Chapitre 2 : De l'injustice naît la haine


495 avant Jésus-Christ.
Dans la cité d'Athènes


Rune


Trois jours par semaine je me rendais en ville. Le matin je m'occupais de la justice à l'Héliée et l'après-midi j'allais discuter de politique sur l'Agora. Et entre les deux j'allais manger chez un ami. Ce dernier, tenait une auberge " le cadeau de Dionysos ". Malgré son titre (que j'avais immédiatement jugé suspect) il dirigeait un établissement parfaitement légal et moral. De plus, il servait une excellente cuisine. Que demander de plus ?

De la loyauté ? En effet, ce cher Bacchus était devenu mon prétendu ami après une série de procès où je l'avais innocenté (et où j'avais envoyé une dizaine de malandrins en prison). Néanmoins, je le trouvais trop laxiste. Sa vie se résumait à gagner de l'argent, à boire du vin et à regarder la vie passer (une attitude stupide, à mon avis) mais il était un informateur fiable. De ce fait, je l'appréciais quand même à sa juste valeur.

Donc, malgré mon humeur massacrante, je me rendis à son auberge pour me restaurer après la matinée éprouvante que je venais de subir.

" _ Je ne peux pas le croire !! C'est inconcevable, c'est affreux, c'est indigne !!
Comment ont-ils pu l'acquitter ?? hurlai-je en crachant mes noyaux d'olive.
Pfuh !!

_Ca s'est joué à peu de choses…
_Pas du tout ! 426 voix contre 35, en faveur de l'acquittement. C'est vraiment n'importe quoi. Notre justice ne mérite plus de porter ce nom. Pfuh !
_Tu exagères.
_Non !

J'abattis rageusement mon poing sur la table. Ce qui eut pour effet de faire trembler mon assiette et le pichet de vin.

_ Nom d'une récolte pourrie !! J'enrage ! Ca me tue de voir cette horreur.

Ces abrutis, ces bons à rien !
Ca se dit athénien avec cette intelligence !
On aurait dû le liquider l'autre !
Mais on le laisse en liberté !
On doit supprimer tous les criminels, sinon la société ne pourra jamais vivre normalement et en paix !


Mon interlocuteur était incapable de voir les sentiments obscurs qui envahissaient mon esprit. Mais moi je les sentais clairement. Une rage immense, une haine sans bornes et un dégoût illimité pour l'espèce humaine. C'est comme si une partie de moi, constituée d'énergie pure, se réveillait à chaque fois que j'assistais à une injustice.

Habituellement, ces sentiments destructeurs disparaissaient après un bon repas. Mais aujourd'hui, pour une raison inconnue, je sentais que ça empirait. Néanmoins tout cela me semblait normal. Bien sûr! Qui aurait pu rester calme en assistant à cette parodie de procès ? J'enrageais ! Jusqu'à présent j'avais (presque) toujours réussi à faire emprisonner les coupables.

_Tu devrais te calmer Rune. Il y a réunion sur l'Agora cet après-midi …
_ Je m'en moque ! Pourquoi devrais-je aller écouter ces imbéciles raconter des idioties ?
Pfuh !

Il fit semblant d'être surpris, mais il savait parfaitement que je ne pensais pas ce que je disais. Evidemment que j'allais m'y rendre. Je n'avais pas l'intention de laisser ma cité s'enfoncer dans le chaos.

_ Le peuple compte sur toi.

Oui. J'avais beau enfermer ou exiler tous ceux qui commettaient un crime, je gardais une certaine popularité dans la cité. Même mon ami Bacchus avait du mal à l'expliquer, mais il s'en accommodait fort bien.

_ C'est vrai ! Mais ça me dégoûte d'aller voir ces hypocrites. Ils se servent de la guerre comme d'une excuse pour les assassinats. Par Hermès, on dirait une ruse de barbare ! On dit que les métèques sont nos ennemis et ça nous donne le droit de les tuer ! C'est inacceptable ! Hadès ne nous le pardonnera jamais !
Et mince j'ai fini mes olives !

_ Il te reste ta bouillie de blé.
_ Génial. Même Cerbère n'en voudrait pas ! Ca n'a aucun goût. Passe-moi de l'ail.
_ Tiens !
Et calme-toi.

Je découpais rageusement les gousses (C'est quoi ces trucs affreux ! Ca vient de l'étranger à coup sûr ! Dans mes vergers ils sont bien plus beaux).

_ Tu sais, si on y réfléchit…
Les étrangers sont souvent des infidèles qui ne respectent pas nos dieux.
_ Et alors, ça reste des hommes. Je ne prétends pas connaître les pensées divines mais quand Hadès nous dit " ne tuez pas ", eh ben, on ne tue pas ! C'est pas compliqué nom d'une amphore !

Les clients avaient l'habitude de m'entendre tempêter contre la justice de la cité. Mais aujourd'hui, je sentais qu'ils avaient tous peur. Pas un seul n'osait prendre la parole ou me regarder.
Suis-je énervé à ce point ?

Il n'y avait que le tenancier qui osait encore m'écouter.

_ Certes oui. Mais tout le monde sait que la guerre est inévitable. Toute l'attique tremble rien qu'à l'évocation des perses. Face à cette terreur, il nous reste quelques hommes courageux qui veulent encore nous protéger.

Je manquai de m'étrangler avec l'immonde bouillie de blé.

_QUOI ?
Ces malades assassinent des marchands sans défense et on les dit courageux !! C'est de la divagation ! Quand il va s'agir de se battre ils seront les premiers à vouloir se rendre. Bande de lâches perfides malhonnêtes !

Et s'il disait vrai ?
Une nouvelle idée me vint. Bacchus avait peut-être raison ! Le peuple soutenait bien ces brigands. Pourquoi ? Parce qu'ils craignaient vraiment de voir les barbares nous attaquer. Or, la menace était bien réelle, je ne pouvais le nier.
Devais-je revoir mes positions ?
La guerre pouvait-elle justifier des crimes ? Athéna nous autorise à tuer les ennemis qui nous attaquent. De plus, Arès nous encourage perpétuellement à agresser nos adversaires. Mais d'un autre côté, Hadès avait interdit le meurtre sous toutes ses formes.
Qui avait raison ?
Je ne pouvais pas accepter de voir des injustices et simultanément …

_Eh ben, le juge Rune a l'air de perdre tout contrôle ? Il a perdu un procès, ça devait bien lui arriver un jour. C'est bien fait pour lui.

Je n'avais pas vu l'auteur de cette phrase. Et pourtant, je devinais déjà qu'il était jeune et qu'il supposait n'avoir été entendu que par ses compagnons de table.
Habituellement, je ne prêtais pas attention aux critiques. La seule chose qui importe dans la vie, c'est l'opinion des dieux, et non celle des humains.

_ Cet imbécile voudrait nous vendre aux perses. C'est un traître !

Je réalisai rapidement qu'il parlait trop fort pour un lâche. S'il haussait le ton de cette manière c'était dans l'unique but de m'insulter.
L'honneur est la première valeur pour les Athéniens. Aussi, on se doit de toujours corriger ceux qui se permettent de nous insulter, particulièrement s'ils sont d'un rang inférieur au nôtre.

L'autre le savait. Et sans le regarder, je pouvais savoir qu'il tremblait déjà. Pour être sûr de le terrifier davantage, je patientais quelques secondes.

Puis, calmement je repoussai mon assiette (de toutes façons je ne mangerai jamais cet infâme brouet). Le brouhaha classique commençait à disparaître. Tous les clients, sans exception, regardaient ce qui allait se passer.

Je me levais rapidement en faisant tomber ma chaise, je me retournai avec une grande vélocité et je regardai fixement le petit plaisantin que j'avais entendu.

Immédiatement le silence se fit dans la taverne. Personne n'osait bouger. On n'entendait plus que ma chaise qui rebondissait sur le sol.

Je fixai intensément le petit plaisantin qui s'imaginait pouvoir insulter un citoyen sans en subir les conséquences. Comme je l'avais deviné, il était jeune. Dix-huit ans à première vue. Guère solide, il n'avait pas encore fait son service dans l'armée de la cité. Ses quatre amis semblaient être du même âge.
Rapidement, je rassemblai toutes les informations les concernant. Leurs mains étaient d'une grande propreté et d'une grande finesse. Ils n'étaient pas fils de paysans ou d'artisans. De même l'étoffe de leurs vêtements me semblait valoir une certaine valeur. Sur leur table, je voyais s'amonceler des amphores de bon vin.
Toutes ces observations m'amenèrent à supposer que ces jeunes enfants étaient les fils de citoyens fortunés ou puissants. Pourtant je n'arrivais pas à coller un nom sur chaque tête.
Il serait bon, de ne pas trop les abîmer.

Je fis craquer bruyamment mes doigts.
Immédiatement l'attention s'accrut encore.
Le morveux osait encore soutenir mon regard.

Bacchus comprit immédiatement le danger. Bien que le jeune homme soit à dix mètres, il ne doutait pas une seule seconde que je puisse lui jeter la table sur la tête si l'envie m'en prenait. Et d'ailleurs il avait raison.

_Rune … ne casse pas le mobilier.

Loin de détendre l'atmosphère, sa remarque ne fit qu'empirer les choses.

_ Présente tes excuses, dis-je très calmement.

Mon simple charisme avait suffi à calmer le jeune athénien et ses compagnons de table. De plus, les paroles du tavernier étaient loin de les rassurer. Toute trace de témérité avait disparu de leurs visages. Pourtant, ils restaient silencieux.

Ils vont se prendre une table !

_ Dépêche-toi avant que Némésis ne s'éveille, prononçai-je avec une immense sérénité.

Je ramassai ma chope de vin. Je la dirigeai vers eux. Ils la regardèrent incrédules. Ces jeunes sots pensaient peut-être que j'allais leur offrir à boire. Evidemment, les autres clients suivaient attentivement la scène. Si je ne punissais pas ces orgueilleux mon honneur en prendrait un coup. D'un autre côté, je ne peux pas me mettre à dos leurs parents si je veux diriger cette cité.

Mon souffle était parfaitement régulier. Rien ne pouvait témoigner de ma fureur.

Je serrai le morceau de terre cuite.
Et je la fis éclater sous la pression de mes doigts.

Du sang se mit à couler.

Je n'eus même pas à ouvrir la bouche. Les cinq idiots s'étaient enfuis aussi vite qu'ils le pouvaient (en oubliant de payer l'addition bien entendu).
Pourritures !
Si un jour je vous revoie au tribunal. Je vous exile direct !


_Du calme Rune. Ce ne sont que des enfants.

Je regardai mon " ami " sceptique.

_Je crois que tu as raison. Tout le monde n'est pas vraiment d'accord avec mes idées. Mais je vais tacher de les convaincre cet après-midi.

Je lui tendis quelques pièces.

_ Tiens ! Tu feras un sacrifice à Hermès de ma part. J'aurais besoin de toute son adresse.
_ Quoi ? Tu ne vas pas partir maintenant ? Tu n'as même pas savouré le goût de mes nouveaux fromages.

_ Occupe-toi seulement du sacrifice, je m'occupe de ma santé.
Maintenant je dois y aller ! "

Dans les rues d'Athènes

Un soleil de plomb ! Quel est ce présage ? Phaéton a-t-il repris les rênes du char céleste ? Le chaos est-il de retour ?

J'avançai rapidement. La colère décuplait mes forces. Et j'en possédais une réserve inépuisable. Je la sentais couler dans mes veines. Avec une rage pareille je pourrais égaler Arès sur les champs de bataille.

La foule s'écarta sur mon chemin. C'est comme si une aura me frayait un chemin parmi la foule. Tous s'éloignaient de mon chemin. Dans les yeux je lisais autant de haine que de respect. Hommes, femmes et enfants m'observaient. Bacchus avait raison, le peuple attend une décision. Et moi, je représentais pour eux la fermeté.

Je représente un combat.

La paix contre la guerre.
Athéna contre Arès.
La raison contre la folie.
La justice contre l'injustice.
La vérité contre le mensonge.

Je serai leur sauveur ou leur destructeur !


L'après-midi sur l'Agora

La place était immense, et la foule regroupée l'était tout autant. Pourtant tous entendaient clairement l'orateur. Ce dernier, malgré son âge avancé, avait de l'énergie à revendre. Sa véhémence, sa détermination et son charisme secouaient la foule. Chaque citoyen écoutait attentivement.

Il me faudra toute mon adresse pour réussir aujourd'hui. Le destin de toute la Grèce est en train de se jouer et donc du monde.
Je dois être parfaitement calme. Ma prononciation doit être parfaite, ma respiration régulière, ma voix assurée, mon allure sereine, mes idées logiques et convaincantes.
Je dois vaincre.


" _ C'est pour ça qu'il ne faut pas faire d'alliance avec les cités voisines. Au contraire, il faut profiter de leur état de faiblesse pour les attaquer. Nous pourrons négocier une paix avec les Perses si on a de l'or à leur offrir.

Ca me rendais malade de voir autant d'idiotie concentrée sur une seule personne. La bêtise me met hors de moi, surtout quand elle provoque mon malheur et ceux de mes proches.

_Tu es toujours aussi stupide Gigant.
_ Quoi ? Qui ose ?
_ C'est moi !

Immédiatement, la foule se retourna pour voir qui avait osé interrompre l'orateur.

_ Par Athéna ! Arrête immédiatement! Mon temps de parole n'est pas encore écoulé !
_ Rien à faire !

Je fondai la foule et me dirigeai vers l'estrade en continuant à discourir.

_Tu nous fais perdre notre temps en racontant tes âneries. Même nos chevaux sont fatigués de t'écouter.

Quelques rires dans l'assistance.

_ Mais…
_ Silence !

Je montai sur l'estrade.
L'esclave public se demanda un instant ce qu'il devait faire de la clepsydre (qui sert habituellement à mesurer le temps de parole).

_Citoyens d'Athènes ! Arrêtez cette folie !!!
Nous ne devons pas faire la guerre. Les oracles nous prouvent que les dieux ne nous soutiennent pas.

Tous les citoyens m'écoutaient attentivement. J'avais peut-être une chance de les ramener. Mais mon adversaire n'avait pas l'intention d'abandonner.

_ C'est faux !
Nous sommes allés à Delphes pour consulter Apollon. Il nous a dit que nous pouvions nous enrichir. Les dieux nous disent de profiter de la situation.
_ Arrête de dire n'importe quoi !
Tu n'as vu qu'une fille hystérique qui fume des plantes toute une journée. Tu n'as pas discuté avec Apollon.

Oups ! Mal joué de critiquer Apollon et les oracles, si certains y croient je vais perdre mon crédit.
Embrayons rapidement sur une déesse populaire.


_ Si Athéna souhaitait la guerre. Elle nous aurait envoyé un signe très clair. Tu ne crois pas ?
_ De quel genre ? Citoyen Rune tu penses pouvoir reconnaître un signe d'Athéna ?

_ Je n'en sais rien ! Je suis ni prêtre ni vestale ! Va demander aux professionnels !
_ Ahh ! Tu reconnais ton ignorance et …

Il faut le couper tout de suite. Et justement je connais un dieu qui est plus important que tous les autres.

_ Et même ! Sa majesté Hadès a interdit de tuer les autres hommes.
Allons-nous lui désobéir ?
Le maître des enfers n'est pas très populaire mais il est capable d'inquiéter tous les hommes sans exception.
Apparemment j'avais réussi à attirer l'attention de la foule sur un point important. D'un seul coup, toutes les théories de Gigant leur paraissaient risquées. La peur de la mort l'emportait sur l'appât du gain. J'avais été bien inspiré sur cette réplique.

Merci Athéna ! Prête-moi encore ta ruse !

_ Ben c'est vrai que…
_ Je sais pas si…
_ Tu crois que ça vaut le coup ?
_ Et si on allait voir un autre oracle pour être sûr ?
_ C'est vrai qu'Hadès ne plaisante pas avec la justice …
_ Et tous les supplices qu'il invente …
_ Est-ce qu'on va tuer les autres alors ?
_ Faudrait y réfléchir avant…
_ Ou alors on lui fait un sacrifice pour le calmer ?
_ Ben ouais, on sacrifie nos prisonniers…

Une nouvelle idée se répandait dans la foule.
ACHETER HADES.
J'avais souvent honte de mon peuple, mais là ça devenait horrible. Ces humains s'imaginaient qu'on pouvait transgresser les lois divines en offrant un sacrifice à un dieu. Quelle honte !

Je veux bien accepter beaucoup de choses. Mais il ne faut pas exagérer non plus. Contenant ma rage et ma colère je reprenais mon discours mais en gardant un calme olympien.

_ La ferme ! Tas d'imbéciles !
Quand il dit " aucun meurtre " ça veut dire " aucun meurtre ".

Le silence se répandit immédiatement autour de moi.

Je voyais Gigant s'agiter à côté de moi. Il cherchait à reprendre l'avantage. J'ignorais la tactique qu'il avait prévue. Arès et son goût pour la guerre destructrice serait, sans doute, son meilleur atout mais il préférait le garder pour plus tard.

Néanmoins je continuais de le craindre. Dans sa jeunesse, on le surnommait " le tueur de géants " (d'où son surnom de Gigant). Il était doué d'une force et d'une ruse immenses. Avec l'âge ses forces s'étaient affaiblies, mais son intelligence et sa fourberie n'avaient fait que s'accroître.

_ Et tu te fais le porte-parole d'Hadès maintenant ?

Idiot ! Tu crois peut-être qu'il n'y a qu'un seul dieu avec moi. Je défends la justice contrairement à toi.

_ Non, même Athéna le dirait. Après tout il est connu qu'elle soit la déesse de la guerre défensive.
_ Ah mais non ! C'est la déesse de la guerre et de la ruse ! Nous allons justement l'honorer en attaquant nos ennemis traîtreusement.

Athéna ! A-t-il raison ?
Voulez-vous que nous attaquions des innocents ?
La ruse est-elle plus importante que la paix ?


_ Imbécile !
Vous ne croyez pas qu'il vaudrait mieux former une alliance avec eux à la place. Non ?
Car vous savez tous que les Perses ne vont pas s'arrêter. Aucune armée humaine n'est en mesure de les vaincre. Il faut donc que toutes les cités grecques s'allient pour les repousser.

Eris est-elle contre moi aujourd'hui ? Les hommes sont-ils prêts à s'allier pour combattre une menace ?

_ Et tu serais prêt à faire la guerre et à tuer dans ce cas ?

Un paradoxe ? Il essaie de m'enfermer dans une contradiction. Tu es toujours aussi fort en rhétorique Gigant mais ça ne prendra pas. Les dieux sont avec moi.

_ Oui ! Si nous nous contentons de préserver la vie des fidèles des dieux, nous serons peut-être pardonnés voire récompensés.

_ Tu délires ! Au contraire, si nous restons terrés à attendre. En s'alliant à des peuples qui vénèrent d'autres dieux nous nous abaisseront et nous subirons le châtiment des dieux. Alors que si nous lançons des attaques dévastatrices nous aurons le soutien de tous les dieux.

_ Et comment arrêteras-tu les Perses ?
_ Nous les achèterons.

Acheter !
Décidément il croit que tout s'achète dans la vie.


_ Par Arès ! Tu as déjà vu un barbare se faire acheter ?
_ Oui. Je ne compte plus les fois où les Grecs ont formé des armées en payant des mercenaires. De même je ne compte plus les fois où les barbares ont lâchement abandonné, car devant le courage exemplaire des athéniens, les immondes étrangers dépourvus de courage s'enfuient en courant comme les lâches qu'ils sont. Alors il ne faut point nous étonner, que ces immondices acceptent de battre en retraite si on la paye. Que l'on aille point me faire croire qu'un barbare ne peut pas être acheté, alors que tout le monde sait qu'ils se battent uniquement pour l'argent et non pour la gloire de la polis …

_Coupe tes phrases en quatre et il en restera assez pour aller jusqu'à Sparte.
_ Je n'ai pas ton laconisme Rune.
Mais tu reconnaîtras qu'on peut toujours acheter un barbare.

_On peut certes acheter un barbare. On peut également acheter un groupe de barbares. On peut même acheter une armée de barbares. Mais on ne peut pas acheter une armée invincible de barbares.
_ C'est la même chose que d'acheter un groupe mais en plus grand.
_ Erreur mon cher. C'est bien pire.
Tu vois, s'ils apprennent que nous avons de l'or ils vont tout simplement raser notre belle cité et s'emparer de tous nos biens.

Je gardais une attitude parfaitement sereine. Un observateur aurait pu supposer que j'étais parfaitement détendu. Calme, je l'étais. Dans la vie, il y a toujours des situations difficiles où il faut savoir garder son sang-froid. Aussi j'étais passé maître dans l'art de rester impassible. Même si mes sentiments formaient une tempête destructrice, je continuais de suivre ma raison.

La tension était-elle trop forte ou les dieux m'avaient-ils abandonnés ?
Aujourd'hui je ne parvenais plus à garder le contrôle de mes émotions. Est-ce là mon destin ? Vais-je perdre définitivement tout contrôle ? Se pourrait-il que je devienne aussi violent qu'un berseker ? Non …

J'avais envie de tout casser. Tous mes adversaires qui racontaient des tas de débilités. Tous les gens qui les écoutaient naïvement.
Je sentais que la haine me gagnait.
La seule idée qui résidait encore dans mon esprit était de tous les massacrer.

Mais d'un autre côté, si je le fais il n'y aura plus personne pour défendre la cité.

J'enrageais. En serrant la main mes blessures se rouvrirent. La douleur put ainsi me distraire un instant, me faisant oublier l'immense bêtise des hommes et l'éternel dégoût que le mal provoquait en moi.

C'est moi Rune !
Je représente la justice dans cette cité !
Les citoyens me suivent parce qu'ils savent que je suis la voix de la raison, ne les décevons pas. Je repris la parole, bien déterminé à l'emporter cette fois.

_ Alors citoyens qui allez-vous suivre ? La voie de la raison ou la folie ?
_ Allez-vous vivre comme des lâches ou comme des conquérants ?
_ Gigant, tu devrais savoir qu'il vaut mieux être un lâche vivant, qu'un idiot en vie.

Sinon tu ne serais pas là !

_ Non, ne t'en déplaise l'honneur sera toujours la première valeur pour les Grecs. Mais pour toi, ta maxime s'applique.
_ Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je vois très bien ce que tu veux dire.

_ Tu as volontairement refusé de participer à une mission pour rester planqué chez toi.

JE VAIS LE TUER !!!
Que la méduse le pétrifie !
RETENEZ-MOI !!! JE VAIS EN FAIRE DE LA BOULLIE !!
Je vais le démembrer et lui arracher la tête!!!!
Par Hadès …

Non … Hadès ne le voudrait pas. Il n'y a que Thanatos qui a le droit de tuer.
Je restais calme.

Ne pas commettre deux fois la même erreur. Si je parvenais toujours à débusquer les coupables, c'est parce qu'ils répétaient inlassablement les mêmes erreurs.
Il me faut donc garder mes opinions personnelles et ne pas le tuer, ça pourrait jouer en ma défaveur.

_ Ne t'en fais pas ! Si les Perses viennent, je serai le premier à défendre mon dème*. "


Plus tard sur la route

J'enrageais !
J'avais envie de tout casser mais il n'y avait rien à l'horizon à part le soleil qui se couchait. Hélios terminait sa course. Il était temps pour lui de rentrer et c'était aussi le cas pour moi, sauf qu'il y avait encore quelques heures de marche.
La colère me maintenait en forme. J'avalais les kilomètres sans fatiguer mais ça ne me calmais pas. Au contraire, ma hargne s'intensifiait à chaque foulée.
Je ramassai une pierre et je la jetai de toutes mes forces vers l'horizon. Elle retomba quelques dizaines de mètres plus loin. Il m'avait semblé avoir mis toute ma rage dans ce lancer et pourtant !!!

Et pourtant !!! J'étais toujours aussi énervé !
Je fulminais ! Je n'arrivais pas à retrouver ma sérénité.

Comment aurais-je pu encore rester calme ? J'avais tout raté aujourd'hui ! Comment pourrais-je encore me montrer devant sa majesté Hadès à la fin de ma vie ?

J'avais gardé mon sang-froid jusqu'au bout, mais ça ne m'avait pas permis de l'emporter. Je devrais peut-être songer à user de ma vraie force ?

Je ressentais quelque chose de bizarre. La nuit n'était pas encore totalement tombée et pourtant je voyais déjà quelques étoiles apparaîtrent dans le ciel. Bizarrement, elles constituaient une des rares choses qui ne m'énervaient pas. J'avais toujours aimé regarder les étoiles. Leur éclat, leur pureté, leur beauté inégalable en faisaient des joyaux magnifiques qui illuminaient le ciel. Etrangement, je savais que mon destin se trouvait dans les étoiles.

Nos prêtres savent lire l'avenir dans le ciel. Peut-être savent-ils pourquoi ? Qu'y a-t-il chez Ouranos qui me dérange à ce point ? Et ce point noir. Pourquoi suis-je le seul à voir cette étrange étoile qui semble absorber toute la lumière ? On dirait qu'elle possède un esprit. Je suis certain qu'elle possède des pouvoirs terrifiants. Les dieux l'ont créé comme toutes les étoiles, mais celle-là est différente. C'est une création monstrueuse d'Eris et d'Arès. J'en suis persuadé. Quand je regarde cet objet céleste je sens une immense impression de puissance m'investir, mais en même temps il y a une contre-partie terrible.

Cette étoile noire avait le don de réveiller tous mes sentiments les plus obscurs, les plus ténébreux, les plus abjects.
Ils surgissaient dans mon esprit dans un chaos indescriptible, sans mesure, sans contrôle.
Toutes mes idées de destruction m'apparaissaient simultanément sans aucune logique.
Rage ! Haine ! Peur ! Dégoût ! Irrespect envers les dieux !
Tout ça tourbillonnait dans mon esprit.
Est-ce que je devenais fou ?
Ma raison faiblissait.
Je ne pensais plus.
Je haïssais.
!!!

La Rage
Ca me déchire les entrailles. J'ai l'impression d'avoir du feu en moi qui menace de me consumer si je ne laisse pas sortir. Une puissance destructrice coule dans mes veines et pourtant je la retiens. Elle pourrait tout consumer. Et je devrais la relâcher.

Toutes ces pourritures que je côtoie, il faudrait les massacrer, les annihiler. J'ai envie de tous les étrangler de mes propres mains.
Ca fait des années que je les déteste mais ça ne fait qu'empirer. Chaque matin je me lève en pensant à ça. Tous les jours. Et à chaque fois la haine est plus forte, plus terrible, plus destructrice. Je voudrais tous les supprimer.
Mais pas seulement leur ôter la vie ! Non ! Ce serait trop gentil !
Il faudrait les punir pour leurs crimes en les faisant souffrir après la mort.
Et je devrais me charger personnellement de tous les éliminer. J'ai envie de massacrer toute l'humanité et je sens que j'en suis capable.

Mon cœur s'emballe. Ma respiration s'accélère. Je sens la mort passer dans mes muscles. Si Thanatos me prête son pouvoir, je peux semer la désolation …
Je suis comme un prédateur rongé par la faim…

La colère
J'ai envie de tout casser. Je sais que ça ne résoudrait rien mais il le faut. J'ai un brasier en moi qui va me détruire. Tout ce que je vois m'énerve. Tous ces bandits en liberté. Je voudrais les massacrer moi-même. Qu'on me rende mon glaive et je nettoie la ville !
Tous ces métèques, tous ces barbares, toutes ces pourritures d'étrangers qui viennent envahir notre territoire. Je les déteste et je hais encore plus ces perses qui veulent envahir les cités grecques.
On devrait éliminer tous les étrangers comme le conseille Gigant, ça rendrait sa pureté à notre nation.

Les humains m'énervent tous. J'ai envie de tous les frapper, de leur casser les dents qui leur restent. Je hais cette hypocrisie. Ces ordures qui font semblant d'être de bons citoyens et qui trichent avec les lois. J'en viens à haïr la nature humaine.
Et les dieux ! Pourquoi laissent-ils ces infamies impunies ?? Je les déteste.
Je les hais ! Comment peuvent-ils permettre cela !!! Leur puissance n'a pas de limite, alors pourquoi ??? Ils se servent de leurs talents uniquement pour des intérêts personnels ! Si je ne leur devais pas le respect … non, si j'en avais le pouvoir … je !!!

Même les objets m'énervent. J'ai envie de casser des amphores, de fracasser des chaises et de briser les tables de mes propres mains.

Je m'en veux d'avoir épargné Gigant. J'aurais dû continuer à le frapper. ET j'aurais carrément dû éliminer tous les juges de l'Héliée. Je suis le seul apte à juger. Il n'y a que moi qui suis assez droit et assez honnête.
Tout le monde le reconnaît, et pourtant on ne m'écoute pas.
Je suis le seul à avoir raison !

Le dégoût
Les criminels m'écœurent. Ils ne valent pas mieux que des animaux. La justice me dégoûte. La justice des hommes !! Mais aussi celle des dieux ! Est-il normal que ces larves s'en sortent et que les honnêtes gens soient malheureux.
Ca me rend malade !
Ca me révulse.
J'ai envie de vomir. Le dégoût est tel que rien que de penser à l'injustice et au non-respect des lois pour être complètement malade.

Et cette souffrance ne fait qu'accroître ma haine…

Quand tout à coup !
PAF

Quelques heures plus tard

Je me réveillai.
Je ne me souvenais de rien hormis le fait que j'étais en colère. J'enrageais pour une raison que j'avais oubliée. D'ailleurs qu'est-ce que je fabriquais là ?
Serai-je dans le repaire d'un brigand ?

Oh ! Je me rappelle !
Le marchand perse. Le meurtrier qui passe pour un héros ! Gigant qui veut attaquer les cités affaiblies et acheter l'armée perse.

On était dans de beaux draps !

*dème : petit territoire faisant partie d'une cité pour ceux qui suivent pas.

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