Chapitre 5


Pélagos .. La cité des flots, capitale de ce merveilleux continent qu'est l'Atlantide. Je n'ai que des souvenirs vagues de ses faubourgs. Ils étaient pourtant remarquablement beaux, bien plus que ceux de Knossos. De nombreux parcs, véritables petits temples à Gaia, agrémentaient les rues. Chaque maison était construite d'une étrange pierre bleutée, parfois émeraude, offrant au soleil un miroir idéal où contempler sa beauté.

Je me souviens de quelques quartiers également… Le port était situé au Nord de la grande baie autour de laquelle la ville était bâtie. Une gigantesque statue de Nérée se dressait en son centre. Les marins divers et les commerçants y abondaient dans un vacarme perpétuel. Jamais dans toute la Grèce je n'avais vu de tel endroit … Telle fut ma première vision de cette cité par ailleurs. Notre navire avait dépassé le grand phare avant d'accoster sur un quai finement sculpté. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir les innombrables gravures qui ornaient chaque pierre…
Je descendis donc et je pris un cheval, car mes affaires m'appelaient au centre de l'immense cité.

La traversée fut rapide mais les décors qui défilaient n'en étaient pas moins extraordinaires. Les habitants semblaient rivaliser d'ingéniosité dans un grand jeu architectural. Même si l'étrangeté était fort présente, la beauté des édifices n'était jamais négligée.

Je pourrais encore parler longtemps des merveilles de Pélagos … mais là n'est pas mon propos… J'arrivai donc dans un gigantesque palais, dont je ne me risquerai pas à la description. Je regrette que tu n'aie pu le voir de tes yeux … Enfin tout ceci n'est que passé…

Dans le palais on me présenta à un homme fort remarquable. Il se nommait Arion. Son visage fin n'était pas sans rappeler les trais des Mèdes. Il avait de longs cheveux soigneusement peignés. Mais le plus étonnant à son sujet était sa voix douce, presque susurrante. Son accueil fut des plus remarquables … Il me dit ceci : " Bénies soient les Muses, car elles ont assurément permis notre rencontre. L'honneur de recevoir un hôte de votre qualité rivalise de grandeur avec le mont Olympe lui-même. "
D'aucuns l'auraient trouvé pompeux, mais tu connais sans doute l'importance que j'accorde à l'étiquette. Cet homme me conduisit dans mes appartements, d'immenses salles qui auraient facilement rempli tout mon palais. Des serviteurs doués dans tous les arts de l'hospitalité avaient été laissés à ma disposition. Je dois avouer que pareille réception peut paraître étrange pour un simple entretient commercial …
Mon interlocuteur, un sinistre comptable du nom d'Adraste ne mit que peu de temps à me convoquer. Connaissant déjà le personnage je ne me perdis pas en formalités et j'en vins directement au fait. A ma grande surprise il accepta d'acheter nos métaux pour la somme colossale de vingt-mille drachmes… Il était particulièrement intéressé par cet étrange alliage que l'on appelle orichalque … Enfin l'entretient terminé il me convia à une réception donnée par le gouverneur de la cité.

Après une courte nuit, je partis donc pour la résidence du gouverneur. Arion m'accompagna, et bien que la raison de sa présence fût évidente, je ne pus m'empêcher de m'en enquérir. Il m'expliqua qu'il avait été chargé de ma protection par le gouverneur lui-même, un homme pour qui les règles de l'hospitalité étaient plus que sacrées.

Arrivés devant la dite demeure, qui était plus que surprenante de sobriété, nous laissâmes nos chevaux dans une gigantesque écurie et pénétrâmes dans un délicieux jardin. Les plantes exotiques y côtoyaient de multiples fleurs. Une douce fragrance s'en échappait, humectant ce lieu superbe de tous ses attraits. Au centre du jardin se dressait un petit pavillon, construit dans la même pierre bleutée que le reste de la cité. Arion s'agenouilla devant l'homme qui s'y tenait, le visage dissimulé dans l'ombre. La révérence terminée, celui qui devait être le gouverneur prit la parole.

" Mon cher ami, je suis ravi de vous revoir parmi nous. J'espère que votre séjour est des plus agréables… "

Tel était évidemment le cas. Ce fut donc sans hypocrisie aucune que je pus lui répondre par l'affirmative. Un détail pourtant piqua ma curiosité. Une jeune fille voilée se tenait à ses côtés, complètement silencieuse. Une servante sans doute.. Mais pourtant son attitude semblait infiniment plus noble. Le moindre de ses mouvements, même s'ils étaient rares, était d'une grâce exquise. Enfin inutile de m'attarder sur un tel détail.

La discussion se poursuivit dans une ambiance fort agréable. Le gouverneur montra un intérêt particulier pour la provenance de notre orichalque (que peuvent-ils bien vouloir faire avec un tel métal ?). Il parut évident que l'affaire le tenait bien plus à cœur qu'on ne l'aurait cru. Arion fit remarquer d'ailleurs que de grandes quantités étaient encore nécessaires. Je me réjouis de cette remarque et je te donne cette instruction, dès la réception de cette lettre, envoie plus d'ouvriers dans nos mines et forges.

Pour revenir à mon propos, le gouverneur s'était bien évidemment présenté, mais dans mon empressement j'avais oublié de te communiquer son nom. Il se nommait Daphnis. Je ne parvins pas à en savoir plus, l'homme était fort discret à son sujet. Son visage, quand il se décida enfin à le montrer, était fort étonnant. L'homme, d'une beauté assez remarquable, faisait preuve d'un raffinement qui dépassait l'imagination. Ses cheveux étaient finement arrangés, parés de divers bijoux. Je n'avais jamais rien vu de tel. Ils semblaient en effet tenir dans les airs, comme sous l'effet d'une douce brise. Ces mêmes cheveux retombaient sur les côtés de son visage et dans son dos, leur longueur étant plus qu'admirable.
Un complexe maquillage lui donnait un aspect irréel. Ses lèvres étaient rehaussées d'un mauve bleuté. Sa peau était parfaitement mise en valeur par une légère teinte d'albâtre et ses sourcils étaient d'une couleur comparable à ses lèvres. Je ne sais pourquoi je m'attarde sur ce personnage, mais tu conviendras certainement qu'il était plus qu'étonnant …

Après avoir regardé un étrange objet, une tablette ronde au centre de laquelle se tenait une obélisque miniature, il me signifia qu'il ne pouvait m'accorder plus de temps, ses affaires l'appelant dans le palais. Il me quitta non sans faire part de son désir de me rencontrer à nouveau. Arion m'accompagna jusqu'à la sortie, mais resta dans la demeure du gouverneur. Sans doute était-il appelé à assister Daphnis dans ses affaires.

Je me rendis à nouveau dans mes appartements, décidé à partir au plus vite. En effet je ne pouvais négliger les affaires de notre île. J'emportai mes affaires et je sortis après avoir remercié mes hôtes.

Je pourrais m'arrêter ici, si je n'avais pas à te faire part d'un événement étrange. Notre bateau était retardé par le mauvais temps et je dus me résoudre à visiter quelque peu la ville. Or sur le marché des esclaves, je reconnus la jeune fille voilée. Elle semblait négocier l'achat d'un homme fort robuste, dont je pouvais deviner les origines nobles de par ses manières. Intéressé, les esclaves d'une telle qualité se font en effet rares, je m'approchai. Le marchand m'expliqua que le jeune homme se nommait Etéocle et qu'il était un noble de Thrace déchu après la défaite de cette contrée face à l'Atlantide. Son regard fier laissait d'ailleurs transparaître une immense colère… Avant même que je ne pus faire une offre, la jeune fille avait convaincu le marchant. J'ignore comment elle s'y prit, mais en tout cas ce fut fort efficace. Elle repartit avec le dénommé Etéocle et disparut rapidement dans la foule.

Bien décidé à ne pas perdre ma journée, j'achetai quelques caisses de vins divers et des bijoux pour Pasiphaë. Je n'oubliai pas la lame que tu m'avais demandée. Un forgeron du nom de Iolaos me procura un superbe glaive, fabriqué de ses mains. La beauté de l'objet te ravira sans doute. Alors que le soleil était encore haut dans le ciel, Phlégyas vint me prévenir du départ imminent de notre navire. Le voyage se fit sans encombres.

Je te rappelle que j'attends avec impatience ta visite, et te salue.

Porte toi bien …



La maison du cancer, un endroit sombre et lugubre, dans lequel la lumière vacillante d'Hélios semblait se perdre. Deux chevaliers y discutaient.

-" Es-tu au courant des dernières nouvelles Eaque ? "

L'intéressé répondit d'une voix neutre.

-" Lesquelles ? L'état de Deucalion ? "
-" Effectivement il y a un rapport…. " dit-il, fronçant les sourcils.
-" Explique toi Etéocle … "

Le chevalier du lion semblait fort inquiet.

-" Deucalion prétend avoir reçu une lettre à remettre à Athéna … Je ne comprend pas vraiment … "
-" C'est étrange … il se perd en Attique puis revient avec une lettre et sans aucun souvenir de la soirée du combat … "

Eaque semblait pensif. Etéocle, habitué à sa compagnie, savait qu'il évaluait la situation, sans doute dans le but de trouver un plan adéquat. Le gardien de la 4e maison avait toujours été très calculateur, même si parfois sa colère l'emportait sur sa raison. La colère… Un sentiment que le fier Etéocle ne connaissait que trop bien. Il avait toujours eu un mal à la réprimer, et même si elle était un handicap, la force qu'elle donnait était souvent bien utile.

-" Nous devrions examiner cette lettre avant qu'il ne rencontre Athéna … " reprit un Eaque décidé.
-" Tu as raison … mais comment faire pour qu'il nous la donne ? Hector a déjà essayé de la lui prendre … Il n'a pu obtenir qu'un bras gelé… "

La vision du l'orgueilleux Hector paralysé ne manqua pas de faire sourire Eaque. Il n'aimait guère le chevalier du capricorne, qui lui-même s'était fait peu d'amis au sanctuaire. En effet son attitude hautaine ne récoltait guère de suffrages. D'autant plus qu'il était de notoriété publique qu'il jalousait la renommée du brillant Adonis, qui, lui, était apprécié de tous. Le chevalier des poissons s'était isolé dans sa maison depuis la bataille, honteux de son échec. Eaque comprenait parfaitement son sentiment et n'était pas loin de le partager. Mais il fallait agir.

-" Nous devrions aller voir … "

Etéocle acquiesça. Ils quittèrent la maison, bien décidés à élucider le mystère.



Un papyrus finement enroulé, voilà à quoi se résumait l'univers de Deucalion. Le chevalier d'or du verseau n'en détachait jamais son regard. La fascination qu'il éprouvait pour un objet si commun attisait des soupçons dans tout le sanctuaire. Comment un homme aussi dur que le gardien du la onzième maison pouvait-il être obnubilé de la sorte ?

Hector était venu lui rendre une courte visite dès l'aube. Le chevalier du capricorne s'était montré très intrigué par cette lettre, sa lettre. Cet imbécile avait même tenté de la lui prendre. Son bras ne s'en était d'ailleurs toujours pas remis. Deucalion sourit, il n'avait reçu que le juste salaire de son outrecuidance. Cherchant des yeux un éventuel espion, il s'assit. Elle était toujours là, intacte. Personne ne devrait la voir avant qu'il ne l'aie remise à Athéna. " Elle m'a encore refusé l'audience … " dit-il sans chercher à masquer son agacement. Il se saisit de la lettre d'un geste rapide, et l'examina une fois de plus. Il se délectait de chaque détail, chaque imperfection dans sa structure, chaque tâche d'encre…

Une voix tonitruante eut le malheur de le tirer de ses rêveries morbides.

-" Deucalion ! Que fais-tu enfermé ici ? Depuis ton retour tu n'as donné aucun signe de vie ! "

Le chevalier d'or serra le poing. Cet homme avait eu l'audace de venir le déranger. Il allait la lui voler, l'empêcher de remplir sa mission.

-" Deucalion ? "

Un froid intense s'étendait dans la pièce alors que le chevalier concentrait son énergie. Le nouvel arrivant recula, visiblement surpris. La surprise, voilà un sentiment qui permettait souvent de remporter un combat. Deucalion était fort au courant de ce principe, véritable base de la stratégie, et était bien décidé à l'appliquer.

-" Que fais-tu Deucalion ? Tu ne vas tout de même pas … " la voix avait perdu toute assurance et semblait craintive. Le chevalier du verseau sourit à l'idée du sort affreux qui attendait ce vil voleur. Il leva le poing et se retourna.

-" DIAMOND DUST ! "

Une pluie d'éclats de diamants s'abattit sur l'inconnu qui ne put réagir. Durant ce déluge multicolore, Deucalion remarqua qu'il portait une armure dorée, dotée de superbes ailes. La dite armure encaissa d'ailleurs la majeure partie de l'impact et le chevalier ne mit que peu de temps à se relever.

-" Tu es complètement fou … Quel esprit malin a bien pu s'emparer de toi ? "

Le gardien de la onzième maison reconnut son compagnon Amphyon, chevalier du sagittaire.

-" Ainsi tu es de mèche avec Hector … Je n'aurais jamais cru que les chevaliers d'or s'abaissent à de tels actes … "

Son interlocuteur retirait la fine couche de glace qui recouvrait son armure.

-" De quoi parles-tu ? Je suis uniquement venu prendre de tes nouvelles … "

Feindre l'ignorance, voilà une stratégie fort habile. Mais Deucalion était bien trop aguerri pour se laisser aux pièges de ce beau parleur. Il ne la lui laisserait jamais.

-" Je ne suis pas stupide .. Je sais très bien que tu es là pour elle .. comme Hector ! "

Le dernier mot sembla exploser, comme une colère trop longtemps retenue. Le chevalier du sagittaire, un jeune homme aux longs cheveux émeraude, ne semblait pas du tout décontenancé.

-" On m'avait prévenu de ta folie .. Mais je ne me doutais pas qu'elle était aussi grave… "

Deucalion éclata d'un rire sinistre.

-" Folie ? Tu divagues Amphyon … Les seuls véritables fous ici sont les imbéciles qui se croient capables de me duper ! "
-" Mais quelle est cette chose que tu ne cesse de mentionner ? Cette lettre dont parle la rumeur ? " la question était amicale, bien que le ton fût légèrement exaspéré.

Deucalion, inquiet prit la lettre qui gisait sur le sol et la serra contre sa poitrine.

-" Tu vois bien ! Tu ne pouvais pas me tromper ! C'est cette lettre que tu veux ! "

Son cosmos grandissait alors que ses traits changeaient, prenant l'aspect d'une bête sauvage dans l'arène.

-" Et tu ne l'auras jamais … "



Le soleil se couchait sur le sanctuaire, tandis qu'Adonis gravissait les dernières marches qui le séparaient du palais du pope. Convoqué par Athéna, et seul en plus, était pour lui une bien étrange situation. Mais la loyauté exigée de chaque chevalier empêchait de discuter des ordres venant de la déesse elle-même. " Une requête inhabituelle .. mais après tout … "

L'inquiétude termina son court périple en son esprit et Adonis ouvrit les portes du palais. La déesse l'attendait dans la sobre grande salle. Le gardien de la douzième maison s'agenouilla, tête nue. Elle était seule. Le chevalier des poissons n'avait jamais eu l'occasion de contempler son visage d'aussi près. En effet elle était très discrète et déléguait la majorité des taches du sanctuaire à Eaque, qui remplissait fort bien son devoir. Ses longs cheveux mauves entouraient un visage d'une beauté froide, évanescente. Ses grands yeux pers, véritables miroirs de sa condition de déesse, semblaient luire dans l'obscurité naissante.

Adonis se décida à rompre le silence qui s'était confortablement installé.

-" Pourquoi m'avoir convoqué déesse Athéna ? "

Le chevalier d'or leva la tête, croisant le regard de la jeune fille. Cette dernière le fixait sans répondre, se mordillant les lèvres.
Adonis s'inclina plus profondément, s'attendant à des remontrances. Le son lancinant du vent nocturne envahissait la pièce progressivement. Puis, d'un seul coup, la déesse se redressa.

-" Adonis .. je t'ai fait demander afin de … "

Elle marqua une courte pose, comme si elle cherchait ses mots.

-" De te féliciter … " reprit-elle.

Le visage du chevalier des poissons arborait un étrange mélange de satisfaction et de perplexité.

-" Me féliciter ? Mais nous avons laissé les généraux s'échapper .. Et Mélès a failli trouver la mort ! "

Ces mots avaient eu la violence d'un claquement de fouet, et la déesse sembla tressaillir. Sentant qu'il s'était emporté, Adonis laissa le flux de la colère naissante se dissiper.

-" Pardonnez moi … Je n'avais pas à vous parler sur ce ton … "

Tête basse, serrant les dents, il attendit, maudissant son erreur. Athéna n'était pas connue pour sa clémence envers ceux qui lui manquaient de respect et il n'aurait pas été le premier à être victime de son courroux dans une telle situation. Rassemblant tout son courage, qualité qui ne lui faisait assurément pas défaut, il se risqua à un rapide coup d'œil dans sa direction. Le regard bienveillant qu'il reçut en réponse le rassura.

-" Bien … Si vous n'avez rien d'autre à me dire … "

Il se leva et mit son casque. Athéna n'avait pas esquissé le moindre geste.

-" Permettez moi de prendre congé … "

Il se retourna et fit quelques pas, plus lents qu'il ne l'aurait voulu. Un fin murmure l'arrêta dans son élan.

-" D'être resté en vie … "

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