Chapitre 2 : Ayan


Le ciel était livide et ses pas s’enfonçaient profondément dans la neige mais Hyôga se sentait presque heureux. Il humait l’air de son pays à pleins poumons et regardait sans les voir vraiment les paysages tous semblables les uns aux autres qui l’entourait : de la neige et du vent à perte de vue, ça et là des glaciers ou des bosquets de sapins. Parfois on trouvait même un village, perdu dans cette immensité. Le sien n’était plus très loin, il le savait et accéléra le pas. Il grimpa une dernière colline enneigée et de son sommet, il l’aperçut. Il dévala alors l’autre versant d’un pas leste et en quelques instants se retrouva devant la porte du chalet qu’il habitait. Il y avait vécu autrefois avec le seigneur Cristal du temps où il était son élève. C’était son chalet et à sa mort, Hyôga avait choisi de continuer à l’habiter. Il n’avait pourtant modifié aucune de ses habitudes de l’époque : il occupait toujours son ancienne chambre alors que celle du seigneur Cristal était bien plus spacieuse et agréable. Mais il se refusait à toucher quoi que soit et rentrait très rarement dans la chambre de son ancien maître. Le chalet était plutôt spacieux : il y avait une grande pièce qui servait de salon dans laquelle se trouvaient une sommaire table en bois, quelques chaises et un vieux canapé. Une grande cheminée occupait presque la totalité de l’un des murs et sur ses rebords, de vieilles photos avaient été posées. Il y avait là plusieurs générations de chevaliers des glaces et de génération en génération, on se les transmettait par l’intermédiaire de ce chalet. Dans un coin de la pièce, une porte donnait sur une minuscule cuisine dans laquelle ne pouvait rentrer qu’une personne à la fois. A l’autre extrémité, une autre porte donnait sur un couloir qui amenait lui-même aux chambres et à la salle de bains. Celle du seigneur Cristal se trouvait au fond alors que celle de Hyôga était proche du salon. La salle de bains séparait les deux. En entrant Hyôga posa son armure et les quelques affaires qu’il avait avec lui dans un coin du salon et entreprit de faire du feu dans la cheminée. Le froid qui régnait dans la pièce ne le gênait pas mais la douce chaleur que propageait un feu de cheminée dans une pièce lui était également agréable. Il en eut pour quelques minutes, après quoi il se dirigea vers sa chambre. Il ouvrit grand la porte pour que la chaleur du feu s’y diffuse. Sa chambre était assez petite et sobre : un lit étroit collé contre un mur, une petite table de nuit et une armoire appuyée contre l’autre mur en constituaient le seul mobilier. Mais il la retrouvait toujours avec plaisir, et même si le chalet paraissait bien vide parfois, il était pour lui comme un lien avec son passé. Son cher et tendre passé. Le temps doux et sauvage de l’enfance et de l’amitié. Le temps aussi des premières blessures mais malgré cela, c’était surtout l’espoir d’un avenir meilleur... Espoir déçu s’il en est! pensa Hyôga. Il retourna au salon et s’assit prés du feu où il laissa ses pensées se perdre dans les méandres de son âme. Il resta un long moment ainsi puis décida brusquement de se rendre au village. Il se leva, sortit et partit d’un pas alerte vers le village. A mi-chemin, il aperçut une petite forme qui se dirigeait vers lui. Il s’approcha un peu et reconnut le petit Jacob. L’enfant, fortement emmitouflé, croulait sous un gros sac qu’il transportait sur son dos.

- Eh, bien, Jacob où vas-tu avec un si gros fardeau ?

- Hyôga ! S’écria le petit dont le visage s’illumina d’un grand sourire. Mon grand père t’a vu passer tout à l’heure et il m’a dit de venir t’apporter ces provisions.

Ce disant, il désignait le gros sac. Hyôga se sentit confus.

- C’est très gentil à vous, je descendais justement vous saluer. Allez, donne-moi ça.

Il attrapa le sac d’une main et de l’autre, installa le petit garçon sur son dos.

- En route !

Sur la dernière partie du chemin, Jacob lui raconta les derniers événements du village et donna des nouvelles des uns et des autres. Jacob avait une dizaine d’année et était orphelin comme Hyôga. Il était plein d’admiration pour le chevalier du cygne et ne vivait qu’au rythme des départs et retours de Hyôga. Il rêvait d’être chevalier lui aussi et espérait secrètement qu’un jour Hyôga le prenne comme élève, mais ce dernier n’ayant jamais fait la moindre allusion dans ce sens, il n’osait demander lui-même. Ils arrivèrent bientôt au village et Hyôga suivit Jacob dans le chalet où il vivait avec son grand-père. Le vieil homme était connu dans le village pour sa sagesse et on le considérait comme le chef. Il avait élevé seul le petit Jacob après la disparition de ses parents et il avait bien connu le seigneur Cristal lorsque celui-ci était enfant. Aussi connaissait-il bien Hyôga et tentait de s’occuper de ce dernier quand il était là, en mémoire du défunt. Mais le jeune homme était beaucoup plus solitaire que ne l’avait été son maître et ne se mêlait aux villageois que très rarement. Aussi sa visite fit un grand plaisir au grand-père. Hyôga passa une grande partie de son après-midi avec le vieil homme et le petit Jacob. Malgré l’insistance de ce dernier, il ne s’étendit guère sur son voyage éclair en Grèce et détourna de nombreuses fois la conversation. Car malgré tout, il doutait. Il doutait de lui bien sûr et de la décision qu’il venait de prendre de quitter le sanctuaire et de refuser la guerre. Si jamais Saori avait raison et que la guerre tournait mal, il savait qu’il ne se le pardonnerait jamais... Mais rien n’était fait pour l’instant et on aurait bien le temps de changer d’avis s’il y avait lieu... Il prit congé de ses hôtes en début de soirée. Le grand père de Jacob lui rappela d’emporter le sac que le petit devait lui apporter après l’avoir de nouveau rempli de bonnes choses.

- Il ne faut pas que tu meures de faim !

- Grâce à vous, il n’y a aucun risque !

Il prit le chemin du retour après avoir promis à Jacob de revenir le voir bientôt. Le froid était plus vif et le vent s’était mis à souffler, soulevant la neige et formant des tourbillons glacés. On n’y voyait guère mais cela ne gênait pas Hyôga. Il avançait rapidement, sûr de sa direction. Il ne lui fallut que dix petites minutes pour parvenir au chalet, là où les gens du village mettaient presque une heure. Le chalet, qui était situé prés d’une petite forêt de sapin, était abrité du vent, aussi Hyôga put-il ouvrir complètement les yeux et s’ébrouer devant la porte. Il reprit le sac qu’il venait de poser à terre et allait pénétrer dans le chalet lorsqu’il aperçut une silhouette sur le côté de la bâtisse. Il se décala légèrement sur la droite pour voir de qui il s’agissait, prêt à parer à toute éventualité. C’était visiblement une jeune fille : fine, à peine plus petite que lui, des cheveux bruns un peu ondulés coupés au carré au niveau du menton. Elle portait un simple blue-jean, une paire de bottes et un vieil anorak en peau. Elle était de trois-quarts par rapport à Hyôga et de ce fait ce dernier ne pouvait distinguer son visage. Elle semblait regarder par une fenêtre, cherchant visiblement la trace d’une présence. Hyôga ne bougea pas, attendant qu’elle se retourne. Elle le fit au bout de quelques instants, après avoir inspecté du regard toute la pièce devant laquelle elle se trouvait. Elle se retourna lentement et se retrouva face au chevalier du Cygne. Leurs regards se croisèrent et à cet instant, le temps sembla suspendre son vol. La jeune fille écarquilla les yeux, visiblement surprise et Hyôga laissa tomber à terre le sac qu’il portait sur l’épaule, encore plus étonné qu’elle. Il cligna des yeux, suffoqué, haletant à cette vue, d’abord incapable d’une réaction cohérente. Enfin, après quelques secondes qui lui semblèrent s’écouler pendant des siècles, il parvint à murmurer :

- Ayan ! Ayan de Melburry !

Il s’étonna lui-même. Ce nom, il croyait l’avoir définitivement oublié, comme s’il avait appartenu à une autre vie, une vie qu’il aurait vécue il y a si longtemps qu’il ne s’en souviendrait pas. Ayan ! Le nom qu’il venait de prononcer résonnait à présent dans sa tête comme les cloches de Pâques. Une foule de souvenirs, qu’il avait enfouie au plus profond de sa mémoire, lui revint au galop. Ayan ! Il observa le visage fin, les profonds yeux noirs, les boucles brunes tombant gracieusement sur les épaules, la silhouette fine et svelte, le petit sourire amusé. Non, elle n’avait pas vraiment changé.

- Hyôga !

Ils s’observèrent pendant encore plusieurs secondes puis la jeune fille s’élança vers lui, un large sourire aux lèvres :

- Hyôga ! Quelle bonne surprise ! Je ne pensais pas que tu serais encore aujourd’hui en Sibérie.

Hyôga mit quelques instants à réaliser tant il semblait hypnotisé par cette apparition.

- Eh, bien, tu ne dis rien ? Je suis si heureuse de te revoir !

A ces mots, Hyôga parvint enfin à sortir de sa torpeur.

- Ayan ! Mais d’où viens-tu ainsi ? Après toutes ces années... Tout le monde te croyait morte!

Sa voix un peu tremblante trahissait son émotion. En face de lui, Ayan pinça ses lèvres et son sourire se fit plus triste lorsqu’elle répondit :

- Tu sais, moi aussi, je l’ai cru...

Hyôga ne parut pas comprendre. Mais avant qu’il ait le temps de dire quoi que ce soit, Ayan reprit :

- Nous pourrons en parler plus tard si tu veux...

Hyôga hocha la tête.

- Viens, entre.

Il monta la marche qui menait à la porte du chalet, ouvrit et s’effaça pour laisser passer la jeune fille puis la suivit à l’intérieur. Elle observa la pièce plusieurs fois avant de dire :

- Rien n’a changé ici...

Son regard détailla une fois de plus les alentours puis elle demanda :

- Le seigneur Cristal, il ne vit plus ici ?

Hyôga eut l’impression qu’on lui transperçait le cœur avec une lame. Il dut se retenir au mur pour ne pas vaciller. Comment lui dire la vérité ? Il ignorait comment elle pourrait réagir et ne se sentait pas le courage de lui avouer ce qui s’était réellement passé.

- Tu sais, depuis ta disparition, il s’est passé pas mal de choses ici...

Ayan hocha la tête. Au ton de Hyôga, elle avait compris qu’il était arrivé quelque chose de grave.

- Il est mort, n’est ce pas ?

Hyôga approuva.

- Malheureusement, oui...

Il avait du mal à retenir ses larmes et redoutait les questions suivantes. Mais il n’en fut rien. Ayan ne demanda rien de plus à ce sujet. Elle enleva sa veste et alla s’asseoir prés du feu.

- Tu sais, je ne m’attendais vraiment pas à te revoir ici. Après tout ce temps, je pensais que tu serais parti...

Hyôga ne répondit pas mais demanda :

- Tu veux boire quelque chose de chaud ?

Ayan fit signe que oui. Hyôga disparut quelques minutes à la cuisine et revint avec deux cafés brûlants. Il en tendit un à Ayan et s’appuya contre le mur, sa tasse à la main.

- Je pars souvent. Mais je reviens toujours...

Ayan parut surprise.

- A t’entendre, on dirait que tu le regrettes...

Hyôga ne répondit rien mais pensa que parfois il aurait préféré de ne pas revenir. Ne jamais revenir.

- Et où pars-tu donc ainsi ?

- Faire la guerre... répondit Hyôga d’un ton mélancolique. Tu sais, maintenant je suis chevalier...

Ayan sourit.

- Quand je suis partie, tu en étais déjà un. Il ne te manquait que l’armure...

Hyôga esquissa à son tour un sourire.

- C’est vrai. Cela ne fait pas si longtemps que tu es partie...

- Tu pensais que oui ? interrogea Ayan.

- Tu sais, à force de perdre ceux que l’on aime, on essaie de rejeter leur souvenir aussi loin que l’on peut...

Il avait dit cela sur un ton si amer qu’Ayan réalisa à cet instant toute la souffrance qu’il y avait en lui. Elle le regarda un instant, cherchant son regard mais Hyôga avait les yeux dans le vague, ne la regardait pas. Elle pensa alors au temps passé et se demanda quelles blessures saignaient encore dans le cœur du jeune russe. Elle l’avait toujours su fragile et à cet instant, en voyant sa fine silhouette qu’éclairaient les flammes dansantes dans la cheminée, elle se rendit compte qu’il n’avait pas changé. Les années, loin de le rendre plus fort l’avaient visiblement brisé un peu plus. Elle avait envie de parler avec lui, parler de lui, d’elle, de s’expliquer mais cette conversation, qu’ils auraient quoi qu’il arrive, l’effrayait aussi. Il était tard et elle se sentait trop fatiguée pour entamer des sujets glissants. Hyôga partageait sûrement ses vues car il se tourna vers elle en disant :

- Il se fait tard, tu es peut-être fatiguée...

Ayan hocha la tête.

- Allons nous coucher alors, reprit Hyôga.

Il prit la tasse vide d’Ayan et la sienne et les porta à la cuisine.

- Tu veux autre chose ?

- Non merci Hyôga.

Il revint vers elle, parut réfléchir un instant et dit :

- Tu vas prendre la chambre du seigneur Cristal.

- Tu sais, si tu l’occupes maintenant, ne te dérange pas pour moi...

- Non, fit Hyôga fermement. Je ne l’ouvre d’ailleurs pas souvent.

Il mena Ayan jusqu’à la chambre. Il ouvrit délicatement la porte et la fit entrer. Elle resta interdite sur le pas de la porte.

- C’est fou, fit-elle. Rien n’a bougé depuis mon départ... C’est comme s’il vivait toujours ici..

Elle avait l’air bouleversée. Hyôga joua l’indifférence.

- Tu as des couvertures dans l’armoire, et des bouillottes. Prends ce dont tu as besoin. Des vêtements aussi si tu veux.

Elle hocha la tête, s’avança doucement dans la pièce.

- Bonne nuit, dit Hyôga en sortant.

- Hyôga... Merci.

Il se retourna, un peu étonné.

- De quoi ?

Elle hésita.

- D’être là. Simplement.

Hyôga sourit puis sortit en fermant la porte. Il retourna dans le salon après avoir attrapé une couverture dans sa chambre. Il s’enroula dedans et s’assit prés du feu qu’il regarda danser. Il resta un long moment immobile, sans penser à rien. Puis son esprit s’anima, ramenant à lui une foule de souvenirs qu’il croyait perdus. Ayan...

Un petit garçon blond courait dans la neige aussi vite qu’il le pouvait, tentant désespérément de rattraper un autre garçon, un peu plus grand.

- Isaac, attends-moi !

Sa petite voix frêle sembla se perdre dans l’immense plaine sibérienne mais parvint tout de même aux oreilles de l’autre qui répondit :

- Allez Hyôga, un effort. Si tu veux devenir chevalier, tu dois d’abord apprendre à courir !

Le petit s’essoufflait.

- C’est pas juste. Tu es plus grand !

A ces mots Isaac s’arrêta et attendit son cadet. Celui-ci le rejoignit. Il se pencha en avant, appuya ses mains sur ses genoux.

- Tu vas trop vite; je ne peux pas te suivre.

Isaac eut un regard bienveillant. Il attendit qu’il reprenne un peu son souffle puis fit trois bonds pour s’éloigner. Il ramassa alors une grosse boule de neige et la lança sur Hyôga. Surpris, celui-ci la reçut en plein visage. Il s’ébroua et ramassa à son tour une boule de neige qu’il expédia sur son ami. Voilà un exercice où ils étaient de forces égales ! Une bataille s’en suivit, les deux garçons se poursuivant tout en se bombardant de neige. Ils finirent en roulé boulé dans la neige, riants. Ils s’arrêtèrent alors, allongés à même le sol les bras en croix, regardant le ciel. Hyôga reçut alors une nouvelle boule de neige sur le visage. Il se dressa comme un diable, inspecta les alentours et cria :

- Qui a fait ça ?

Il prenait un air farouche qui fit rire Isaac qui s’était redressé à son tour.

- C’est Ayan.

Hyôga se tourna vers Isaac.

- Qui ?

En guise de réponse, Isaac désigna un petit glacier qui les surplombait. Hyôga leva la tête et aperçut une forme assise sur le sommet. C’était une fillette d’à peu près son âge, brune qui les regardait d’un air malicieux. Hyôga était suffoqué.

- Comment as-tu fait pour monter là-haut ? Les parois sont toutes lisses !

Ayan se mit à rire et sauta au bas de son perchoir.

- Rien de plus facile !

Isaac s’avança alors.

- Ayan, voici Hyôga, le nouvel élève du seigneur Cristal. Il est d’ici et rentre du Japon. - Puis se tournant vers Hyôga- Hyôga, elle c’est Ayan. Elle s’entraîne pour devenir chevalier elle aussi avec un autre maître dans les environs.

Hyôga observa la nouvelle venue avec curiosité et reçut une tape sur l’épaule.

- Eh, bien, dis bonjour mal élevé !

Hyôga prit un air contrit et tendit la main en disant :

- Salut, je suis content de te rencontrer. J’espère qu’on s’entendra bien.

Ayan eut un joli sourire et saisit la main tendue.

... La scène s’estompa. Hyôga regarda autour de lui. Dans la cheminée, le feu agonisait et la pièce était devenue très sombre. Il se leva et remit une bûche dans le feu. Il s’escrima quelques minutes et finalement le feu reprit. Il ajouta alors une nouvelle bûche et décida d’aller se coucher. Il entra dans sa chambre, se déshabilla, passa un caleçon. Grâce à la chaleur diffusée par la cheminée, il y faisait bon. Il ouvrit le lit. Les draps, par contre étaient glacés. Il attrapa une autre couverture, se glissa dans le lit et s’enroula dans l’épaisse couche de draps. Mais il ne pouvait dormir. Il pensait à Ayan, incapable d’en défaire son esprit. Qu’était-elle venue faire ici? Où avait-elle disparue pendant toutes ces années ? Et pourquoi était-elle partie ? Ces questions restaient en suspend et il en craignait les réponses. C’est pourquoi il ne les lui avait pas encore posées comme il aurait pu le faire. Il resta un long moment allongé, les yeux grands ouverts, fixant le plafond sans le voir, voyant seulement Ayan... Il finit par s’endormir.

Le lendemain le vit se lever très fatigué. Le choc de revoir Ayan, sans doute. Il était tard - plus de dix heures. Hyôga n’avait pas l’habitude de se lever à pareille heure. Il passa un long tee-shirt et se dirigea vers la chambre du seigneur Cristal. La porte était ouverte. Il jeta un coup d'œil à l’intérieur et vit que le lit était vide. Il alla alors au salon où Ayan n’était pas non plus. Elle n’était pas à la salle de bains.

- Où est-elle partie ? bougonna Hyôga.

En attendant qu’elle revienne lui fournir la réponse, il se prépara un café qu’il but prés du feu dont il ne restait que quelques braises. Ayan... Elle avait toujours été mystérieuse, apparaissant, disparaissant n’importe quand... Il n’avait jamais su qui elle était réellement ni à quel ordre de chevalerie elle appartenait. Ayan, d’ailleurs, aimait visiblement s’entourer de mystère. Isaac, Hyôga et elle s’entendaient bien, enfants. Ils passaient la plupart de leur temps libre ensemble, quand elle était là bien sûr. Elle avait mystérieusement disparu peu après la présumée noyade d’Isaac et n’avait jamais reparu en Sibérie. Malgré sa douleur, Hyôga avait tenté de l’oublier et y été plutôt bien parvenu. Son retour, à vrai dire, le tourmentait autant qu’il le rendait heureux. Ayan...

- Hyôga ! Ah, tu es levé !

Ayan venait de pénétrer dans la pièce. Elle avait le teint rosi par le froid et un immense sourire éclairait son visage, comme toujours. Elle portait les mêmes vêtements que la veille mais ne semblait pas avoir froid.

- D’où viens-tu ?

- J’ai été au village saluer les villageois. Tu aurais vu leur tête quand ils m’ont reconnue ! Ils étaient presque aussi ahuris que toi !

Hyôga sourit.

- Tu as pris quelque chose ce matin ?

- Oui, ne t’en fais pas. Je me suis levée très tôt !

- C’est fou, je n’ai rien entendu.

- Que veux-tu, je sais bien que la discrétion n’est pas une des qualités premières des chevaliers d’Athéna, mais nous les chevaliers Kiaï, c’est une qualité que l’on cultive avec amour !

A ces mots, Hyôga faillit s’étrangler avec son café. Il la fixa, subitement blanc comme un linge.

- Que t’arrive-t-il ?

Hyôga chercha son souffle et demanda :

- Tu fais partie de l’ordre des Kiaï ?

- Tu l’ignorais ?

Ayan avait l’air surprise de la réaction de Hyôga.

- Je pensais te l’avoir dit autrefois...

Il secoua la tête.

- Ce devait être à Isaac alors...

Hyôga était suffoqué. Voilà qu’il avait devant lui un des nouveaux ennemis du sanctuaire et que c’était Ayan ! Il pensa immédiatement à la possibilité de la guerre dont il avait été question en Grèce. Aurait-il une fois de plus à combattre l’un des siens ? Il était bouleversé.

- Pourquoi fais-tu cette tête ? Ce n’est pas si grave !

Elle riait. Hyôga ne voulut pas gâcher sa bonne humeur et décida de ne pas lui parler de sa dernière visite au sanctuaire.

- Qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui ? continua Ayan.

Hyôga haussa les épaules en signe d’ignorance.

- A ta guise, Ayan !

- Tu devrais commencer par t’habiller !

Hyôga s’aperçut qu’il était toujours en caleçon. Il partit rapidement vers sa chambre en disant :

- Je me dépêche !

De fait, ce fut vite expédié. Trois minutes plus tard, il revenait habillé. A sa vue Ayan se mit à rire :

- Ça alors ! Tu portes encore ces vieilles guêtres !

- Eh bien quoi, elles sont très bien ces guêtres ! fit Hyôga offusqué.

- Et tu ne t’es pas lavé ! Tu n’as vraiment pas changé !

Elle était littéralement mort de rire. Hyôga, qui ne voyait rien de drôle à la situation, se sentit vexé.

- Quand tu auras fini de te moquer de moi, tu me préviens !

Après quelques éclats de rire, Ayan parvint à reprendre son souffle et à dire :

- Bon allons-y, suis-moi.

Elle sortit, riant toujours un peu, suivie de près par Hyôga. Devant la porte, il vit deux scooters des neiges.

- D’où sors-tu ça ? s’écria Hyôga en bondissant auprès des deux engins.

- Du village, répondit Ayan en souriant. Igor et Vladimir les ont montés ici avec moi.

On fait un tour ?

- Et comment ! s’écria Hyôga, enthousiaste.

Puis il bondit sur l’engin et lança :

- Je suis sûr que tu ne me rattraperas pas !

- Ça c’est ce qu’on verra !

Puis Hyôga démarra en trombe, suivi de près par Ayan qui avait très vite réagi. Hyôga était bon pilote et avançait à vive allure en évitant avec brio tous les pièges que mettait le sol sibérien sur leur route. Ayan restait derrière lui, suivant d’abord le rythme imposé par le jeune russe avec difficulté. Aucun d’eux ne se préoccupait de la direction qu’ils prenaient. Leur attention était uniquement centrée sur le plaisir du moment : le plaisir du pilotage, le plaisir de la vitesse et de l’air frais courant sur leur visage. Un incroyable sentiment de bien-être s ’était emparé de Hyôga. Pour la première fois depuis longtemps, il ne pensait plus à rien, son esprit était vide. Vide de cris, de larmes, de souffrances et de mort. Libre. Il se sentait libre. Libre et heureux. Pourquoi il ne savait pas, mais il se sentait heureux. Ayan, se pourrait-il que tu en sois la raison ? Oui, il se sentait enfin heureux et à cet instant précis, jubilait de mener la danse, de laisser Ayan derrière, de la sentir s’escrimer comme jamais pour réussir à le suivre. Il vit alors une forêt de sapins se profiler à l’horizon et décida de s’y engager. Ayan poussa un cri de rage.

- Il est fou !

Mais Hyôga était comme transcendé. Il slalomait entre les arbres et les bosses avec une aisance déconcertante. Après avoir essayé de le suivre dans un premier temps, Ayan fut contrainte de ralentir et de le suivre de loin. Elle enrageait et se promettait de lui faire payer ça. L’occasion se présenta lorsque à la sortie de la forêt, elle le vit arrêté, l’attendant complètement hilare. Furieuse, elle passa à côté de lui en trombe sans même lui jeter un regard. D’abord un peu surpris, Hyôga redémarra et s’élança à sa poursuite. Il constata alors que sur la plaine, Ayan était également d’une précision diabolique. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à rattraper l’écart qu’elle avait mis entre eux.

- Je n’aurais jamais dû la vexer, pensa Hyôga. Voilà que je n’arrive plus à la rattraper maintenant, c’est bien joué !

Il s’en voulait faussement et sourit au contraire en constatant qu’Ayan n’avait rien perdu de son esprit combatif. Il accéléra encore, vissant au maximum la poignée de gaz. Mais devant Ayan avait fait de même et tant qu’ils seraient sur une plaine, les choses resteraient dans l’état. Hyôga se résolut donc à attendre un terrain plus favorable pour reprendre la tête de cette course improvisée. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Bientôt Ayan entreprit de grimper sur une colline. Hyôga eut un sourire de victoire. Il connaissait très bien les lieux et savait que sur l’autre versant se trouvait un bosquet. Il vit Ayan disparaître au sommet et se prépara à réaccélérer dès qu’il arriverait en haut. Ce qu’il fit. Il entra dans le bosquet à toute vitesse pensant bientôt rattraper Ayan. Quelle ne fut pas sa surprise quand il l’aperçut au détour d’un sapin, étendue par terre, le scooter renversé à côté d’elle. Répondant à un réflexe, il écrasa la commande de freins de toutes ses forces. Mal lui en prit ! Le scooter dérapa sur la neige, fit deux tours sur lui-même avant de se coucher à son tour. Hyôga, quant à lui, fit un beau vol plané et s’écrasa lourdement dans la neige. Il se redressa couvert de neige, tout heureux d’être encore entier.

- Tu n’as rien ?

Il redressa la tête et vit Ayan qui le regardait avec anxiété. Il hocha la tête.

- Ça va. Et toi ?

- Pas de problème. Plus de peur que de mal.

- Qu’est-ce que tu as trafiqué ?

- L’un des skis de mon scooter s’est pris dans une racine.

Ce disant, Ayan lui montrait du doigt la coupable de ce forfait. Hyôga s’assit sur son scooter retourné et lui lança :

- Voilà, tu n’aurais pas dû essayer de jouer à plus forte que tu n’es ! Si tu n’avais pas essayé de faire comme moi, tout ceci ne serait pas arrivé !

Ayan le dévisagea un instant sans répondre, puis se jeta sur lui et le poussa. Hyôga, surpris, bascula alors de l’autre côté du scooter et se retrouva de nouveau étalé dans la neige.

- Ayan! Tu vas me payer ça !

Le russe ramassa alors une énorme boule de neige et la projeta sur Ayan de toutes ses forces. Ayan éclata de rire et lui renvoya la pareille.

- Allez Hyôga, comme au bon vieux temps !

Hyôga relança une boule tout en évitant celle que lui envoyait Ayan. Puis il se camoufla derrière son scooter et s’en servit comme barricade pour éviter le bombardement d’Ayan. Mais cette dernière l’imita et bientôt leurs efforts à tous deux pour atteindre l’autre furent vains.

- Allez Ayan sors de ta cachette, ce n’est plus drôle ainsi !

- Toi d’abord ! répondit son amie.

Hyôga tenta alors un coup d'œil par-dessus le scooter et reçut une tempête de neige au visage. Il se rassit alors derrière son engin, cherchant un moyen de contourner l’obstacle. Mais ses réflexions furent brusquement interrompues : un flot de neige venait de lui être déversé sur la tête. Hyôga se releva d’un bond et vit Ayan qui riait à gorge déployée. Cette dernière avait profité de son inattention pour s’approcher. Hyôga était furieux de s’être ainsi fait avoir et après avoir médité une demi seconde, il sauta par-dessus le scooter en hurlant :

- Ayan, je t’aurais !

Toujours riant, la jeune fille s’enfuit en courant. Il s’ensuivit une poursuite haletante entre les deux jeunes gens. Ayan s’amusait visiblement beaucoup, et semblait à peine toucher terre. Malgré tout, Hyôga finit tout de même par avoir le dernier mot et la plaqua au sol. Ayan se débattit et réussit à se dégager et une bataille de boules de neige reprit de plus belle. Aucun ne voulut s’avouer vaincu et ils finirent par s’écrouler tous les deux sur le sol, les bras tendus, riants et haletants à la fois. Il y eut un silence qu’Ayan brisa au bout de plusieurs minutes :

- J’ai cru revenir des années en arrière lorsque avec Isaac, on se faisait des bagarres mémorables. Tu t’en souviens ?

Ce disant, Ayan tourna la tête vers Hyôga. Elle avait les yeux brillants mais son ami paraissait plus sombre et un peu pensif.

- Hyôga ?

- Oui, tu as raison Ayan, finit par répondre le jeune russe.

Puis il se releva, secoua la neige qu’il avait sur lui et dit :

- On devrait rentrer.

Ayan hocha la tête et le suivit. Ils redressèrent leurs scooters et repartirent vers le village à un rythme plus calme cette fois.

Arrivés au chalet, ils décidèrent de manger. Il était plus de deux heures de l’après-midi; le temps était passé vite. Ils mourraient de faim. Hyôga fit lui-même le repas, ce à quoi il n’était guère habitué au Japon. Il servit des œufs au bacon et des pommes de terre. Repas simple mais fort apprécié des deux amis. Lorsque le repas fut fini et la table débarrassée, ils s’assirent en silence au coin du feu. Puis brusquement, Ayan demanda :

- Hyôga, je voudrais que tu m'emmènes sur la tombe du seigneur Cristal.

A ces mots Hyôga redressa vivement la tête et regarda Ayan. Mais elle semblait ailleurs et ne remarqua pas la brusquerie de la réaction de son ami. Elle continua alors :

- C’est vrai, quand je suis revenue, j’étais si heureuse à l’idée de le revoir... Tu sais, ton maître était devenu un peu le mien aussi...

Hyôga sentit son cœur se serrer à ces mots. Il repensa à l’homme qu’avait été son maître : droit et juste. Un exemple à suivre pour Hyôga. Il l’avait tué...Mon dieu, pourrait-il jamais se le pardonner ? Il pensait cette blessure cicatrisée. Mais voilà que le retour d’Ayan la rendait plus douloureuse encore... Il fut pris d’un accès de colère contre lui et contre Saga qui l’avait hypnotisé. Il se leva et sortit dehors en courant.

- Hyôga !

Il s’arrêta sur le pas de la porte, cherchant à reprendre son calme. Il inspira profondément puis se tourna vers Ayan et murmura plus qu’il ne dit :

- Allons-y alors.

Ayan hocha la tête et se leva.

- On prend les scooters ?

- Non, ce n’est pas très loin. La marche nous fera du bien.

La jeune fille acquiesça et ils se mirent en route. Ils marchèrent en silence un long moment avant qu’Ayan n’ose engager la conversation.

- J’espère que cela ne te dérange pas trop. Je sais que tu l’aimais beaucoup. Ma démarche est peut-être malvenue...

Hyôga fit signe que non. Il voulut parler mais se ravisa. Ce furent les seuls mots échangés durant le trajet, qui se révéla rapide. Ils arrivèrent en effet assez vite à une hutte en rondins nichée entre deux collines de glaces. Ayan parut surprise.

- C’est là ?

Hyôga hocha gravement la tête et poussa la porte. Puis il s’effaça pour laisser passer Ayan avant de la suivre à l’intérieur. Il n’y avait pas de fenêtre et seuls de longs cierges assuraient l’éclairage. La pièce était minuscule et en son centre trônait un large bloc qu’Ayan prit d’abord pour de la pierre. Elle s’approcha et s’aperçut qu’il s’agissait en fait d’un bloc de glaces éternelles. Le corps du seigneur Cristal était allongé à l’intérieur. Ses mains étaient jointes sur sa poitrine et à son air serein, on aurait pu croire qu’il dormait. Il n’avait guère changé en regard du souvenir qu’elle avait de lui. Toujours si droit, si digne. La mort elle-même n’y pouvait rien changer. Elle n’aurait jamais d’emprise sur le visage plein de bonté de cet homme. Ayan s’agenouilla près du cercueil de glaces et se mit à prier. Elle essayait de retenir ses larmes mais rien n’y faisait. Elle pleurait. Comme le premier soir où Hyôga lui avait appris sa mort. Elle n’avait pu dormir. Elle resta ainsi un long moment. Lorsqu’elle se redressa et se retourna, elle vit Hyôga qui l’attendait dans la pénombre. Ils sortirent en silence. La nuit était tombée. Les deux amis reprirent le chemin du chalet. Ils n’échangèrent pas un mot. Le repas et la soirée furent mornes, aucun ne voulant briser le silence de l'autre.

Malgré cela, ils retrouvèrent leur entrain dès le lendemain. Les jours suivants furent très gais : les deux amis se partagèrent entre ballades en skis, scooters et même à pied, les visites au villages et les bagarres amicales. Hyôga retrouvait une joie de vivre qu'il n'avait pas connue depuis longtemps. En soirée, il redevenait plus lointain, plus pensif. Puis ils retournèrent sur la tombe du seigneur Cristal ce qui les affecta profondément tous les deux, bien plus qu'ils ne l'avaient pensé. De retour au chalet, la soirée s'annonçait triste : Hyôga restait silencieux et semblait soucieux. Quant à Ayan, la peine la rendait plus taciturne et elle n’osait briser les méditations de son ami. Ce fut finalement Hyôga qui rompit ce long silence.

- Tu sais Ayan, il y a des choses que je ne t’ai pas dites.

Ayan redressa vivement la tête. Elle était à le fois surprise d’entendre le son de sa voix et par ce qu’il venait de dire. Il était assis au coin du feu, à sa place habituelle et ne la regardait pas. Ayan ne dit rien et attendit que Hyôga parle. Celui-ci commença :

- Je t’avais dit que le seigneur Cristal était mort. Mais je ne t’ai rien dit sur les circonstances de sa mort...

Il s’arrêta un instant, parut chercher ses mots.

- Comme tu peux le deviner, il est mort au combat. Mais ce que tu ne peux pas deviner c’est que celui qui l’a tué au cours de ce combat, c’est moi.

Il se tut et ne bougea pas, ne voulant pas croiser son regard. Il attendit sa réaction patiemment. Ayan laissa passer quelques secondes puis se leva et alla vers lui. Elle posa sa main sur son épaule et dit simplement :

- Je le savais.

Hyôga se tourna vers elle, abasourdi :

- ... Mais comment ?

Ayan lui sourit.

- C’est Jacob qui me l’a dit. Il m’a raconté ce qui s’était passé. Je me demandais si tu finirais par m’en parler...

- Je ne savais pas comment tu le prendrais. Et puis tu sais...

Il se tut avant de finir sa phrase. Mais Ayan connaissait la suite. Elle avait ressenti le poids du chagrin et de la culpabilité en lui. Il avait beau enfouir ses sentiments au plus profond de lui-même, ils étaient si vifs encore que malgré tous les efforts qu’il faisait pour les cacher, Ayan les comprenait.

- Tu n'étais pas responsable. Tu as fait ton devoir, c'est tout.
Elle se tut et attendit un peu avant de dire :
- Moi non plus je ne t'ai pas tout dit…

Elle hésita un instant et ajouta :

- On peut même dire que je ne t'ai rien dit du tout…

Hyôga hocha la tête en souriant.

- C'est le moins que l'on puisse dire, murmura-t-il.

Ayan se dirigea vers la fenêtre, s'assit sur le rebord et regarda pensivement dehors quelques instants avant de commencer:

- Il faut d'abord que je te parle un peu de notre ordre si tu veux comprendre. J'appartiens à l'ordre des chevaliers Kiaï comme tu le sais déjà. Dans les temps anciens, les Kiaï appartenaient au même sanctuaire que toi. Mais ils étaient à part et leur existence secrète pour bien des gens. Leurs guerriers n'étaient pas protégés par une constellation entière mais par une étoile unique contrairement à vous. Tout comme les chevaliers d'or ont pour mission de protéger le sanctuaire et Athéna, les Kiaï avaient également une mission spécifique. Les Dieux leur ont en effet accordé le secret et le contrôle des puits du pouvoir et le devoir de les garder en des mains sûres. Mais un jour le chef des Kiaï ordonna à l'ensemble des Kiaï de quitter le sanctuaire et rompit le serment fait au grand Pope qu'il accusait de trahison envers sa mission sacrée. Obéissant à leur chef, les Kiaï, combattants, femmes et enfants quittèrent la Grèce. Furieux le pope envoya ses troupes à leur poursuite. Comme tu peux l'imaginer, ce fut un massacre. Les envoyés du sanctuaire massacrèrent sans pitié femmes et enfants et seuls quelques uns des Kiaï en réchappèrent. Ils se réfugièrent dans la Russie de l'extrême nord et disparurent de la surface du globe. Le démon qui sévissait à la tête du sanctuaire en ces temps-là ne put jamais les retrouver et on les oublia définitivement. C'est pourquoi tu n'as jamais entendu parler de nous avant de me connaître. Nos ancêtres avaient pris la décision de quitter le sanctuaire et de prendre leur indépendance pour éviter que les puits du pouvoir que nous devons protéger ne tombent en de mauvaises mains. Les puits du pouvoir sont en fait cinq sources d'énergie incroyablement puissantes dissimulées dans une grotte à quelques jours de marche d'ici. Quatre d'entre elles forment les sommets d'un carré et représentent les quatre éléments : l'eau, la terre, le feu et l'air. La cinquième et de loin la plus puissante est placée à l'intersection des diagonales du carré et représente la lumière. Une ancienne légende de notre peuple disait que celui qui parviendrait à plonger entièrement son corps dans l'une des sources et en ressortir vivant posséderait alors le contrôle du puits en question, c'est à dire une puissance extensible à l'infini et à volonté. Il est également dit que cette épreuve doit être tentée une nuit où l'étoile protectrice du chevalier est à la verticale au dessus du puits pour avoir une chance de réussir. Depuis l’avènement des Kiaï, de nombreux guerriers ont tenté l'épreuve. Tous ont échoué. Même les chefs suprêmes élus des Dieux ne sont pas revenus vivants. De ce fait, rares sont ceux qui tentent l'épreuve aujourd'hui. Mon étoile s'est trouvée à la verticale du puits central exactement dix-sept jours après la mort d'Isaac. Mon maître, Yamachi me l'avait interdit, mais j'ai tenté l'épreuve du puits central. Et j'ai réussi là où avaient échoué nos chefs suprêmes choisis par les Dieux eux-mêmes !
Ayan s'arrêta un instant et se tourna vers Hyôga. Celui-ci la regardait visiblement surpris par ce récit. Mais il n'ouvrit pas la bouche et attendit patiemment la suite.

- Quand j'ai commencé mon entraînement, cette légende me faisait rêver et je m'étais toujours entraîné dans le but de préparer l'épreuve des puits du pouvoir. Je voulais être la première à réussir. Malgré tout, la peur de mourir et d'échouer m'a plusieurs fois retenue. Quand Isaac s'est noyé dans la mer de Sibérie et quand j'ai su que mon étoile serait à la verticale des puits quelques jours après, je n'ai pas hésité. J'ai senti le déclic en moi, une force inconnue qui me poussait à tenter ma chance. Je n'ai rien pris avec moi et je suis partie en direction des puits du pouvoir. Je n'ai même pas pris la peine de dire au revoir au seigneur Cristal. Tu ne peux pas imaginer à quel point je le regrette aujourd'hui…

Ayan essuya une larme au coin de ses yeux puis enchaîna :
- Il m'a fallu un peu plus de trois jours de marche pour atteindre la grotte où se trouvent les puits. Dans cette grotte, tout semble différent. Il y fait une chaleur terrible et pourtant supportable. L'air y est empli d'une étrange brume et on se sent immédiatement entouré d'un manteau d'énergie pure. Là-bas, le temps et l'espace n'existent plus. Il n'y avait plus que les puits et moi. J'ai choisi le puits central, celui de la lumière, le plus puissant qui assure à celui qui le vainc la puissance absolue. J'ai escaladé une corniche de la grotte et j'ai plongé dans le puits sans me poser de questions. J'étais comme hypnotisée. Lorsque j'ai touché la surface j'ai cru que mon corps se désintégrait, la douleur était insupportable. Et puis tout a disparu. J'avais l'impression très bizarre de flotter dans l'espace, d'être aussi légère qu'une plume. De ne plus avoir de corps. D'abord il n'y a plus eu aucune pensée dans mon esprit. J'étais vide. Morte peut-être. Et puis des images se sont mises à défiler devant moi et à m'entourer : mon enfance en France, mon maître, mon entraînement, mon peuple, le seigneur Cristal, Isaac, toi…Le passé et l'avenir. Voilà ce qu'était devenu mon présent. Je n'existais plus mais je t'ai senti mourir tout comme le seigneur Cristal et tellement d'autres gens que j'espère que tout ce que j'ai vu pendant ce voyage n'est pas réel dans son intégralité. Je suis revenue à moi dans une autre grotte, à plusieurs kilomètres des puits. J'étais incapable d'une pensée cohérente. Tout se juxtaposait et s'entrechoquait dans ma tête avec une violence inouïe. Et puis j'ai fini par reprendre mes esprits. Mes souvenirs sont revenus et j'ai senti grandir en moi une cosmo-énergie d'une incroyable intensité. Alors j'ai compris que j'avais réussi. Je suis sortie de la grotte et je suis retournée sur la Terre des rêves, notre pays. C'était il y a un mois…
Ayan se tut. Hyôga la regardait, abasourdi.
- Alors, ça voudrait dire…que tu es restée trois ans sans connaissance. Ayan, tu as disparu il y a trois ans…
- Je sais Hyôga et aussi extraordinaire que cela puisse te paraître, cet étrange voyage a duré trois années…

Hyôga n'ajouta rien. La surprise se lisait sur son visage. Non, il ne s'attendait pas à ça. Quel étrange récit ! D'un autre côté, tout s'expliquait à présent comme il l'avait craint : Ayan était bien partie à cause de la mort d'Isaac. Lui dirait-il un jour la vérité à ce sujet-là aussi ? Il y renonça. Et puis après tout, elle avait dit qu'elle l'avait senti mourir, lui, Hyôga. Au sanctuaire sûrement, dans son combat contre Camus. Si elle avait vu cela, elle avait sûrement vu également son combat contre Isaac. Et si ce n'était pas le cas, tant pis. Il ne servait à rien de lui rendre l'espoir, ne serait-ce qu'un instant de revoir Isaac en vie. Car il était bel et bien mort et depuis leur retour, Hyôga s'en voulait chaque jour un peu plus. Ayan était partie à cause d'Isaac, c'était tout ce qu'il avait besoin de savoir. Il jeta un œil à la pendule. Il était tard.
- Nous devrions aller nous coucher. Il se fait tard.

Ayan eut un mouvement de surprise. Elle ne s'attendait pas à une réaction aussi froide, aussi détachée. Mais elle était fatiguée. Repenser à cette épreuve l'épuisait. Aussi elle renonça à l'interroger sur son sentiment et répondit simplement :

- Très bien. Alors bonne nuit.

Elle s'éloigna vers sa chambre mais se ravisa au bout de quelques pas.

- Au fait, j'aimerais t'emmener avec moi sur la Terre des rêves.

Puis elle se dirigea vers sa chambre et y disparut.

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Cette fiction est copyright Stephanie Fabrer.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada et Toei Animation.