comme l'ébène, bien malin qui aurait pu les différencier. Les deux Chevaliers s'observent au rythme des lentes oscillations de leurs chaînes respectives.

- On dirait que ta chaîne a enfin réussi à me repérer, Chevalier Andromède ! Mais je croyais, d'après ce qu'en dit la légende, qu'elle serait bien plus véhémente à mon égard. La brume masquerait-elle toute l'hostilité dont je fais preuve, je ne te cache pourtant point ma haine envers toi. Tu es de trop ! Mais plus encore, c'est un réel plaisir pour moi que de devoir te tuer… et tes souffrances seront atroces.

Restant sur ses gardes, prêt à lever sa chaîne pour se défendre, Issa ne répond pas aux provocations du Chevalier Noir : il garde son calme.
Des chaînes noires lancées dans sa direction, immédiatement bloquée par celle qui ne fera pas mentir sa réputation de meilleure des défenses. Le Chevalier Noir ramène ses armes jusqu'à lui.

- Je vois… Ton arme a réagi parce que je me suis décidé à donner l'assaut… Mais je doute qu'elle puisse s'opposer à une véritable attaque. Je vais employer une Technique Secrète qui à n'en pas douter mettra ta chaîne en échec.
- Tu me parais bien sûr de toi… Cercle Nébulaire…

Les deux extrémités de la Chaîne d'Andromède s'animent pour se déployer au sol tout autour du jeune Chevalier. Rapidement, une barrière défensive formée de cercles concentriques est érigée.

- Si je puis me permettre, suggère Issa, je te déconseille d'entrer dans le cercle… cela pourrait t'être fatal.
- Je demande à voir. Par la Nébuleuse Noire !

Alors que son aura ténébreuse s'intensifie brusquement, le Chevalier Noir lance ses chaînes sombres comme la nuit en direction de son adversaire. A l'instant où l'attaque pénètre le cercle défensif, les chaînes de bronze réagissent, bloquant net l'assaut et produisant une extraordinaire décharge électrique. Celle-ci, conduite par le métal dont sont faites les chaînes ténébreuses, foudroie le Chevalier Noir, qui dans un hurlement de douleur, s'effondre au sol.
Alors qu'il se convulse tant sa souffrance est intense, l'Andromède Noir, dans un sursaut vital d'intelligence, rappelle ses chaînes. Impassible, Issa le regarde se relever péniblement, toujours au centre de sa défense.

- Je te maudis, Andromède !
- Pourtant je t'avais prévenu. Si toi ou tes chaînes pénétrez à nouveau dans le Cercle Nébulaire, tu ne t'en relèveras pas. Tu ne survivras pas deux fois à une décharge électrique de vingt mille volts. Une telle tension n'est pas dangereuse en elle-même si l'intensité électrique est faible. Mais la prochaine fois, je mettrai toute la puissance de mon Cosmos dans mon attaque. Tes chances de survie seront nulles.
- Ha ha ha ! ricane le Chevalier Noir blessé. A moins que… ta chaîne ne puisse réagir à mon attaque !

Bondissant en arrière, l'ombre du Chevalier Andromède se réfugie au milieu des brumes. Aussitôt, les oscillations de la chaîne d'Issa cessent : elle ne perçoit plus du tout son adversaire.

- Ha ha ha ! résonne à nouveau la voix de l'ombre devenu invisible et totalement indécelable. Je reconnais avoir commis une erreur, Chevalier Andromède ! Mais je découvre avec plaisir que désormais tu ne peux plus me repérer. Ta chaîne ne pourra plus te protéger de mes attaques, car elle ne les sentira pas arriver.

Issa ferme les yeux pour se concentrer, mais il est lucide : il sait hélas que son adversaire a raison car il n'a plus aucune idée d'où il se trouve, et sa chaîne ne semble pas pouvoir le retrouver… pourtant elle n'avait eu aucun mal à localiser Garrick sur l'Ile Canon… et la brume qui les entoure maintenant a quelque chose de similaire avec la technique du Chevalier du Petit Renard.

- Par la Nébuleuse Noire !

La Chaîne d'Andromède ne réagit pas au cri de guerre du Chevalier Noir. Comprenant que sa pose défensive sera parfaitement inefficace, Issa rappelle ses armes et se prépare à esquiver l'assaut de son adversaire. Jaillissant des brumes, les chaînes noires lui foncent dessus et le saisissent avant qu'il n'ait pu ne serait-ce que tenter de les parer avec les siennes. C'est alors qu'une vision effroyable s'empare de lui : les chaînes noires se transforment... Tandis qu'un sifflement strident fend l'atmosphère troublée, les maillons se déforment, se fondant les uns dans les autres, finissant par ne plus former que de longs corps fins et effilés, couverts d'écailles, noires comme l'ébène. Des serpents... Des centaines de serpents ! Les armes du Chevalier Noir sont devenues des serpents !
En quelques fractions de secondes, Issa se retrouve ligoté par des dizaines de reptiles sombres comme la nuit, dont la morsure pénètre rapidement ses chairs.

- A ton tour de connaître la douleur ! Mais moi, je n'aurai pas les mêmes attentions stupides à ton égard. Je mets toute ma puissance dans mon attaque ! Et au terme de terribles souffrances, tu mourras. Ha ha ha !

Gardant toute sa dignité, Issa se retient de hurler, il se retient de verser des larmes de douleur, mais il sent une nouvelle fois le désespoir s'emparer de lui. Sa chaîne semble l'avoir abandonné : il ne peut pas attaquer son adversaire maintenant que celui-ci est hors de sa portée. Quand une douce aura dorée progressant sur le sol de l'île vient le caresser… Au même moment, quelques notes d'une musique si chère à son cœur résonnent dans son esprit…

- Athéna… Rei… Le combat ne fait que commencer, je ne peux pas m'avouer vaincu, il me reste tellement de cartes à jouer !

Témoignant désormais d'une extraordinaire détermination, les yeux d'Issa s'embrasent d'une lueur rosée qui bientôt vient nimber tout son corps. Les serpents se consument dans l'explosion de puissance cosmique que déclenche le jeune garçon : il est libre désormais.

- Incroyable ! Tu as réussi à te libérer… Mais tu n'es pas sorti indemne de mon attaque, à en juger par les nombreuses plaies sur ton corps. Et puis, tu as été obligé d'intensifier ton énergie au maximum. Tu ne seras pas capable de renouveler cet exploit, et ma prochaine attaque aura raison de toi.
- Je ne crois pas, Andromède Noir ! répond Issa avec une assurance sereine et une confiance retrouvée. C'est vrai que ma chaîne ne pourra pas te retrouver tant que la brume te cachera, ni même me défendre de tes assauts. Mais comme tu en es bien conscient toi-même, cela ne sera vrai que tant que la brume perdurera !
- Peut-être bien, mais en l'occurrence, laisse-moi te dire que tu rêves si tu crois que la brume se lèvera.
- Tu crois ? Pourtant je viens d'avoir une idée. Vois-tu, depuis que je suis arrivé sur cette île, je ne cesse de penser à une chose : je suis sûr de connaître le Cosmos qui la génère…
- C'est possible mais ça ne change rien. Pour que la brume cesse, il faudrait obliger son créateur à la lever. Malheureusement pour toi, celui-ci est hors de votre portée !
- Tu as confirmé ce que je croyais, Chevalier Noir ! Il y a bien quelqu'un qui est à l'origine de cette brume ! Et je suis sûr de l'avoir reconnu, poursuit-il en agitant ses deux chaînes de bronze, prêt à les lancer à l'attaque.
- Tu persistes à vouloir m'attaquer ! Imbécile ! Tu ne peux pas me trouver !
- Mais tu n'es plus ma cible ! Sache que la Chaîne d'Andromède peut retrouver son véritable ennemi où qu'il soit, même à des milliers de kilomètres ! Vague de Tonnerre !

Fendant l'air, la chaîne d'Issa terminée par un poinçon s'élance à travers la brume à une vitesse prodigieuse, ondulant en de multiples brisures franches et nettes dans sa courbe et sa course.

- Va Chaîne d'Andromède ! Trouve Garrick et terrasse-le !
- Non ! Je ne te laisserai pas faire ! Par la Nébuleuse Noire !

A quelques kilomètres de là, Sciron le vil bondit hors de son trône en pierre lorsqu'il découvre une chaîne surgissant du néant foncer dans sa direction. A peine l'a-t-il évité qu'il voit voltiger dans les airs le casque orangé de Garrick, qui, trop occupé à maintenir sa brume, n'a pas vu l'attaque fondre sur lui. Précipitant la main à son visage, le Chevalier du Petit Renard ne peut que constater qu'il revient de loin en tâtant l'estafilade que vient de lui porter la chaîne qu'il croit reconnaître, celle qui l'avait déjà trouvé sur l'Ile Canon.

- Garrick ! hurle Sciron. Qu'est-ce qui se passe ?

Après s'être remis sur ses jambes, en essayant vainement de ne pas perdre de vue la chaîne qui disparaît dans le lointain, Garrick, couvert de sueur et pris de tremblements, se tourne vers le Seigneur Noir. Ecumant de fureur, celui-ci a porté son regard vers la partie principale de l'île : la brume ne la recouvre plus !

- La Chaîne d'Andromède a brisé ma concentration, explique Garrick.
- Alors qu'attends-tu pour la reprendre, abruti !

S'exécutant, Garrick s'assied de nouveau. Il ferme les yeux, reprenant sa méditation tout en déclenchant sa Brume Matinale. Mais celle-ci semble se limiter à entourer sa petite personne. Au bout de quelques minutes, Garrick se relève, cessant son action, sous le regard médusé de Sciron.

- Quoi ? ! Qu'est-ce que tu attends ? Je ne vois toujours pas la moindre brume sur l'île.
- Je… Je ne comprends pas… La chaîne a brisé mon contact avec le Grand Pope…
- Rétablis-le !
- Je n'y arrive pas… Comme si quelque chose m'en empêchait… Ou quelqu'un… Je sens une puissante aura toute proche qui bloque mes ondes mentales…
- Tourbillon Nébulaire !

La seconde chaîne du Chevalier Andromède se met alors à tournoyer autour de lui pour le protéger de l'attaque du Chevalier Noir, maintenant que la brume a disparu et que celui-ci peut être repéré. Les sombres serpents viennent s'écraser contre la défense tournoyante d'Issa. A quelques mètres de lui, Andromède Noir écarquille les deux yeux d'une stupeur manifeste, montrant ainsi une inquiétude grandissante.

- Il… Il a réussi à… à détruire la brume… et en même temps il se protège de mes fidèles reptiles. Mais !

Les pires cauchemars du Chevalier Noir d'Andromède deviennent réalité. Les serpents aux sombres écailles qui s'échouaient sur la barrière infranchissable du Chevalier de Bronze sont en train de revenir sur lui. Percuté de plein fouet, le Chevalier Noir est balayé.

- Andromède Noir ! Pendant que ma chaîne d'attaque brise la concentration de Garrick, ma chaîne défensive me protége de tes assauts, et mieux encore elle te renvoie tes précieux alliés !

Ramenant ses deux chaînes autour de ses poignets, Issa regarde son adversaire en train de se relever. Celui-ci est envahi subitement par un sentiment étrange dont on ne saurait dire s'il s'agit de rage ou de folie. Dans un accès de démence, il se jette sur le Chevalier Andromède, précipitant ses sombres chaînes en avant.

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Maudit sois-tu ! Je vais te tuer !
- Tant pis pour toi ! Chaînes Nébulaires !

Issa lance conjointement ses deux armes à l'attaque tout en intensifiant son Cosmos : celles-ci ne laissent aucune chance à son adversaire qui, désormais aveuglé par la folie et la rage, en avait négligé toute prudence, toute finesse. Dans un dernier cri, le Chevalier Noir d'Andromède est transpercé de part en part avant de choir sur le sol dans une armure brisée, les nombreux morceaux de ses sombres chaînes retombant autour de lui tel une pluie de grêlons. Les yeux révulsés, se vidant de son sang, le Chevalier Noir rend son dernier soupir.


Un mince rayon de soleil qui a percé le nuage de fumée vient baigner le visage du Chevalier du Cygne, maintenant que la brume mystérieuse a disparu. Désormais les perceptions de chacun ont retrouvé toute leur efficacité. Sven se concentre pour essayer de localiser ses compagnons en recherchant les vibrations émises par leurs Cosmos.

- Cette énergie douce et pure, c'est Sandra… Shin est toujours à ses côtés… Et là, c'est le Cosmos d'Issa : il doit être en train de combattre pour manifester une telle puissance… Ce Cosmos sur le point de bouillir, c'est Néo : je le sens prêt à déchaîner tout son pouvoir… Il y en a d'autres, que je ne parviens pas à identifier… Kemri ? Je ne sens plus sa présence, cela m'inquiète… Mais… !

Ressentant la présence d'un Cosmos inconnu tout près de lui, Sven abandonne sa concentration pour observer les environs, tous sens en éveil. Dans le lointain, la silhouette indistincte d'une tour s'élevant vers le ciel se dessine dans la fumée du volcan.

- Ce doit être la tour de Cassandra. C'est donc là-bas qu'il me faut aller. Mais avant… Je voudrais bien trouver celui qui est tout près d'ici.

Reprenant son observation minutieuse, Sven soupire tant la chaleur lui est insoutenable. Lorsque la température chute brusquement… Si le Chevalier du Cygne n'avait pas été convaincu que ce phénomène si soudain ne pouvait provenir que du Cosmos maléfique d'un Chevalier Noir, il aurait béni les dieux de lui apporter un peu de fraîcheur. Dans tous les cas, il lui sera plus aisé de combattre dans le froid… Un nouveau brouillard s'étend bientôt alentour, un vent glacial lacère les chairs du Chevalier du Cygne qui n'en ressent pas pour autant la moindre douleur… Intensifiant son aura glacée, Sven se met en garde. Une ombre se dessine dans le blizzard qui ne cesse de s'épaissir.

- Nous nous rencontrons enfin, Chevalier du Cygne, dit la voix d'un homme dont les traits auraient pu surprendre Sven s'il n'avait pas déjà compris que tous les Chevaliers Noirs étaient des copies presque conformes de leurs homologues.

Silencieux, Sven se remémore le visage du Phénix Noir… Ainsi que le cadavre d'un autre Chevalier Noir qu'il est convaincu d'avoir identifié.

- Tu croyais peut-être que la disparition subite de la brume serait un avantage pour toi, poursuit le Cygne Noir. Mais c'était avant que tu ne connaisses mes facultés me permettant moi aussi de générer un brouillard altérant tes perceptions.

Sven aurait presque pu sourire en écoutant les paroles absurdes du Chevalier Noir. Son blizzard ne l'empêche en rien de le localiser : il ressent si bien les vibrations du Cosmos négatif de son adversaire. Et en plus, le froid qui règne désormais lui redonne l'énergie qui aurait pu lui faire défaut à cause de la chaleur torride de l'île.

- Tu ne dis rien, Chevalier du Cygne ? A moins que tu ne sois déjà en train de faire tes prières ? ricane l'ombre de Sven. Tu aurais raison, car je vais t'envoyer rejoindre tes ancêtres…

Le Chevalier du Cygne Noir fend l'air avec son poing, générant une multitude de cristaux de neige sombre avec son aura glacée. Ceux-ci s'abattent sur le Chevalier de Bronze.

- Par le Blizzard Noir !

Ses yeux bleus irradiant d'une fine lueur blanche, ses bouclettes argentées se soulevant sous l'effet d'un doux Cosmos, toujours résolument silencieux, Sven observe sans bouger la pluie de neige noire qui fonce sur lui. Il sourit.

- Comment ? Mais c'est impossible ! rugit le Chevalier Noir.

L'attaque ne semble pas avoir eu le moindre effet sur le Chevalier du Cygne : les cristaux de neige noire ne l'ont pas touché, comme s'ils s'étaient volatilisés au contact de son aura.

- Cygne Noir, murmure Sven. Tu as lancé ton attaque à une température bien trop élevée pour me mettre en danger. Tu as choisi de combattre le seul Chevalier d'Athéna qui ne craint pas le froid. Il y a peu, j'ai combattu un adversaire qui pouvait projeter un souffle de glace bien inférieur à ce que tu sembles capable de faire. Sache que mon maître Lushia, le Chevalier d'Or du Verseau, m'a appris à maîtriser les températures les plus basses. Ton attaque atteignait à peine cinquante degrés en dessous de zéro alors que mon aura glacée a fait descendre la température à moins de cent degrés en dessous de zéro. Ton blizzard ne pouvait pas m'atteindre : tes cristaux de neige ont été maîtrisés par mon Cosmos.

Grimaçant, le Cygne Noir reprend son calme, intensifiant à nouveau son énergie, comme s'il s'apprêtait à attaquer de nouveau.

- Tu as raison, admet-il. Je t'ai combattu comme si tu avais été un adversaire… ordinaire. J'ai stupidement négligé le fait que mon double devait maîtriser les techniques de froid et je n'ai même pas cherché à abaisser la température de mon attaque. Je vais rectifier cette erreur. Subis la morsure de mon Blizzard Noir à sa température la plus basse !

Renouvelant son attaque, le Cygne Noir projette un souffle de froid extrême. Sven ressent la brusque chute de température : l'attaque qu'il va recevoir n'a rien à voir avec la précédente. Il intensifie à son tour son froid pour parer le Blizzard Noir en précipitant ses deux mains devant lui. Contenant le souffle de froid un bref instant, il cède presque aussitôt, emporté par l'assaut.

- Imbécile ! jubile le Cygne Noir. On ne peut pas parer la technique secrète d'un Chevalier Noir ! Tu as pu éviter mon attaque tout à l'heure parce que sa température n'étais pas assez basse, mais à présent qu'elle est inférieure à cent degrés sous zéro, c'est une autre paire de manches ! Ha ha ha !

Traversé par la bourrasque glaciale, Sven sent tout son corps s'engourdir et se paralyser petit à petit. Mais ce n'est pas à cause du froid ! Il est à présent retenu prisonnier d'une immense toile d'araignée entièrement constituée de glace.

- Mon attaque t'a non seulement surpris, Chevalier du Cygne, mais elle t'a blessé, et même fait prisonnier. A présent tu es à ma merci. Maintenant que tu es immobilisé, tu ne pourras plus te défendre. Mon prochain coup te sera fatal.

Peu à peu, Sven sent la morsure de froid gagner chaque parcelle de son corps, mais pour lui, ce n'est pas vraiment douloureux. Il se sent néanmoins blessé dans son orgueil : il n'aurait pas dû sous-estimer son adversaire ! Pourquoi ne pas avoir profité de l'erreur de celui-ci dès le début du combat ? A présent, il est réellement en danger ! S'il ne se libère pas très vite, le Cygne Noir va le tuer… D'ailleurs, celui-ci a déjà entamé sa charge en poussant des cris de guerre !
Sven entrouvre les yeux, percevant la silhouette de son double lui foncer dessus. Il essaie de rassembler ses forces pour briser l'étau de la toile de glace qui le retient prisonnier. Mais celle-ci semble bien trop résistante : elle ne cède pas ! Le choc est inévitable ! Est-ce la fin ? Sven ferme les yeux, priant de toute son âme pour qu'un miracle se réalise…

- Athéna…

Silence. Le choc n'a pas eu lieu. Surprise. Le Cygne Noir jure. Stupeur. Sven ouvre les yeux : une silhouette s'est interposée entre lui et son double, bloquant nette la charge du Cygne Noir. Un jeune homme tout en Armure nimbé d'une aura mauve tourne légèrement son visage pour que Sven le voie esquisser un sourire.

- Eh bien, Sven, il semblerait que personne ne puisse plus se passer de moi. Tu as appelé Athéna, désolé, mais ce n'est que moi.
- Vicky ! déclare Sven en éclairant son visage du plus beau de ses sourires. Je savais que tu étais revenu. Il n'y a que toi qui pouvais avoir terrassé le Chevalier Noir de la Licorne !

Le Cygne Noir a bondi en arrière afin d'analyser la nouvelle situation tandis que Sven ne peut s'empêcher de verser une larme de joie pour avoir retrouvé son ami.

- Pourquoi ne nous as-tu pas rejoint sur l'Ile Canon comme prévu, Vicky ? Nous nous sommes inquiétés, tu sais…
- Je t'expliquerai cela plus tard, Sven. Pour le moment, il y a plus urgent. Je vais d'abord envoyer ce Chevalier Noir rejoindre mes deux précédentes victimes…

Vicky avance de quelques pas en direction du Cygne Noir qui ne dissimule pas sa rage. Admiratif devant la détermination dont semble faire preuve son camarade de jadis, Sven observe le face-à-face en train de se jouer.

- Je te trouve bien présomptueux, étranger ! vocifère le Cygne Noir. Tu n'as pas l'ombre d'une chance contre moi !
- Les Chevaliers Noirs de la Licorne et de Pégase pensaient la même chose que toi. Pourtant ils sont bien morts à l'heure qu'il est. Et tu seras le prochain sur la liste. Mon nom est Vicky, je suis le Chevalier de la Licorne. Et je vais te tuer !
- Attends ! Laisse-le-moi !

Prêt à frapper, Vicky tourne la tête en direction de Sven dont la voix vient de percer. L'aura blanche du Chevalier du Cygne grandit. Comprenant que ce n'est pas en utilisant sa force qu'il réussirait à se libérer de la toile de glace, Sven abaisse la température de son Cosmos… Quand enfin celle-ci atteint un niveau inférieur à celle de la prison glacée, qui vole en éclat.

- Comme tu voudras, répond Vicky tout en s'écartant. Je vois que ton Cosmos a redoublé d'intensité : ton froid est venu à bout de celui de ton adversaire. Je te le laisse, puisque je suis convaincu que tu vas le terrasser.
- Quoi ? ! Mais vous avez fini de me prendre pour un moins que rien ! rugit le Chevalier Noir. Je ne suis pas encore vaincu. Vous allez voir ! Je vais vous tuer tous les deux !

Tout autour de Sven, la neige perd de sa nuance noire comme si elle se purifiait, se colorant d'un blanc immaculé. Les cristaux se lèvent dans les airs tandis que le Chevalier du Cygne, sans bouger, posément, déploie son bras et ouvre sa main devant lui, générant un puissant souffle glacial qui emporte cette neige fine et tranchante bien connue des habitants de Sibérie.

- Par la Poussière de Diamant !

Le retour de Vicky et le sentiment de devoir terminer le combat qu'il avait commencé ont poussé Sven à projeter une attaque à une température encore plus basse que celle qui lui avait permis de vaincre Wiglaf et de briser le Mur des Glaces Eternelles. Transpercé de part en part par les cristaux fins et acérés, paralysé par un froid qu'il n'aurait sans doute jamais atteint, le Cygne Noir n'est bientôt plus qu'une statue de glace éclatant en des millions de particules.
Relâchant l'intensité de son Cosmos, Sven se rapproche de Vicky. Les deux garçons s'adressent un sourire avant de s'étreindre.

- Ne perdons pas de temps, Sven. Je suis venu ici pour rencontrer Cassandra afin d'en apprendre un peu plus sur cette soi-disant prophétie. J'ai cru comprendre qu'il nous fallait d'abord atteindre la tour.
- Vicky… Il faut que tu saches…
- Je sais, ne t'en fais pas. Mon père est mort, il a été tué par le Grand Pope. Et je le vengerai, sois en sûr !
- Mais sais-tu que le Grand Pope, c'est…
- L'homme masqué que nous avons rencontrés il y a plus de six ans… Celui que mon père appelait le Chasseur ! Je sais… Aïos l'Ancien me l'a dit…
- Et Athéna… Tu ne sais sûrement pas…
- Je crois que j'ai toujours su ce que tu veux me dire… Je suis le seul enfant né de l'union de ma mère et mon père. Mais Sandra est et restera toujours ma petite sœur… Viens maintenant… Nous devons atteindre la tour, les autres nous y rejoindront sûrement…

Et c'est ainsi qu'au pas de course, les Chevaliers du Cygne et de la Licorne, qui se sont retrouvés après six années de séparation, s'élancent en direction du refuge de Cassandra.


Etendu non loin d'une coulée de lave, le corps inerte du Chevalier Phénix que l'on croyait immortel repose sur un lit de braises encore fumantes, terrassé par son double qui n'a pas tardé à le rejoindre dans l'autre monde. Après avoir ressenti l'ultime souffrance causée par ses propres flammes infernales qui l'ont terrassé, Kemri se voit ainsi : sans doute est-ce là la perception de son âme en train de s'envoler vers le royaume des morts. Etrange sensation à vrai dire, puisque ce n'en est pas une, seulement une perception irréelle dont on ne saurait la rattacher à l'un des cinq sens de l'homme ordinaire.
Kemri ne semble être plus rien d'autre qu'une ombre dépourvue de toute substance, en train de disparaître dans le néant. Il s'est vu détruit par ses propres flammes renvoyées par Sciron dont le ricanement diabolique continue de faire écho dans un lointain certainement onirique, à l'image de tout le reste. Car plus rien n'existe : le Phénix est mort. Il ne reste que des souvenirs, traces d'une mémoire indélébile… Cassandra, son maître… Hassadan, son ami… Eux aussi ont succombé à la folie de Sciron…

- Pardonne-moi Hassadan, pense l'âme défunte. Je suis arrivé trop tard pour te sauver… tu n'as pas survécu aux blessures que t'ont infligées cette ordure et ses sbires…

Le spectre d'Hassadan se dessine doucement. La silhouette fantomatique d'un jeune homme le regarde tristement.

- Je ne devais pas mourir, Kemri… Ce n'était pas mon destin…

A ses côtés apparaît bientôt le spectre de Cassandra, son maître, la Gardienne, la Prophétesse. Sentant la honte et la culpabilité le gagner, le fantôme de Kemri baisse les yeux pour ne pas affronter le regard pourtant invisible de celle à qui il doit tout, celle qu'il admire et qu'il n'a pas pu sauver, celle qui représentait peut-être bien plus encore à ses yeux…

- Je t'ai attendu, Phénix…

Ne pouvant en supporter davantage, Kemri s'enfuit, si toutefois cela peut avoir un sens dans sa situation. Il voudrait disparaître, ne pas avoir à se reprocher ses échecs et sa défaite lamentable…

- Tu as honte de toi, Chevalier Phénix. Tu peux !

La voix qui l'interpelle sort Kemri de sa torpeur. Est-ce possible ? Lui… Simple curiosité ou regain de courage pour affronter un rêve bien trop vrai ou une réalité chimérique, toujours est-il que Kemri le regarde. Il est là, au milieu des nuages, comme lui, mort… Sauran !
Celui qui avait la trempe d'un chef, le plus puissant de tous les Chevaliers Noirs, celui qui avait été forcé d'admettre sa défaite et qui ne s'était jamais remis de la torpeur dans laquelle l'Illusion du Phénix l'avait plongée. Le regard autrefois dédaigneux de Sauran a laissé place à une sévérité inhabituelle, marquée par ce qui ne semble rien d'autre que … de la déception !

- Sau… Sauran, bégaie Kemri. Mais tu es mort ? Sciron t'a vaincu…
- Comment oses-tu te présenter devant moi ? Toi qui as perdu lamentablement la vie immortelle qui t'avait été accordée ! Tu avais prouvé ton mérite en redonnant naissance à l'Armure du Phénix détruite ! Tu m'as forcé à reconnaître en toi le Phénix tout-puissant et immortel, me contraignant par là même à renoncer à ma quête de l'immortalité. Et aujourd'hui, tu viens de tout gâcher ! Je croyais m'être trompé mais il semblerait que non : tu es toujours aussi faible !
- Co… Comment peux-tu dire ça ? Toi qui as été vaincu par ce misérable Sciron…
- C'est faux ! hurle le spectre de Sauran. Je n'ai pas été vaincu par Sciron… C'est ton Illusion du Phénix qui m'a terrassé. Sciron doit payer sa trahison, il mène les Chevaliers Noirs à leur perte. Moi je voulais les libérer, les mener vers la lumière d'un monde meilleur, et ils avaient besoin d'un chef fort et immortel, comme moi… ou comme toi ! Sciron ne pense qu'à lui. Il a profité de ce que tu m'as fait pour prendre ma place. Tu aurais dû le tuer… Pour venger ce qu'il a fait à ton ami et à ton maître… Pour venger ce qu'il a fait aux Chevaliers Noirs, les privant du seul espoir qu'ils avaient, c'est-à-dire moi ; il les a condamnés dès l'instant où il a bravé les paroles prophétiques de la gardienne. Aucun d'eux ne s'en sortira, il les a tous corrompus. Pour cela, il doit payer…
- Tu… tu as raison, Sauran, soupire Kemri. Sciron doit payer. Mais…

Le souvenir de Sciron déversant son urine sur le visage de l'enfant qu'il était il y a des années attise la flamme de la haine qui sommeille encore en lui.

- Mais Sciron m'a retourné mon attaque, reprend-il en versant une larme, et les flammes m'ont consumé…
- Depuis quand des flammes, même illusoires, peuvent-elles avoir raison du Phénix immortel ? C'est toi-même qui me l'as dit, Chevalier Phénix ! Même s'il meurt, l'oiseau de feu renaîtra de ses cendres.
- Oui, je suis… immortel… Je suis le Phénix ! Mais comment pourrais-je revenir à présent ?
- Essaie seulement, Phénix. Si tu ne le fais pour toi, fais le pour ceux que tu dois venger.

Stimulé par les paroles de celui qui était pourtant son ennemi, le fantôme qu'il est devenu s'embrase d'un seul coup tel le feu alors que tout autour de lui, les spectres d'Hassadan, de Cassandra et de Sauran ne cessent de l'observer.

- Tu n'as pas enduré toutes ces souffrances pour rien, Kemri, l'encourage Hassadan. Fais payer aux Chevaliers Noirs tout ce qu'ils nous ont fait.
- Chacun d'entre eux connaîtra son destin, psalmodie Cassandra… L'heure de Sciron est arrivée !
- Que Sciron pourrisse en Enfer ! clame Sauran. Sois le bras de ma vengeance !

Quelque part sur le flanc du volcan, une aura de feu vient recouvrir le corps de celui que l'on croyait mort. Kemri ouvre les yeux, son regard de braise marqué par la haine féroce qu'il voue à l'égard de celui dont le ricanement lointain fait terriblement écho dans son esprit.

L'œil d'Hassadan s'ouvre péniblement dans la pénombre du premier niveau de la tour. Le Chevalier du Petit Lion, meurtri et épuisé, esquisse un sourire alors qu'une lueur orangée vient entourer tout son être. Encerclée par les flammes dans le sous-sol du piton rocheux, la prophétesse étendue sort de la léthargie qui commençait à la gagner : nimbée de son aura blanche, Cassandra se relève. Un corps noyé s'enfonçant dans les profondeurs de l'océan manifeste une dernière étincelle de vie.
Trois auras convergent vers le corps renaissant du Chevalier Phénix, dont le Cosmos atteint désormais une intensité nouvelle : après tout, le Phénix renaît toujours plus vigoureux et plus puissant que jamais !


La tour de l'Ile de la Mort. Hassadan sort de sa torpeur. Il ne sent plus les chaînes au contact de ses poignets : quelqu'un a dû le libérer. Dans la pénombre, il distingue deux silhouettes en face de lui.

- Enfin, tu reprends connaissance, Hassadan. Tu te souviens de moi ?

Petit à petit, l'image d'une jeune fille se dessine. Il n'y a aucun doute possible, il s'agit bien de la demoiselle qu'il a déjà rencontrée par deux fois, quand Valkhan était venu sur l'Ile de la Mort il y a neuf ans, et quand lui s'était rendu au monastère de Nasheen il y a six ans. Elle a grandi, mais il ne peut que la reconnaître, surtout que lui a toujours su qui elle était réellement : la Déesse Athéna qu'il a toujours juré de défendre et de protéger.
Hassadan tente vainement de se relever. Il serait tombé, à cause de ses nombreuses blessures et de l'épuisement, si Shin ne l'avait pas retenu, lui permettant de s'appuyer sur son épaule et le retenant par le bras.

- Princesse Athéna… prie le Chevalier blessé. J'implore ton pardon pour n'avoir pas réussi à vaincre les…
- Tu n'as rien à te reprocher, l'interrompt Sandra. Tu t'es battu jusqu'au bout pour défendre cet endroit contre les Chevaliers Noirs, je le sais. C'est à moi de te remercier. Tu as risqué ta vie… Et tu as toujours soutenu mon père…
- Cas… Cassandra… Je n'ai pas pu la protéger… Ils… Ils l'ont capturée…
- Ne t'en fais pas, Chevalier, tente de le rassurer la jeune fille d'une voix douce. Nous retrouverons Cassandra, et nous la libérerons. Je te le promets…

Gagné par l'émotion, Shin verse une larme alors que la douce aura de Sandra apporte le réconfort moral qui manquait au Chevalier vaincu. Puis Hassadan raconte tout ce qui s'est passé : la révolte des Chevaliers Noirs, l'assaut de la tour, son combat puis celui de son maître jusqu'à la reddition… Au terme de son récit, bien trop épuisé, Hassadan sombre dans l'inconscience.

- Tu as besoin de repos, Chevalier. Je veillerai sur toi pendant que Shin et les autres iront libérer Cassandra. (A Shin…) Je vais rester ici, je me suis montrée plus une gêne tout à l'heure pendant ton combat contre le Dragon Noir. Et puis on ne peut pas laisser Hassadan seul.

Le Chevalier du Dragon approuve la décision de Sandra d'un signe de la tête quand son attention est attirée par le bruit des pas de course de deux hommes pénétrant dans la tour. Alors que les deux Chevaliers apparaissent, le visage de Sandra s'illumine. Elle se relève et court dans la direction de son frère.

- Vicky !

Tout de suite elle l'a reconnu, le grand frère qui l'a accompagnée tout au long de ses premières années. Elle se jette dans ses bras. Une nouvelle fois, Shin ne peut retenir une larme tant son émotion est grande, et Sven suit rapidement le même chemin. Quelques minutes plus tard, Néo puis Issa les ont rejoints. L'absence de Kemri n'est pas sans les inquiéter, mais Sandra est confiante, se rappelant les derniers mots d'Hassadan avant qu'il ne sombre dans l'inconscience.

- Le Phénix est immortel… Princesse Athéna… Il va revenir… Pour sceller le destin de Sciron… J'ai senti son Cosmos renaître…

Chacun aurait voulu prendre un peu de temps pour profiter des retrouvailles avec Vicky, mais la bataille n'est pas encore finie, et les cinq Chevaliers s'apprêtent à partir. Mais avant, Néo ne peut s'empêcher d'interroger le Chevalier de la Licorne qui acquiesce de la tête.

- Merci Vicky, mais tu aurais quand même pu te manifester au lieu de rester dans l'ombre, non ?
- C'est-à-dire que… répond-il en arborant une mine sombre, je ne voulais pas vous rejoindre… Si Sven n'avait pas été menacé, j'aurai continué seul…
- Mais pourquoi, Vicky ? demande Sandra. Ensemble nous augmentons nos chances… Notre père souhaitait que nous nous retrouvions tous… Il l'a écrit… Je te montrerai ses cahiers…
- Mais…

Saisi d'une violente douleur, Vicky précipite sa main sur son épaule droite alors qu'il manque de chanceler et que de terribles paroles résonnent dans sa tête.

- Vicky ! Ne gâche pas la chance qui t'est offerte aujourd'hui. Tu sais ce que tu dois faire à présent, Chevalier. C'est l'honneur de ton nom qui est en jeu ! Ton père a trahi le Sanctuaire et la cause de la Déesse Athéna. Même après sa mort, les traîtres qu'il a formés poursuivent son crime. Ils doivent mourir. Tu n'as pas d'autre choix si tu veux laver le déshonneur qui entache ton nom, et la piqûre de l'Aiguille Ecarlate te le rappellera sans cesse, Chevalier.

Alors que Sandra se précipite pour le soutenir, Vicky l'arrête d'un signe de la main. Il se redresse, regagnant toute sa dignité. Son visage qui avait retrouvé un peu de sa fraîcheur d'antan s'assombrit tristement.

- Si je reste avec vous, je vous mettrai en grand danger. J'ai reçu l'ordre de vous tuer.
- De nous tuer ? interroge Néo. Mais tu m'as sauvé la vie bien au contraire…
- Justement, quand il apprendra que je n'ai pas obéi à ses ordres, il me traquera pour me retrouver et me châtier. Et il vous tuera vous aussi…
- Mais de qui parles-tu donc ? poursuit Sandra. Le Grand Pope ?
- Non, enfin presque… Son âme damnée qui reçoit directement ses ordres de lui : le Chevalier d'Or du signe du Scorpion. Celui qu'on appelle à juste titre Khyron le Sinistre, l'exécuteur des basses œuvres de Bishop.
- Bon sang, ça rigole pas là ! s'exclame Néo. Un Chevalier d'Or !
- Mais il n'est pas question que tu restes seul à encourir les foudres de ce Khyron, poursuit Shin. Nous ne t'abandonnerons pas, Vicky. Et s'il le faut, nous combattrons le Chevalier du Scorpion, même si c'est un Chevalier d'Or.
- Shin a raison, affirme Issa. C'est à nous tous que Valkhan a confié le destin d'Athéna. C'est notre union qui fera notre force.
- Et puis permets-moi de te dire que si Khyron te retrouve et te tue, continue Néo, qu'est-ce qui l'empêcherait de nous traquer ensuite ? Surtout que si j'ai bien compris, son but, c'est bien de nous éliminer.
- Nous aurons davantage de chances de vaincre si nous restons ensemble, Vicky, sourit Sven…

Un demi-sourire adressé à Sven, un hochement de tête approbateur pour le groupe, le Chevalier de la Licorne ne pouvait qu'espérer au fond de lui que tous ses compagnons réagiraient ainsi. Il restera donc avec eux… mais l'idée de les savoir dans la ligne de mire d'un Chevalier d'Or n'est pas des plus réjouissantes à ses yeux. Le souvenir de sa dernière rencontre avec Khyron le Sinistre envahit sa mémoire alors que tous les cinq, laissant Sandra veiller sur Hassadan, ont pris la direction du piton rocheux.


Juin 2199. Un obélisque érigé vers le ciel en plein désert, près d'Oran, Algérie. Sous le soleil d'été, la poigne d'Argon retient le bras du jeune Dawoud, prêt à se précipiter au secours de son jeune ami. A genoux devant l'obélisque, à demi nu, Vicky pleure toutes les larmes de son corps. A quelques mètres de lui, le Chevalier du Scorpion le regarde sévèrement.

- Mais enfin Argon ! braille Dawoud désespérément. On ne peut pas le laisser humilier Vicky de cette façon, il faut faire quelque chose ! Pourquoi est-ce que vous restez là, les bras croisés, à ne rien faire ? ! C'est votre élève !
- Tais-toi ! somme le Chevalier de l'Autel. De toutes façons, ça ne servirait à rien d'intervenir. Tu veux mourir ?

Impressionné par le regard furieux et le ton catégorique d'Argon, le jeune voyou des faubourgs de la cité d'Oran n'a d'autre choix que de se résigner à observer la suite des événements, aux côtés d'un Chevalier résolument impassible.
Le visage sombre et tiré de Khyron affiche une moue de dédain, ses yeux violets ne perdant pas un instant de vue le jeune adolescent plongé dans le désespoir le plus profond. Les reflets du soleil sur son Armure d'Or renforcent l'impression de majesté qui se dégage de lui, tel un Dieu devant le plus méprisable des insectes.

- Pleurer ne sert plus à rien, Vicky, dit-il. Tu dois agir à présent. Ton traître de père n'a eu que le sort qu'il méritait. Sa mort ne doit pas te troubler. Je t'offre la possibilité de racheter l'honneur de ton nom que Valkhan a bafoué en essayant de tuer Athéna. Si tu refuses, je ne te laisserai pas devenir Chevalier.
- Tu… Tu n'as pas le droit de salir la mémoire de mon père, Khyron, pleure Vicky. Tu n'as donc aucun respect !
- Du respect ? Comment pourrais-je respecter un traître ? ! Jamais je ne pardonnerai à ton père sa trahison. Le Grand Pope l'a tué, parce que telle était la volonté d'Athéna !
- C'est faux ! crie Vicky en se relevant. Athéna n'a jamais voulu la mort de mon père. Au contraire ! Car Athéna…

Le fils de Valkhan hésite, ne sachant plus ce qu'il doit ou ce qu'il peut dire, ne sachant plus ce qui relève de la vérité ou du mensonge, du rêve ou du réel. Si le Chevalier du Scorpion ne l'a pas remarquée, l'hésitation de Vicky n'a pas échappé à Argon, qui aurait bien aimé connaître le fond de la pensée de son disciple.

- Dis-moi Dawoud, murmure Argon. Tu m'as bien dit que Valkhan était venu ici accompagné de deux enfants ?
- Hein ? Oui, son fils, Vicky, et sa fille…
- Hum… Je suis pourtant certain que Valkhan n'a jamais eu de fille…

Khyron s'avance au devant de Vicky, dont les larmes commencent à se tarir. En seulement quelques minutes, celui qui porte bien son surnom de Sinistre lui a non seulement appris la mort de son père et le crime suprême dont il était accusé, mais il vient aussi de lui demander de tuer tous les Chevaliers que Valkhan aurait formés, c'est-à-dire ceux qui étaient devenus ses frères, sa famille.

- Alors Vicky ? Que décides-tu ?
- JAMAIS ! hurle-t-il en portant un coup de poing au visage de Khyron. Jamais je ne t'obéirai ! Aaaargh !

En levant la main, le Chevalier du Scorpion a bloqué le poing de l'aspirant Chevalier, il le serre violemment, avant de repousser le jeune homme en arrière, en déployant une infime partie de son infini Cosmos. Emporté, Vicky est propulsé jusqu'à se fracasser contre l'obélisque avant de retomber face contre terre dans le sable du désert.

- Tu es vraiment un imbécile, Vicky. Le Grand Pope souhaite te donner une chance. Il ne voulait pas que la loi du sang fasse de toi un traître comme ton père. Tant pis pour toi, tu ne deviendras jamais Chevalier si tu persistes à t'obstiner dans ton refus de coopérer avec moi. Tous les Chevaliers doivent prêter serment de fidélité et d'allégeance au Grand Pope et à la Déesse Athéna.

Alors qu'un mince filet de sang traverse son visage, Vicky se relève, défiant de son regard le Chevalier d'Or. Un regard empli de détermination que Khyron et Argon reconnaissent bien : la même flamme que celle qui brillait autrefois dans les yeux de Valkhan. Puis le garçon s'élance en courant et en hurlant, pour libérer toute sa rage. Ecartant sa cape en déployant son Cosmos, Khyron ouvre grand les yeux, fixant aveuglément la silhouette de l'adolescent qui le charge.

- Restriction !

Des yeux de Khyron semblent émaner deux séries de cercles concentriques rouges. Aussitôt, le corps de Vicky se paralyse. Le garçon comprend à peine ce qui lui arrive : il se sent irrémédiablement attiré par ce regard… Ce regard qui n'est pas sans lui rappeler l'impression que le Chasseur avait provoquée en lui six ans plus tôt. La redoutable technique du Chasseur visant à intimider son adversaire fait également partie de la panoplie de Khyron le Sinistre. Vicky sent la peur monter en lui, la peur de son adversaire que sa colère avait jusque là masqué en inconscience. C'est comme si cette peur lui faisait retrouver sa lucidité perdue : il sait bien que s'il persiste à défier Khyron, il va mourir, car il ne peut rien faire contre un Chevalier d'Or.

- Je vais te donner l'occasion de réfléchir une dernière fois à la proposition du Grand Pope, Vicky, déclare le Chevalier du Scorpion. Si après cela tu t'obstines à refuser, je n'aurai d'autre solution que de te tuer, car c'est le seul sort que méritent les traîtres.

Brandissant son bras droit devant lui, pointant le jeune garçon de son index dont l'ongle acéré se teinte d'une lueur rougeoyante, Khyron fait exploser son Cosmos, quand un rayon rouge jaillit de son doigt et vient traverser un Vicky immobilisé et incapable de se défendre.

- Par l'Aiguille Ecarlate !

Une lancinante douleur s'empare de Vicky à l'endroit où l'Aiguille Ecarlate vient de le piquer. Se tordant sous son effet, Vicky tombe à genoux tout en maintenant son épaule qui le fait terriblement souffrir.

- La piqûre du Scorpion est redoutable, commente Khyron. Mon attaque a frappé un centre nerveux de ton corps et stimule la douleur, entre autres effets. Tu risques de souffrir bientôt de troubles sensoriels. Rassure-toi, tu ne mourras pas avec une seule piqûre. Mais pour un homme ordinaire, c'est déjà beaucoup. Tu as le choix : ou bien tu persistes à refuser mon marché et j'abrégerai tes souffrances, ou bien tu acceptes et je ferai en sorte que la douleur s'amenuise jusqu'à ce que tu aies achevé ta mission, après quoi le Grand Pope te guérira.

Le garçon relève la tête, serrant les dents, montrant un regard empli de haine au Chevalier d'Or, en guise de réponse. Khyron secoue la tête lentement, de dépit.

- Tu es ridicule… Je perds mon temps avec toi. Je ferai mieux de t'achever tout de suite. Mais je vais attendre un peu, attendre que la douleur de l'Aiguille Ecarlate se soit répandue à travers tout ton corps, attendre que tu m'aies énoncé ton choix : l'acceptation de mon marché ou la mort ! Et tu finiras bien par choisir, tu n'endureras pas cette torture indéfiniment.

Vicky bondit dans l'espoir utopique de frapper le Chevalier d'Or mais il ne rencontre que le vide, venant s'écraser quelques mètres plus loin dans le sable. Si une violente douleur ne l'avait pas aussitôt paralysé, il aurait sans hésiter renouvelé sa tentative, pour montrer à Khyron qu'il n'était pas prêt de lui faire le plaisir de choisir. Jamais il n'acceptera son marché, pas plus qu'il ne le suppliera de mettre fin à ses souffrances… même s'il doit garder la douleur de l'Aiguille Ecarlate toute sa vie. Quand Khyron l'envoie valser d'un violent coup de pied…
Est-ce la violence du coup combinée à la piqûre du Scorpion, ou l'accumulation de toutes ces nouvelles qui ont fait s'écrouler son univers ? Le pauvre enfant sombre dans une forme de demi-conscience où semblent se mêler délire et réalité : la silhouette de Khyron qui le regarde de haut, celle d'Argon qui n'a pas daigné dire le moindre mot depuis la venue de son maître, et celle de Dawoud qui pleure parce qu'il ne peut pas lui venir en aide. C'est alors qu'une autre silhouette apparaît juste devant lui… Un sourire bienveillant, une chaleur empreinte de tendresse et de réconfort…

- Ma… Maman…

Il était bien trop petit pour pouvoir se souvenir d'elle, mais il n'y a aucun doute : c'est elle, telle que son père la lui a si souvent décrite, si belle, si tendre… A ses côtés, apparaît bientôt une autre silhouette qu'il connaît bien : son père… Quelques regards suffisent, pas besoin de mots : Vicky se relève. Debout en face de ses parents, le garçon sent le courage renaître en lui. Une voix résonne alors dans son dos…

- Tes parents ne t'abandonneront jamais, Chevalier…

Vicky se retourne alors que les images de Liana et de Valkhan s'estompent lentement. Il voit l'obélisque, seulement l'obélisque… mais il émane d'elle comme une présence, une présence qu'il a si souvent ressentie ces six dernières années, un Cosmos réconfortant qui si souvent est venu l'aider quand il en avait le plus besoin. Mais pour la première fois, celui-ci prend une apparence… humaine…
C'est un vieil homme dont les longs cheveux châtains semblent avoir gardé toute la vigueur et la beauté de leur jeunesse. Malgré les rides qui marquent son visage, ses yeux bleus respirent la fraîcheur. Il porte une longue toge dorée et décorée de somptueux motifs appartenant à différentes cultures.

- Vous… Vous êtes le Cosmos de l'Obélisque ? demande Vicky. Vous m'avez appelé Chevalier mais je ne le suis pas…
- Il y a bien longtemps que je sais que tu le deviendrais. D'ailleurs tu as réussi.
- J'ai réussi ? Mais qu'est-ce que j'ai réussi ?
- L'épreuve, sourit le vieil homme. L'épreuve que doit accomplir celui qui veut porter l'Armure de la Licorne…
- Comment cela ? Mais je n'ai accompli aucune épreuve ?
- Bien sûr que si. Ta détermination, ta volonté, ta loyauté ont réveillé l'Armure qui sommeille sous les sables du désert.
- Mais comment le savez-vous ?
- Je le sais, sourit-il. L'Armure de la Licorne, tout comme l'Obélisque, garde une partie de la Mémoire.
- La Mémoire ?
- Oui… ma mémoire… Mais à présent il est temps que tu montres au Chevalier du Scorpion qu'il n'a pas réussi à t'empêcher de devenir Chevalier. Enflamme ton Cosmos, Chevalier de la Licorne !

Alors qu'une faible aura mauve commence à se former autour du corps de Vicky, le vent se lève, soulevant le sable du désert. Pendant un bref instant, Khyron est surpris, quand il réalise qu'il ne s'agit pas d'un brusque changement météorologique.

- Ainsi tu as réussi à intensifier suffisamment ton Cosmos pour lever une petite tempête de sable ? Pourquoi insistes-tu ? Alors que tout cela ne te mènera nulle part !
- N'en sois pas si sûr, Khyron ! Regarde mieux !

Maintenant qu'il s'est relevé, Vicky fait briller son Cosmos de mille feux, l'intensifiant au maximum. Alors que tout cela ne semblait pas inquiéter le moins du monde le Chevalier du Scorpion, celui-ci semble tout à coup troublé durant un bref instant.

- Non… Je dois me tromper… Ce Cosmos… C'est impossible… (A Vicky…) Puisqu'une seule piqûre de l'Aiguille Ecarlate n'a pas suffi à te faire entendre raison, je me vois contraint de te porter une nouvelle fois mon attaque. Et là tu comprendras que tu as commis une énorme erreur.

Le Chevalier d'Or pointe son doigt en direction de Vicky, son ongle rougeoyant s'allongeant brusquement. Dans la tempête de sable, Vicky se prépare à charger. Non loin de là, Argon et Dawoud continuent d'observer, à l'abri derrière un muret. Quand Khyron attaque…

- Par l'Aiguille… Quoi ? !

Alors que la piqûre jaillit tel un rayon à peine perceptible de l'index de Khyron, une explosion de lumière se produit juste entre lui et le jeune garçon, là où un coffre de bronze a surgi d'entre les sables, annihilant l'attaque du Chevalier d'Or. Bondissant, Vicky attrape l'anneau qui va lui permettre d'ouvrir la boîte. Quelques instants plus tard, l'Armure de la Licorne étincelle sur le corps de Vicky.

- Tu vois Khyron, tu t'es trompé ! Tu ne m'as pas empêché de devenir Chevalier !

Médusé, le Chevalier du Scorpion recule, il n'arrive pas à croire ce qu'il voit. Pourtant force est de se rendre à l'évidence : l'Armure de la Licorne a reconnu Vicky comme son légitime propriétaire.

- Ainsi donc je ne m'étais pas trompé, soupire Khyron le Sinistre. C'était bien le Cosmos de Melchior que j'ai ressenti tout à l'heure. Dans ce cas…

C'est ainsi que le Chevalier du Scorpion s'en retourne, s'enfonçant vers les étendues sableuses, laissant retomber l'intensité de son Cosmos. Interloqué, Vicky ne peut s'empêcher de rester sur ses gardes tout en l'interpellant.

- Tu t'en vas ?
- Si feu le Grand Pope Melchior a décidé, par-delà la tombe, que tu étais digne de porter cette Armure, il ne m'appartient plus de m'opposer à cette décision.
- Alors tu abandonnes ? poursuit Vicky tandis que la douleur de l'Aiguille Ecarlate lui rappelle subitement la première blessure que lui a infligée Khyron.
- Mmm… ricane Khyron. Mon marché tient toujours, mais je te laisserai le temps d'y réfléchir.

Khyron se retourne pour faire face au Chevalier de la Licorne, lequel a porté sa main sur son épaule tout en grimaçant.

- Vicky ! Ne gâche pas la chance qui t'est offerte aujourd'hui. Tu sais ce que tu dois faire à présent, Chevalier. C'est l'honneur de ton nom qui est en jeu ! Ton père a trahi le Sanctuaire et la cause de la Déesse Athéna. Même après sa mort, les traîtres qu'il a formés poursuivent son crime. Ils doivent mourir. Tu n'as pas d'autre choix si tu veux laver le déshonneur qui entache ton nom, et la piqûre de l'Aiguille Ecarlate te le rappellera sans cesse, Chevalier.

Sur ces mots, Khyron le Sinistre s'en va sous le regard interrogateur de Vicky, tandis que Dawoud se précipite pour prêter assistance à son jeune ami. De son côté, Argon ferme les yeux.

- Décidément, chuchote le Chevalier d'Argent, après la petite fille, le Cosmos de Melchior… Je me demande…


Au sommet du piton rocheux de l'Ile de la Mort, un groupe de Chevaliers Noirs, de retour du corps principal de l'île, porte des nouvelles qui ne semblent pas du goût de Sciron, lequel peste en frappant violemment l'un des accoudoirs de pierre de son trône, désormais réduit à l'état de cailloux. Non loin de lui, Garrick jette un œil dans le ciel, vers le soleil qui ne devrait plus tarder à se coucher, comme si son incertitude vis-à-vis du comportement de Sciron le poussait à rapidement espérer que cette journée s'achève.

- Je maudis tous les Chevaliers d'Athéna ! rugit le Seigneur Noir. Qu'ils viennent ici alors ! Nous allons leur montrer de quel bois sont faits les véritables Chevaliers Noirs ! Rassemblez tout le monde !

En très peu de temps, des hordes de jeunes guerriers, pour la plupart vêtus d'une sombre armure ont rejoint leur chef, lequel les stimule avant la bataille qu'il sait proche.

- Cinq Chevaliers d'Athéna progressent en direction de notre base ! Il n'est pas question qu'un seul d'entre eux s'en sorte vivant. La Gardienne est pratiquement morte, son pantin est hors d'état de nuire et le Chevalier Phénix est tombé, les autres ne peuvent représenter une véritable menace pour nous. Préparez-vous à les massacrer tous !
- Hum… l'interrompt Garrick ne masquant pas son inquiétude grandissante. Je crains fort que vous n'ayez plus le temps de vous préparer davantage. Ils arrivent… Par la Brume Matinale !

Tandis que le Chevalier du Petit Renard organise sa défense personnelle pour ne pas prendre le moindre risque dans le combat à venir, des dizaines de Chevaliers Noirs se sont retournés pour voir les cinq Cosmos en train de franchir le pont de cordes et de bois à une vitesse prodigieuse. Bientôt, cinq Chevaliers de Bronze, côte à côte, leur font face. De droite à gauche : Néo, Issa, Shin, Sven et Vicky.

- Chevaliers Noirs ! crie Néo. Je me doute que je perds mon temps mais je persiste à vouloir essayer de vous accorder un espoir : libérer Cassandra sur-le-champ ou vous mourrez !
- Vous n'avez pas l'ombre d'une chance, poursuit Vicky. Sans la brume mystique et contre plusieurs Chevaliers réunis, vous ne pouvez pas réussir là où les vôtres ont échoué quand ils étaient confrontés à un seul d'entre nous.
- Abrutis que vous êtes ! beugle un Sciron qui se protège derrière un rempart de sbires. Nous sommes beaucoup plus nombreux que vous !
- D'après ce qu'Hassadan nous a dit, reprend Shin, vous étiez également très nombreux contre lui seul, et combien d'entre vous ne sont pas revenus de la tour ?
- CHARGEZ ! ordonne alors le Seigneur Noir.

Tous les Chevaliers Noirs en première ligne répondent à l'injonction de leur seigneur et, hurlant cris de guerre et jurons, intensifiant leur faible Cosmos, ils se ruent vers des adversaires bien trop puissants pour eux. Dans le même temps, Issa observe un moment les ondulations de sa chaîne.

- Garrick se cache dans la brume qui vient de se lever sur notre droite, dit-il. Il va falloir se méfier de lui.
- Je m'en occupe, réagit Néo. C'est lui qui a généré la brume sur l'île tout à l'heure. Sans cela, j'aurai pu moi-même me débarrasser du Pégase Noir, j'ai un compte à régler avec ce Garrick !

Le Chevalier Pégase bondit à travers la brume tandis que ses quatre compagnons commencent le combat. Sur la ligne de front, quatre Chevaliers Noirs s'effondrent pour ne jamais plus se relever.

- Par le Galop de la Licorne !
- Par la Poussière de Diamant !
- Par la Colère du Dragon !
- Chaîne Nébulaire !

Au sein de la brume, Néo se concentre, intensifiant son énergie tout en essayant de repérer un indice qui lui permettrait de repérer le Chevalier du Petit Renard. Mais il n'y croit guère : Kemri lui a raconté comment cet adversaire savait si remarquablement se masquer aux yeux de ses ennemis.

- Puisqu'il ne sert à rien d'essayer de te repérer, Garrick, déclare Néo en souriant, je vais directement te frapper, avec toute la puissance de mes météores !

Sans bouger, Néo décoche une multitude de météores à une vitesse défiant l'imagination. Il frappe sans cesse, se contentant de pivoter pour couvrir toute la zone de brume et obliger son adversaire à se montrer.

- Tu as beau te cacher, Garrick, il te faudra bien réagir car si tu restes inactif, mes coups finiront bien par t'atteindre !
- Qui a dit que je ne bougeais pas ? lui répond une voix dont la provenance reste indéterminable. Tes coups sont puissants et rapides, Chevalier Pégase, mais tant que tu ne pourras me localiser, je pourrai toujours les éviter.
- Peut-être, mais à force de te faire courir, je finirai bien par t'épuiser. Tu ne tiendras pas bien longtemps à esquiver mes coups sous cette chaleur harassante !
- Mais je n'ai pas l'intention de continuer ce jeu bien longtemps ! Mon attaque mettra fin à tes assauts. Par la Course Ecarlate !

Alors qu'une aura orangée prend la forme d'un renard en train de fondre sur Néo, le Chevalier Pégase cesse de porter ses coups, esquissant un sourire de satisfaction car Garrick a fait exactement ce qu'il voulait : il attaque. Néo le voit, courant aux côtés du renard, mais Kemri lui a bien dit que ses sens le tromperaient sans doute. Quand le choc est sur le point de se produire, Néo ferme les yeux, déployant toute la puissance de son Cosmos autour de lui. Il ne va pas attaquer Garrick avec sa technique secrète des Météores de Pégase, mais simplement avec l'émanation de son Cosmos qu'il fait exploser tout autour de lui, symbole et manifestation de toute la puissance qu'il a emmagasinée depuis sa défaite contre son double. Un hurlement : quelle que soit la provenance de Garrick, celui-ci ne pouvait qu'être touché par un assaut qui frapperait dans toutes les directions à la fois. Tous deux frappés, les deux Chevaliers sont projetés en arrière et retombent au sol… mais à cause du choc, Garrick a perdu sa concentration, et sa brume a disparu.
Néo se relève, pratiquement indemne : l'attaque de Garrick n'a pas pu être portée au maximum de son efficacité. Se remettant rapidement de son étourdissement, son adversaire fait de même, et pendant un bref instant son sourire agaçant a laissé place à une expression de rage.

- Je te félicite Pégase, mais je ne me laisserai pas avoir deux fois à ton petit jeu, reprend-il en arborant à nouveau son petit sourire narquois. Ce n'est pas parce que tu m'as fait lever ma défense que je ne pourrai plus m'en servir. Regarde ! Par la Brume Matinale !

Néo ne bouge pas. Depuis qu'il s'est relevé, il n'a cessé d'observer Garrick, d'étudier son Cosmos pour le localiser, l'appréhender… A présent le Chevalier Pégase est confiant car il est certain de gagner : Garrick ne pourra plus le tromper !

- Pégase ! résonne la voix de Garrick. Une attaque ne marche pas deux fois, n'est-ce pas ce qu'on dit ? La Brume Matinale me confère certaines facilités pour analyser les attaques de mes adversaires. Ta stratégie précédente ne pourra plus réussir. Par la Course Ecarlate !

Sans prêter la moindre attention à la silhouette de Garrick ni au renard roux courant à ses côtés, Néo dessine la constellation de Pégase avec ses deux mains, souriant et fermant les yeux.

- Que les Météores de Pégase te terrassent !

Avant que Garrick n'ait pu atteindre Néo, les météores frappent et projettent le Chevalier du Petit Renard à terre. La brume cesse alors que Garrick s'encastre dans le sol rocailleux, son Armure portant les nombreuses marques des impacts des météores qui l'ont fauché dans sa charge, interrompant son attaque, annihilant sa défense et le blessant grièvement. Gagné par la peur, Garrick ne comprend plus rien. Il se relève péniblement sans perdre des yeux le Chevalier Pégase.

- Argh… gémit-il. Ce n'est pas possible ! Comment as-tu fait pour me repérer ?
- C'est pourtant simple, Garrick. Quand tu es dans la brume, on ne peut pas te percevoir, mais j'avais cherché à te trouver avant que tu ne relances ta défense. C'est uniquement pour cela que je t'ai laissé le temps de te relever et de relancer ta Brume Matinale - que d'ailleurs tu devrais rebaptiser Brume du Soir à cette heure-ci - juste pour me fier uniquement aux vibrations de ton Cosmos, avant qu'elles ne soient perturbées. Ta défense est désormais inefficace contre moi. Tu es vaincu, Garrick !

Debout, apparemment résigné, le Chevalier du Petit Renard se sent terriblement blessé dans son orgueil : quelqu'un vient de le tenir en échec par deux fois en rendant inutile sa défense dont il était si fier.

- Tant pis, je vais donc renoncer à me défendre. Et je vais t'attaquer de toutes mes forces. Je te montrerai qui je suis vraiment.

Garrick entame une nouvelle charge, l'image du renard courant toujours à ses côtés. D'un air de dépit, Néo dessine à nouveau sa constellation.

- Tu es fou, mes météores vont t'atteindre avant que tu me touches, et tu ne survivras pas à deux attaques de cette puissance. Par les Météores de Pégase !

Alors que les Météores s'apprêtent à le faucher, Garrick esquisse un sourire à l'adresse de Néo. Glissant au sol, il prend appui sur ses deux bras, projetant tout son corps vers le haut, au-dessus des météores, et fauchant le Chevalier Pégase au menton.

- Par le Panache du Petit Renard !

Néo est surpris : Garrick l'a feinté car il ne l'a pas frappé avec sa technique de la Course Ecarlate. Et c'est pour ça que ses Météores ne l'ont pas atteint, parce qu'il a mal jugé la trajectoire de Garrick. Le coup porté est d'une puissance magistrale : le casque de Néo explose sous l'impact.

- J'ai plus d'un tour dans mon sac, jubile Garrick. Je suis sans conteste le plus rusé de tous les Chevaliers d'Athéna ! Et en matière de feinte, je suis le meilleur. Si tu n'avais pas eu ton casque, ta tête aurait éclaté sous l'impact. Mais maintenant qu'il est détruit…

Bien que légèrement sonné, Néo se relève, le visage ensanglanté, le crâne désormais sans protection. Décidément rien ne semble joué d'avance dans ce combat ! Les deux Chevaliers se défient du regard, leurs deux auras s'intensifiant au maximum, la sueur recouvrant leur visage à cause de la chaleur et des rebondissements multiples du combat.
A nouveau, Garrick court en direction de Néo, en compagnie de son renard chimérique. De son côté, le Chevalier Pégase fait de même. Puisqu'il ne peut déterminer si son adversaire va l'attaquer avec sa technique de la Course Ecarlate ou avec celle du Panache du Petit Renard, sa seule chance de le toucher à coup sûr est de frapper en même temps que lui, en le contre chargeant…
Au dernier moment, Garrick fond sur Néo : c'est la Course Ecarlate ! Mais il est trop tard pour dessiner la constellation de Pégase et porter une attaque assez efficace pour s'attribuer la victoire ainsi. De toutes façons, Néo avait une autre idée. Alors que Garrick lui délivre une avalanche de coups, le Chevalier Pégase se concentre sur un seul objectif : il saisit son adversaire avec ses deux bras tout en intensifiant son Cosmos. Surpris, Garrick relâche un instant la cadence de ses coups… Les deux adversaires décollent du sol, emportés par un puissant tourbillon.

- Par le Tourbillon Broyeur de Pégase !

Après avoir décrit un large arc de cercle dans le ciel de l'Ile de la Mort, Néo rapproche dangereusement son adversaire du sol. Totalement impuissant, Garrick observe la mine réjouie de Néo : lui aussi l'a trompé en utilisant une nouvelle technique, et sa volonté inébranlable lui a permis de ne pas chanceler.

- Eh oui Garrick, tu n'es pas le seul à avoir plus d'un tour dans ton sac. Dans quelques secondes, je t'écraserai sur le sol et vu ton état, tu ne t'en relèveras pas !

Sachant pertinemment que Néo a raison, Garrick sent la mort arriver. Alors, il sourit… Ce qui n'est pas sans provoquer un étrange doute dans l'esprit de Néo. Un choc violent : le Chevalier Pégase s'écrase sur le sol, ne sentant plus la présence de l'adversaire qu'il tenait. Un rire sarcastique résonne alentour alors que l'ectoplasme d'un renard argenté bondissant sur le sol se change bientôt en étoile filante.

- Nous nous retrouverons Chevalier, clame la voix de Garrick. Kemri aurait dû te prévenir que je ne mourais pas si facilement.
- C'est pas vrai ! enrage Néo. Tu fuis ? !

Couvert de sang, Néo se relève et ne peut qu'assister, impuissant, à la disparition du renard argenté dans les étoiles.


Des dizaines de corps jonchent le sol du piton rocheux de l'Ile de la Mort. La plupart des Chevaliers Noirs n'ont pas survécu aux assauts des quatre Chevaliers de Bronze qui leur faisaient face. Devant Sciron, il ne reste plus que cinq hommes, formant le dernier carré.

- Ecartez-vous ! hurle le Seigneur Noir. Si vous n'êtes pas capables de résister à ces avortons, je m'en chargerais moi-même !

Sans attendre, les cinq Chevaliers Noirs s'écartent pour se réfugier dans l'entrée de la galerie creusée dans le sous-sol, laissant le champ libre à Sciron, dont l'aura enflammée est prête à s'embraser : il n'a cessé de concentrer son Cosmos depuis le début du combat, dans le seul but de porter une seule attaque d'une puissance phénoménale et qui ne laisserait aucune chance à ses adversaires. Déployant son aura de feu, Sciron fend l'air de son poing, donnant naissance à une tornade de flammes exceptionnelle.

- Faites vos prières, minables ! Par l'Enfer de la Mort !
- Attention ! crie la voix de Néo venant de rejoindre ses compagnons.

Malheureusement, le combat et la chaleur ont largement épuisé les cinq garçons, et c'est dans l'inquiétude la plus totale que ceux-ci vont tenter de survivre à cette attaque redoutable. Quand tout à coup, un vent violent surgi du néant semble bloquer le tourbillon de feu…

- Quoi ? ! beugle le Seigneur Noir incrédule.

Sous les regards médusés de Sciron et des cinq Chevaliers de Bronze, la tornade de flammes s'est stabilisée entre les deux camps. Mais le plus étrange, c'est qu'elle continue de s'intensifier, devenant une spirale tournoyant de plus en plus vite et grandissant sans cesse. Bientôt, en son centre, l'ombre d'un homme se dessine…

- Il est pour moi… L'heure de Sciron est venue…

Absorbant les flammes de l'attaque de Sciron pour que celles-ci viennent grandir son aura, le Chevalier Phénix fait son retour, les yeux fixés sur une seule cible et animés par la flamme d'une haine sans égale… Derrière lui, soulagés de voir leur frère d'arme encore en vie, et aussi de ne pas avoir eu à encaisser l'attaque infernale de Sciron, les Chevaliers de Bronze reculent pour laisser le Chevalier Phénix régler ses comptes.

- C'est impossible ! vocifère le Seigneur Noir. Tu es mort !
- Tu n'as vraiment jamais été rien d'autre qu'un imbécile, Sciron : tu n'as toujours rien compris. Pourtant tu m'as vu revenir de l'Enfer lorsque je me suis battu contre Icare. Les flammes de l'Ile de la Mort m'ont certes réduit en cendres, Sciron… Mais le Phénix renaît toujours de ses cendres ! Tes propres flammes m'ont attiré jusqu'ici, et sache que le feu ne peut rien me faire. Au contraire, il me régénère et me permet de revenir encore plus puissant que jamais. A présent tu vas payer !

Kemri tend sa main devant lui, indiquant avec ses doigts le nombre " quatre " à Sciron, lequel ne semble pas comprendre tout ce qui se passe : on ne saurait dire à son regard marqué par la folie si c'est la peur ou la rage qui dicte sa conduite, peut-être les deux…

- Quatre ! reprend Kemri. C'est le nombre de coups que je te porterai, pas un de plus, pas un de moins. Pour chacune des quatre personnes dont tu t'es délecté des souffrances, avec qui tu as joué… C'est en leur nom que maintenant, je vais te tuer !
- Me tuer ! Tu rêves, pauvre fou ! Tu n'as jamais été plus fort que moi !

Sciron charge, et de toutes ses forces, précipite son poing en avant, que Kemri bloque d'une seule main. Le bruit d'un craquement osseux, un hurlement de douleur : Kemri a brusquement intensifié son Cosmos concentré dans sa main et a broyé le poing de Sciron, lequel recule en criant et en saisissant ses doigts fracturés et ensanglantés.

- C'était de la part d'Hassadan, poursuit calmement Kemri. Il s'est vaillamment battu contre tes hommes dans la tour, et toi, tu l'as enchaîné, abandonné à ses souffrances physiques et mentales, le condamnant… J'imagine ce qu'il a dû ressentir quand tu t'es servi de lui pour obliger Cassandra à se rendre. Maintenant tu paies pour cela : tu ne pourras plus jamais te servir de ta main droite, mais là où tu vas, sois tranquille, tu n'en auras plus besoin !

Ecumant de rage, Sciron se prépare à frapper avec son autre main tout en intensifiant son énergie, mais le Chevalier Phénix est plus rapide : un violent coup de poing dans les mâchoires de Sciron lui arrache les dents avant de renvoyer le Seigneur Noir s'encastrer dans la roche.

- Et de deux ! De la part de Cassandra !

Les yeux hagards, étourdi, Sciron essaie de se remettre debout, prêt à reprendre le combat.

- Pu... pu pe b'apapras pas, Vénix. Be suis pien pus révifant... perde, pes bents ? gémit-il.
- Oh que si je t'abattrai ! Toi qui n'as pas voulu écouter la voix de la Gardienne, vois ce qui arrive à la tienne, privé de tes dents. Tu as forcé Cassandra à se rendre parce que tu es un lâche et un misérable sans honneur, mais tu aurais dû prendre garde à son avertissement : en entrant dans la tour, tu te condamnais toi-même ! Et je suis l'artisan de cette prédiction !

Après un instant passé à essayer de s'habituer à la perte de presque toutes ses dents, Sciron se relève, se préparant à porter son attaque suprême.

- Très bien, comme tu voudras Sciron ! Je vais t'attaquer avec mon attaque la plus puissante, et nous verrons de tes flammes ou des miennes lesquelles l'emporteront.
- Tu te trompes, tu n'accompliras pas la parole de Cassandra, reprend Sciron essayant de retrouver la maîtrise de sa parole.
- Pourtant tout a déjà commencé, poursuit Kemri en écartant ses bras générant des flammes. Presque tous les Chevaliers Noirs qui étaient entrés dans la tour sont morts, comme elle te l'avait dit. Tu les as tous sacrifiés, et ça, il y a quelqu'un qui ne te le pardonnera jamais. Quelqu'un qui n'était pas assez fou pour me laisser employer cette technique, tu vois de qui je parle ? !
- Sauran ? Tu parles de cette lavette que j'ai tuée !
- Je ne l'aimais pas, mais il était intelligent et pour un Chevalier Noir, il avait de l'honneur. Même lui mérite d'être vengé. De sa part, subis le Vol du Phénix !
- Par l'Enfer de la Mort !

Le tourbillon de flammes de Sciron est littéralement absorbé par l'oiseau de feu qui vient traverser le Seigneur Noir de plein fouet, détruisant son armure. Projeté au bord du gouffre, fracassé sur le sol, Sciron rit. Oui, il rit ! Et pourtant il est passé bien près de la mort.

- Ha ha ha ! Je suis toujours vivant ! Même ton attaque la plus puissante ne m'a pas tué ! Et je ne suis même pas tombé dans les abysses du détroit de Charybde, là où ce minable de Sauran a péri ! Je suis increvable, moi !
- Mon attaque ne t'a pas tué simplement parce qu'il y a une quatrième personne qui a encore un compte à régler avec toi !
- Hein ? Sauran… la Gardienne et son pantin… Je ne vois pas qui d'autre.
- Tu l'as donc oublié ? soupire Kemri. Mais lui, il n'a rien oublié. Il y a des années qu'il attend cet instant ! Six ans ! Ca ne te dis rien ! ?
- Six ans ? Non, je ne vois pas…
- Un petit garçon de huit ans que tu as bassement humilié ! Laisse-moi te rafraîchir la mémoire ! Par l'Illusion du Phénix !

Celui qui croyait être devenu le chef invulnérable qu'il fallait aux Chevaliers Noirs n'a rien vu venir de l'attaque mentale du Chevalier Phénix. En une fraction de seconde, un fin rayon d'énergie lui traverse le cerveau pour le plonger dans un monde où tout risque de devenir un ultime cauchemar.

- Pour moi, le combat est fini, déclare Kemri, je t'ai porté mon dernier coup ! A présent tu vas récolter les fruits de ce que tu as semé ! Ma vengeance va s'accomplir, à l'image de ton destin !

Sciron s'approche du corps meurtri d'un garçon de huit ans qui vient d'être roué de coups. Tout en riant, il place ses pieds de chaque côté de son corps, ouvre son pantalon et laisse couler son urine sur le visage de l'enfant.

- Ah oui ! Je me souviens à présent : quand je t'ai pissé dessus ! Comme c'était drôle ! Hi hi hi !

Laissant résonner son ricanement aigu, Sciron continue de se délecter de ce souvenir témoignant seulement de sa santé mentale pour le moins dérangée.

- C'est trop jouissif, ça… Mais… Aaaaaaaaaaaaaaaaaaah !

Saisi d'une violente douleur, Sciron baisse les yeux. Le corps de l'enfant s'est embrasé, et le feu se propage jusqu'à son corps comme si l'urine faisait conducteur. Voyant ses organes intimes se consumer, puis sentant la brûlure de l'Enfer se propager à l'intérieur de son corps, le Chevalier Noir se tord de douleur.

- Tu m'avais dit que lorsqu'on se reverrait, annonce Kemri, tu me ferais comprendre ce que veut dire le mot Enfer, j'ai bien l'impression que c'est toi qui es en train de le découvrir. Adieu Sciron…

Sur le piton rocheux de l'Ile de la Mort, le regard de braise de Kemri observe le Seigneur Noir pris de convulsions. Ce dernier pousse de terrifiants hurlements et gesticule vainement, comme s'il voulait échapper à son cauchemar. Au bord du gouffre surplombant le tourbillon de Charybde, il ne se rend même pas compte que ses mouvements chaotiques le font déraper, le précipitant dans le vide. Au terme d'une chute vertigineuse, le corps de Sciron s'embroche sur un récif : le Seigneur d'un jour des Chevaliers Noirs est mort. Du haut du piton, le Chevalier Phénix observe la dépouille de celui qu'il haïssait plus que quiconque depuis des années.

- Tu avais raison Cassandra. Chacun d'eux a rencontré son destin à présent.


Une galerie souterraine qui s'enfonce dans les profondeurs du piton rocheux, sous les émanations toxiques de soufre. Les cinq derniers Chevaliers Noirs tentent de se soustraire à leur destin fatal.

- Nous n'aurions jamais dû écouter Sciron, dit l'un d'eux sous l'emprise d'un vent de panique, nous n'aurions jamais dû braver les paroles de la Gardienne.
- En plus, même lui a fini par succomber à la colère de Phénix, poursuit un autre.
- Il nous faut rapidement atteindre Cassandra, c'est notre seule chance. Le Chevalier Phénix nous laissera peut-être la vie sauve en échange de la libération de la Gardienne.
- Pourvu que les gaz toxiques ne l'aient pas déjà tuée… Hein ? !

Le premier des Chevaliers Noirs s'arrête, indiquant le sol autour d'eux. Rapidement, les visages de ses compagnons se couvrent de sueur, la peur les gagne : ils sont au centre d'un tapis de plumes, exactement comme celui que Cassandra avait créé dans sa tour.

- Alors… ça veut dire… que Cassandra sait que nous sommes là…

Regardant en direction d'un îlot de feu, les Chevaliers Noirs voient grandir une aura d'une blancheur immaculée écartant les flammes. Son Cosmos resplendissant, Cassandra s'avance dans leur direction, ses longs cheveux semblant animés d'une vie propre. Au même moment, les Chevaliers Noirs terrifiés sentent dans leur dos l'aura enflammée du Chevalier Phénix.

- Elle… Elle s'est libérée toute seule… Et Phénix nous a rattrapés…
- Chevaliers Noirs, murmure la douce voix de Cassandra, vous ne pensiez tout de même pas sérieusement qu'un Chevalier d'Argent serait arrêté par un simple écran de flammes. Je me suis laissée capturer, ne l'oubliez pas. A présent, Hassadan et les enfants de la prophétie sont hors de danger, et Sciron a rencontré son destin fatal, il n'est plus nécessaire que je reste ici…

Dans une grotte souterraine, cinq Chevaliers Noirs sont au centre d'un tapis de plumes. Devant eux, la voie est bloquée par la Gardienne qui les a toujours retenus prisonniers. Derrière, la seule autre issue est maintenant neutralisée par le Chevalier Phénix qui vient de terrasser leur Seigneur. Convaincus que leur dernière heure est arrivée, ceux-ci se jettent sur leurs bourreaux. Naissant d'une aura rougeoyante, un oiseau de feu s'élance vers eux, tandis que de l'autre côté, naissant d'une aura d'énergie pure, une magnifique colombe s'envole.

- Par le Vol du Phénix !
- Par le Vol de la Colombe !

Ainsi a lieu la rencontre de deux oiseaux prestigieux, fatale aux cinq derniers survivants des Chevaliers Noirs. Le choc passé, alors que plus rien ne sépare le maître de son disciple, un homme et une femme sont face à face : Kemri esquisse un sourire tandis que Cassandra lui tend une main.

- Je t'ai attendu, Phénix…
- Je suis là, maître… Maître !

Une quinte de toux, une perte d'équilibre, Cassandra chancelle tout en portant sa main à son visage masqué. D'un bond, Kemri la rattrape dans ses bras avant qu'elle ne s'effondre, tandis que doucement elle retire son masque…

- Ne t'en fais pas Phénix, j'ai trop longtemps respiré ces vapeurs toxiques… Mais il m'en faudra bien davantage pour m'abattre. Un peu de repos et je serai guérie…
- Oui, Cas… Cassandra… je te ramènerai jusqu'à la tour…

Epuisée, Cassandra perd connaissance, après avoir laissé glisser son masque sur le sol. Pendant de longues secondes, le regard apaisé de Kemri contemple son visage si doux, qu'il n'avait jamais vu autrement que dans les souvenirs que Cassandra avait bien voulu partager avec lui. Approchant son visage de celui de celle qu'il a toujours admirée, et peut-être bien plus encore, Kemri détourne un instant ses yeux sur ce masque gisant au sol, avant de poser ses lèvres sur celles de son maître.


Tout en portant le corps inconscient de son maître dans ses bras, à qui il a pris soin de masquer à nouveau le visage, Kemri rejoint ses cinq compagnons à la surface. Quelque temps plus tard, le groupe a regagné la tour où Sandra et Hassadan les accueillent, soulagés. Reprenant conscience, dépassant son épuisement, Cassandra s'agenouille devant la jeune réincarnation d'Athéna.

- Princesse Athéna… Mon cœur se réjouit de pouvoir te retrouver. Le moment est venu de vous dire, à vous tous, Enfants du Destin, ce qui m'a été annoncé… Je vais vous faire partager ce que j'ai vu, ce qui s'est passé il y a treize ans, lorsque tu es revenue parmi nous, Athéna… Pour que vous compreniez quel est notre combat…

Invitant chacun des sept compagnons à s'asseoir, Cassandra rejoint le centre de la grande pièce circulaire où près de neuf ans auparavant, elle avait fait la même chose en présence de Valkhan. Sous la lumière des torches, devant sept jeunes gens attentifs, la prophétesse parle.

- Il y a treize ans, Valkhan a été accusé d'un crime qu'il n'a pas commis. Je vais vous montrer ce qui s'est passé en cette terrible nuit de septembre de l'année 2186. Mais avant vous devez l'entendre…
- La Prophétie, murmure Hassadan resté à l'entrée de la pièce.

Majestueuse et envoûtante, la voix de Cassandra résonne à travers toute la tour, l'aura de la prophétesse s'intensifiant : la Gardienne semble entrer dans une transe étrange qui plonge chacun des Enfants du Destin dans un univers où ne subsistent plus que la mémoire du passé et les espoirs du futur…

- AU COMMENCEMENT ETAIENT SEPT ENFANTS…


Un endroit étrange baigné par une mystérieuse lumière. Un œil qui s'ouvre, un homme meurtri qui se relève. Il dispose son bras devant son visage pour protéger ses yeux de l'éblouissement. Mais ce qu'il croyait être le soleil illuminant le ciel est tout autre. Au-dessus de lui, une étrange voûte semble retenir une immense étendue aquatique. Seul, perdu au milieu de milliers de coraux, il s'abandonne à la contemplation. Derrière lui, dans la fine bruine ambiante, une simple silhouette rougeoyante se dessine parmi les gorgones multicolores. Une douce mélopée commence.

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Cette fiction est copyright Laurent Habault.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.