Chapitre 3 : La Faute du Phénix


Je sentis une présence familière auprès de moi. C'est elle qui me tira de l'inconscience dans laquelle je m'étais volontairement retiré. J'ouvris les yeux avec difficulté puis regardais ce visage qui m'était si cher. Shun se pencha au-dessus de moi avec inquiétude puis il me sourit avec soulagement. Il saisit ma main avec beaucoup de douceur et se rassit.

- Tout va bien Ikki, dit une voix derrière lui.

Je fronçais les sourcils. Pourquoi Athéna éprouvait-elle le besoin de me rassurer? Qu'est ce qui n'allait pas? Je le compris rapidement : Shun ne pouvait pas dire un mot. Saori m'expliqua rapidement que la mort de Seiya l'avait tellement choqué qu'il faisait à présent un blocage.

Shiryu puis Hyôga se réveillèrent à leur tour. Mais je ne me faisais pas de soucis pour eux. J'étais très inquiet pour Shun. En plus de la perte de sa voix, je sentais qu'il s'embourbait dans sa tristesse et je n'arrivais pas à l'aider de quelques façons que ce soit. Je me sentais tellement impuissant… et si las.

Cette lassitude n'était pas dans mon habitude. Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait. Je me dégourdissais les jambes dans le couloir lorsque je vis Shiryu regarder les personnes assises dans la salle d'attente. J'allais à sa rencontre.

- Tu attends quelqu'un?

Shiryu sursauta puis me regarda comme s'il ne me reconnaissait pas. Puis il secoua la tête pour remettre ses idées en place.

- J'espérais que Shunrei viendrait… Après la perte du Vieux Maître et de Seiya, j'aurais aimé l'avoir à mes côtés… Je trouve aussi curieux que Jabu et les autres ne soient pas venus nous voir… Etre coupé du monde comme ça n'arrange pas mon moral!
- Nous sortirons bientôt, dis-je en haussant les épaules.

Puis je retournais à la chambre. Les paroles de Shiryu résonnèrent dans ma tête. J'avais toujours été un solitaire donc je ne m'en étais pas fait pour ce manque de visite. De plus, toutes les personnes qui avaient de l'importance pour moi était dans la même chambre que moi… Mais c'était tout de même troublant que nos autres frères ne se soient même pas inquiétés de notre état de santé. De plus, les visites d'Athéna étaient de plus en plus rare.

Je me sentis tout d'un coup délaissé, comme un vieux guerrier qu'on a oublié après ses valeureux combats. Puis j'enfermais ce sentiment au fond de mon cœur, me concentrant sur Shun. Mais je n'arrivais pas à faire partir cette tristesse de ses yeux. Je me rendis alors compte que la mort de Seiya me pesait plus que je ne le pensais. Nous avions perdu bien plus qu'un frère… nous avions perdu l'espoir.

Nous quittâmes enfin l'hôpital. En montant dans la voiture, je surpris le regard peiné de Shiryu quand il constata que personne, en dehors du chauffeur, n'était venu nous chercher. Pendant un moment, le silence régna dans la voiture. Shiryu regardait par la fenêtre puis il soupira et tourna les yeux vers nous. Il se mit alors à parler des changements survenus dans le paysage depuis notre dernier passage au Japon. Je regardais par la fenêtre et constatait qu'il disait vrai. Une discussion sans le moindre intérêt anima bientôt notre petit groupe. Tout était préférable à ce pesant silence.

Arrivé au manoir, nous découvrîmes notre comité d'accueil. Je lançais un regard à Shiryu et celui-ci haussa les épaules puis se mit à chercher Shunrei des yeux mais elle n'était pas là. Quelqu'un appela Shun et je vis une jeune fille blonde sauter dans les bras de mon frère. En voyant les yeux de Shun, je devinais que ces retrouvailles lui faisaient pour l'instant plus de mal que de bien. Mais j'étais aussi persuadé qu'il aimait sincèrement cette jeune fille et que sa présence ne pourrait lui être que bénéfique.

N'aimant pas être constamment entouré, j'avais pris l'habitude de partir pour de longues promenades en solitaire. Puis, Shun se joint à moi et ces promenades ensemble devinrent un rituel. En temps ordinaires, Shun aurait fait la conversation et je me serais contenté de l'écouter mais étant donné les circonstances, je me forçais à parler de tout ce qui me venait à l'esprit. Même si Shun ne parlait pas, il écoutait avec intérêt et parfois essayais de me répondre avec des gestes.

Je trouvais toutefois que ces promenades ne changeais pas grand chose. Il arrivait souvent que quelqu'un nous rappelle sans le faire exprès la perte de Seiya. Dans ces occasions, chacun essayait de son mieux de changer de sujet. Mais à chaque fois, je sentais sur moi le regard de Saori. Je n'avais tout d'abord pas fait attention, uniquement préoccupé par le bien-être de Shun mais il m'arrivait de plus en plus souvent de me sentir coupable en rencontrant son regard. Coupable de quoi? De ne pas avoir réussit à sauver Seiya? Comment aurions nous pu le faire? Puis en reportant les yeux sur Athéna, je les voyais doux et protecteurs. J'avais l'impression de me faire des illusions et chassait tout ça de ma tête.

Et puis un matin, Shun arriva avec un visage paisible, les yeux doux, tel que je l'avais toujours connu. J'eu du mal à comprendre ce changement subit chez lui. Qu'est ce qui avait pu changer entre hier et aujourd'hui? Je cachais rapidement mon trouble. Après avoir fini mon petit déjeuner, je sorti attendre mon frère dehors. Au bout d'un moment, ne le voyant pas arriver, je retournais à l'intérieur pour constater qu'il n'y était pas. Je ressorti cherchant à sentir sa présence.

- Je vais le chercher à droite et toi à gauche, me dit Shiryu en se plaçant à côté de moi.

Je hochais la tête et parti dans la direction que m'avait désigné Shiryu. Je reviens au manoir peu après sans l'avoir trouvé. Je le vis arriver, entouré de Shiryu et Hyôga. Ils m'expliquèrent un peu plus tard que Shun avait essayer de retrouver sa voix sans résultat. Mais cela ne l'empêcha pas de garder sa bonne humeur qui se communiqua rapidement à tout le monde. Rassuré, je commençais à penser à m'en aller. C'est alors qu'Athéna nous parla de cette cérémonie de commémoration.

C'était une bonne idée en soit mais je n'avais aucune envie de m'y rendre. Hyôga y était aussi réticent mais devant l'insistance de Shiryu et Shun, nous finîmes par céder. Et puis, Shun aurait peut-être besoin d'un soutient. Ce fut effectivement le cas.

Le discours de Saori me donna une fois de plus ce sentiment de culpabilité que je changeais rapidement en colère en sentant mon frère défaillir. La déesse s'arrêta pour nous regarder puis repris son discours.

- Allons-nous en, murmura Hyôga, pâle de rage.

J'hésitais un bref instant, voulant dire à Saori ma façon de penser mais sentant mon frère désireux de partir, je suivis Hyôga et les autres. Nous marchâmes longtemps jusqu'à ce que Shun s'arrête puis il s'assit dans un champ de fleur.

- Où sommes-nous à votre avis? demanda alors Shiryu en regardant autour de lui.
- Loin du Sanctuaire, c'est tout ce qui compte, répliquais-je.

J'étais encore énervé. Je rencontrais le regard de Hyôga et je vis qu'il partageait mon sentiment. Je regardais subrepticement Shun. Je ne voulais pas qu'il se fasse du soucis pour ça. Je regardais de nouveau Hyôga, lui demandant silencieusement de ne rien dire. Il acquiesça.

Nous restâmes silencieux un long moment puis je me rendis compte que le soleil se couchait. Je vis mes frères lever la tête vers les étoiles, cherchant probablement réconfort auprès de leurs constellations. Pour ma part, je savais que la mienne n'étais pas visible mais je m'allongeais tout de même, posant mes yeux sur la constellation de notre frère disparu. La constellation de Pégase m'avait toujours parut très lumineuse mais plus maintenant. Elle était quand même là, prodiguant sa faible mais rassurante lueur.

- J'ai l'impression d'entendre son rire… murmura Shiryu

Je tournais le visage pour le regarder. Shun posa une main réconfortante sur son bras mais Shiryu ne semblait pas mélancolique.

- Ce ne sont pas des souvenirs tristes, reprit-il comme pour confirmer mes pensées. On doit se souvenir que des bons moments. De ses sautes d'humeurs, de sa fougue, de son courage…

Je crois qu'en cet instant, nous nous souvinrent tous des moments que nous avions vécut avec Seiya. Shiryu continua de parler et je me mis à compléter ses anecdotes, rejoint bientôt par Hyôga. Bizarrement, parler du passé apaisa mon âme tourmentée. Je ne réalisais que maintenant que la perte de Seiya n'avait pas été dure uniquement pour mes frères mais pour moi également. La clarté de Pégase s'accrut imperceptiblement en signe d'adieu. Silencieusement, je lui rendis son adieu. Lorsque l'aube se leva, je me redressais, éprouvant le besoin d'aller ailleurs.

- Je n'ai pas envi de retourner au manoir tout de suite, leur dis-je.

Je ne savais pas comment ils allaient réagir mais j'avais subitement envi de passer un moment seul avec mes frères. Lorsque j'osais enfin affronté leur regard, je constatais qu'ils étaient du même avis que moi. Après une brève discussion, Hyôga nous proposa d'aller en Sibérie. Nous approuvâmes. Tandis qu'on se mettait en marche, je retiens Hyôga.

- Tu es sûr que c'est une bonne idée? lui demandais-je.
- Il faudra bien qu'un jour je fasse aussi leur deuil, me répondit-il en haussant les épaules.

Je fus rassuré et nous partîmes pour la Sibérie. Moi qui était habitué à la chaleur des volcans, je constatais avec soulagement que le froid ne m'était pas trop pénible. Cela me fit même du bien. Nous restâmes là-bas une semaine environ puis nous décidâmes de retourner au manoir.

Devant les grilles du manoir, je su que je n'avais rien à y faire. Je regardais Shun, indécis. Celui-ci me sourit en signe de compréhension. Je leur dis au revoir silencieusement puis m'éloigna sans regarder en arrière.

La première chose que je fis fut de me rendre sur l'île de la Reine Morte. Je n'y trouvais pas de chevaliers noirs sur mon chemin bien que je sache qu'ils étaient encore sur l'île. Je me rendis directement sur la tombe d'Esméralda puis reparti d'un pas décidé. Je ne remettrais pas les pieds sur cette île. J'avais tourné définitivement le dos à mon passé. A présent, je cherchais ce que je pourrais faire. Je parcourais le monde sans but précis. J'avais toujours pensé ne pas avoir d'avenir mais à présent que cette chance s'offrait à moi, je ne savais pas quoi en faire.

Je me trouvais en Italie quand un horrible pressentiment m'étreint le cœur. Me déplaçant aussi vite que j'en étais capable, j'arrivais au Japon pour voir le corps de mon frère s'écraser sur le sol dans une marre de sang. Je me précipitais vers lui juste au moment où il prononçait mon nom. Ainsi sa voix était enfin revenue. J'en étais heureux mais je me rendis compte immédiatement que Shun ne se relevait pas, que je ne ressentais plus son cosmos. Ce n'était pas possible! Shun était un puissant chevalier qui avait frôlé la mort de nombreuses fois… une simple voiture ne pouvait pas avoir raison de lui.

Lentement je tombais à genoux et je serrais convulsivement le corps sans vie de mon frère. Je ne su pas vraiment ce qui se passa après. J'eu la vague impression d'avoir hurler mon désespoir puis que quelqu'un me força à lâcher Shun. Je revoyais une porte que j'avais fixer très longuement puis j'étais au manoir Kido.

On m'avait monté dans une chambre et j'étais assis sur un lit quand Shiryu entra. Je ne m'en rendit même pas compte. Puis Shiryu m'attrapa durement les épaules et me secoua.

- Ikki! s'écria-t-il avec colère.

Je battis des paupières et le regarda sans le reconnaître. Il s'agenouilla devant moi et me regarda dans les yeux.

- Shun a eu un geste très courageux en sauvant cette petite fille… et ce sacrifice lui ressemble bien. Tu ne dois pas salir la mémoire de ton frère en t'enfermant dans le désespoir.
- Pourquoi…

J'avalais ma salive, j'avais la bouche sèche mais il fallait que je pose cette question.

- Pourquoi un chevalier comme lui…
- Oui, je sais, m'interrompit Shiryu. Je me pose la même question… Mais pour l'instant, je suis inquiet pour Hyôga. Il est parti il y a quelques minutes.
- Quelle importance…

Tout m'était égal. Depuis toujours, Shun avait été ma seule raison de vivre et à présent qu'il était mort que m'importait les autres. Shiryu me regarda un moment puis se redressa et me donna un violent coup de poing qui me fit passer au-dessus du lit. Je me redressais en me massant la mâchoire et lui lança un regard furieux… mais ma colère retomba en voyant son visage inondé de larmes. Puis je réalisais que c'était la première fois qu'il pleurait depuis notre retour des Enfers.

- J'ai déjà perdu deux de mes meilleurs amis… Je ne veux pas en perdre un autre!

Je compris alors ce qu'il craignait. Je me relevais, ayant retrouvé ma lucidité et mon sang froid puis hochais la tête. Nous partîmes immédiatement pour la Sibérie. Nous y trouvâmes un Yakoff complètement déboussolé. Avec peu d'explications, Shiryu força le garçon a nous montrer le lieu où Hyôga allait se recueillir. Nous y trouvâmes ses vêtements devant un immense trou. Bien que nous savions tous deux qu'il était déjà trop tard, nous plongeâmes dans l'eau glacée.

Nous restâmes longtemps dans l'eau avant de retrouver le corps de Hyôga. Malgré nos tentatives désespérés pour le ranimer, il ne réagit pas. Il était mort… comme mon frère… comme Seiya…

Je me relevais et regardais le corps de Hyôga, le regard vague. Shiryu s'approcha de moi et je relevais des yeux chargés de colère sur lui. Il recula d'un pas.

- Nous sommes de puissants chevaliers, m'écriais-je. Nous avons vaincu Poséidon et Hadès… Comment une chose pareil peut-elle arriver?
- Je…

Shiryu avança une main vers moi mais je le repoussais puis je partis. Shiryu m'appela mais ne me suivit pas. Je me rendis dans le volcan de l'île Canon et y restait à méditer. Les flammes de la haine renaissaient en moi. Mais contre qui? Seiya était mort de la main d'Hadès, Shun avait eu un stupide accident et Hyôga s'était suicidé… Y avait-il vraiment un responsable?

Deux semaines après, je retournais au manoir Kido. Je n'avais rien décidé en m'y rendant. Je ne savais même pas ce que je venais y faire. Je restais un moment dans la forêt puis je les vis : l'amie de mon frère, June était en train de pleurer. A ses côtés, Saori essayait de la consoler. A l'instant même où je les vis, je su ce que j'étais venu faire.

J'attendis qu'elle fut seule pour m'approcher d'elle. Elle m'entendit ou ressentie ma présence puis se retourna, un sourire triste sur le visage. Son expression devint stupéfaite lorsque je lui transperçais le cœur de mon poing…

Le jugement fut rapide puisque je plaidais coupable. Je n'avais aucune circonstance atténuante et je fus condamné pour le meurtre de Saori Kido. Je n'avais aucun remord. Je ne ressentais plus aucun sentiment. J'étais le vide… Je n'entendis pas la peine qu'on me donna. Elle m'était complètement égale.

Je regardais les barreaux de ma prison avec dérision. J'aurais pu sortir d'ici quand je voulais mais je n'en avais pas envi. Les autres criminels restaient le plus loin possible de moi. Quelques jours après mon incarcération, je reçus une visite.

- Bonjour Ikki, dit Shiryu en souriant.

Il avait beaucoup vieillit en peu de temps. Il paraissait fatigué et je pouvais lire une indescriptible douleur dans ses yeux. Mais son sourire était sincère.

- Que viens-tu faire ici?
- Je viens te rendre visite…
- Pourquoi? Après tout, j'ai tué Athéna.
- Tu es la seule personne qu'il me reste…
- Et Shunrei?

Shiryu secoua la tête, les larmes aux yeux.

- Jabu et les autres?
- Ce n'est pas la même chose… Je cherche désespérément quelque chose qui me force à rester en vie…
- Je ne suis pas vraiment ce qu'il y a de mieux.

Shiryu parut hésiter un moment puis haussa les épaules.

- Je suis le nouveau Grand Pope. Je prépare le Sanctuaire pour les prochaines batailles.
- Ça m'est égal.

Je me levais puis me détournais de lui. Avant de franchir la porte, je lui jetais un coup d'œil.

- Ce n'est pas la peine de revenir. Je ne veux voir personne.

Shiryu revient toutes les semaines, puis espaça ses visites aux mois. Mais je refusais obstinément de le voir. Je regardais de temps en temps les barreaux de ma prison, un sourire ironique aux lèvres. J'étais prisonnier d'une prison bien plus efficace que toutes celles créées de la main de l'homme, j'étais prisonnier de mon âme…

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