Chapitre 4 : L'épreuve


Grèce, Sanctuaire.


Le cœur de Saga battait la chamade. Son entraînement était enfin arrivé à son terme, et le lendemain il passerait l'épreuve qui ferait de lui un Chevalier d'Or. Pour le moment il était sur le parvis de la maison des Gémeaux, assis en tailleur les yeux fermés, les mains posées sur les genoux, chaque muscle de son corps parfaitement détendu. Au dehors le soleil d'été déclinait. Saga prit une inspiration profonde pour forcer son cœur à se calmer. Il avait du mal à contenir son excitation après la révélation que le Grand Pope leur avait faite un mois plus tôt à lui et Canon. Il leur avait révélé que depuis la mort de son précédent possesseur l'Armure d'Or des Gémeaux ne se trouvait pas au Sanctuaire, mais qu'elle avait regagné une dimension parallèle et qu'elle y attendait le nouveau Chevalier ! Suivant la tradition quand un cas similaire se présentait, Saga en tant qu'aîné serait le Chevalier titulaire de l'armure, et Canon le remplacerait en cas de besoin.

Sitôt l'entrevue terminée, les deux frères s'étaient aussitôt attelés à la tâche pour développer une technique appropriée afin de percer la barrière dimensionnelle qui les séparait de l'armure. Au bout de trois semaines de travail et d'entraînement acharné, ils avaient réussi !

Saga se concentra, intensifia son cosmos tout en respirant profondément. Une aura bleue se mit à luire autour de son corps, de plus en plus intensément. Quand son cosmos eut atteint le niveau qu'il désirait, l'aspirant Chevalier se leva. Campé sur ses jambes, il étendit les bras devant lui et prononça d'une voix forte et claire :

- Que s'ouvre une Autre Dimension !

Soudain entre ses mains l'air sembla vibrer et onduler. Le paysage situé derrière ce point précis se brouilla tandis qu'apparaissait un point noir qui s'élargit peu à peu, devenant un large trou dont les bords mal définis fluctuaient sous la pression de l'espace-temps environnant qui semblait protester contre cette intrusion dans la réalité. Une sorte de vent violent s'était mis à souffler au travers de l'ouverture irréelle, et sans la force acquise par son entraînement, Saga aurait sans doute été aspiré.

Parfait. Sa technique était parfaitement au point ! Il diminua l'intensité de son cosmos et observa l'ouverture se refermer lentement. Elle disparut dans une explosion de lumière qui engendra un remous que Saga put voir se propager dans l'air, telle une vague qu'aurait provoquée la chute d'un caillou cosmique dans la trame de l'espace-temps. Puis le remous s'estompa et cessa. L'ouverture dimensionnelle, outrage aux lois de la physique, avait disparu.

Le soleil était presque couché. Saga rentra dans le temple des Gémeaux pour dormir. Il fallait qu'il soit en forme pour le lendemain.

Au-dehors le soleil se couchait et bientôt il fit nuit noire. Les gardes postés sur le pourtour du Sanctuaire par ordre du Grand Pope somnolaient, et c'est pourquoi aucun d'eux ne vit passer sur le ciel noir clouté d'étoiles une traînée blanche laiteuse qui se dirigeait vers le Domaine Sacré…

Le lendemain.


Quand Saga se réveilla, sa tête bourdonnait. Il avait l'impression que pendant la nuit quelqu'un s'était introduit dans la maison des Gémeaux, mais à part Canon qui dormait encore sur son lit, il n'y avait personne. Avait-il rêvé ? À la réflexion, il se dit que son état était peut-être dû à l'excitation de l'épreuve. Il s'habilla rapidement et sortit sur le parvis du temple. Le soleil se levait tout juste, et Saga décida de profiter des quelques minutes de fraîcheur qui restaient avant la canicule. Il s'assit en tailleur et fit des exercices de relaxation et de méditation.

Enfin il se sentit prêt, sa tête allait déjà mieux. Il entendit des pas derrière lui.

- Canon ?
- Oui.
- Tu as bien dormi ?
- Ma santé te préoccupe-t-elle donc à ce point mon cher frère ? Il ne se donnait pas la peine de dissimuler son mépris.
- Canon !
- Oh ! Mon frère s'offusque de mon attitude ? continua-t-il du même ton. Si j'ai pu l'offenser en quoi que ce soit, je m'en excuse aussitôt. Il s'inclina profondément. Saga eut du mal à garder un peu de calme quand il réprimanda son frère.
- Canon ! Je suis ton aîné ! Je suis responsable de toi !
- Je vois. Monsieur joue les grands frères et s'inquiète ! Pff… Parce que tu crois peut-être que le fait d'être né quelques minutes plus tôt que moi t'en donne le droit ? Ha ! Laisse-moi rire ! Nous avons le même âge et ce ne sont pas cinq malheureuses petites minutes qui vont faire une différence ! J'en ai plus qu'assez que tu me surveilles ainsi !
- Tu te trompes Canon. Tu es mon frère… Pendant longtemps tu es resté renfermé sur toi-même... T'es-tu rendu compte à quel point je me suis inquiété pour toi ?
- Toi ? Tu t'es inquiété pour moi ? Pff… Vraiment tu me fais trop d'honneur !
- On dirait bien que j'ai eu raison de m'inquiéter en fin de compte !
- Ah oui ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Simplement ton attitude et le ton de ta voix, Canon ! Je l'ai craint pendant toutes ces années, mais maintenant j'en ai la certitude !
- La certitude de quoi ? dit-il, un sourire méprisant sur les lèvres.
- Les chevaliers doivent incarner la justice et la défendre, mais toi Canon ! Toi ! Tu n'incarnes pas la justice ! Tu incarnes le mal ! Mais ne crois pas que je vais le laisser se développer en toi.
- Voyez-vous çà ! Monsieur joue les justiciers à présent ! Tu es vraiment pathétique dans ta colère, Saga !
- Tais-toi ! Sa patience poussée à bout, Saga se précipita sur son frère et lui asséna un coup de poing au menton. Surpris, Canon n'eut pas le temps de réagir et le coup l'étendit pour le compte. Saga prit alors le corps de son frère sous les épaules et le transporta à l'intérieur du temple dans leur chambre.
- Pardonne-moi Canon… Je dois le faire. Le mal est en toi et je dois l'empêcher de te dévorer tout entier… même si pour cela je dois te garder enfermé ici ! Saga sortit alors de la chambre et concentra son cosmos. Un bouclier d'énergie se dressa à la porte de la chambre. Ainsi il te sera impossible de sortir d'ici, Canon… Et personne au Sanctuaire ne pourra te voir et prendre honte de ta conduite impardonnable !
Saga se détourna alors de la chambre et descendit les marches. L'épreuve aurait lieu dans l'arène du Sanctuaire et allait commencer d'une minute à l'autre. Il attendrait dans l'arène en méditant pour chasser de son esprit le trouble que les paroles de Canon y avaient semé.


Un bruit tira Saga de sa méditation. Il ouvrit les yeux et vit que des gardes étaient arrivés dans l'arène en discutant entre eux. Se tournant vers la colline sacrée, il vit aussi une procession qui descendait les marches de l'escalier des douze maisons. Il les observa en silence, ce pendant que de plus en plus de monde arrivait dans l'arène.

Quand le cortège arriva au pied des marches, Saga remarqua en tête quatre soldats de la garde rapprochée du Grand Pope qui portaient, sur une litière posée sur leurs épaules, une urne dorée que Saga reconnut aussitôt. L'Urne Sacrée de l'Armure d'Or des Gémeaux ! Saga savait qu'elle était vide… Mais la tradition était la tradition. L'urne de l'armure devait être amenée sur le lieu de l'épreuve.

Derrière les quatre porteurs venait le Grand Pope, drapé dans une soutane noire gansée d'or et d'argent et coiffé de son casque d'or. Il était entouré d'un bataillon de gardes qui assuraient sa sécurité.

Le cortège pénétra dans l'arène en demi-cercle et se dirigea vers le côté rectiligne. Le Grand Pope grimpa sur une estrade de pierre surélevée tandis que les porteurs déposaient l'urne sur un piédestal au pied de l'estrade. Le Grand Pope prit alors la parole.

- Nous sommes ici aujourd'hui pour mettre Saga à l'épreuve et voir s'il sera digne de porter l'Armure d'Or des Gémeaux.

Son regard fit le tour de l'assemblée qui écoutait respectueusement. Il s'adressa ensuite à l'aspirant chevalier.

- Saga. L'urne que tu vois ici est vide. Pour la raison que l'armure est partie à la mort de son précédent porteur. Elle s'en est allée dans une autre dimension, et c'est là qu'elle t'attend. Si tu es vraiment digne d'être un Chevalier Sacré d'Athéna et de porter l'armure, elle te reconnaîtra comme son possesseur et viendra à toi à travers les dimensions ! À présent, à toi de nous montrer si tu es un chevalier, Saga !

Saga prit une profonde inspiration et se prépara à intensifier son cosmos, mais la voix du Grand Pope retentit à nouveau.

- Un instant Saga. Où est ton frère ? Il devrait être là pour assister à l'épreuve ?
- Il est souffrant, Grand Pope. Saga s'agenouilla. Il m'a chargé de l'excuser de ne pouvoir être là.
- Bien. Relève-toi, Saga. Que l'épreuve commence !

Saga se releva et se campa sur ses jambes. Comme il l'avait fait la veille, il se concentra et fit monter son cosmos en puissance. L'aura bleue l'entoura à nouveau. Quand il sentit que sa puissance était suffisante, il étendit les bras devant lui et déclencha sa technique.

- Que s'ouvre une Autre Dimension !

L'air entre ses mains se mit alors à vibrer et onduler et le paysage se brouilla. Apparut alors un une sorte de trou noir qui devint rapidement très large. Ses bords mal définis fluctuaient et un vent violent soufflait vers l'intérieur de ce trou. Saga stabilisa l'ouverture et intensifia encore son cosmos.

Il sentit alors émaner du trou dimensionnel une vibration qui s'intensifia elle aussi, puis son œil accrocha un reflet doré de l'autre côté du passage. L'Armure ! Elle venait vers lui et s'approchait rapidement ! Elle jaillit du passage et se tint immobile au-dessus de Saga. Ce dernier maintint son cosmos à son niveau et referma le trou interdimensionnel qui disparut dans un flash de lumière.

Tous les gens présents dans l'arène restaient pétrifiés, n'osant prononcer un mot. Tous observaient l'Armure des Gémeaux. Soudain, dans une explosion lumineuse, l'armure se fragmenta et ses morceaux vinrent recouvrir le corps de Saga. Le nouveau Chevalier d'Or des Gémeaux pleurait presque de joie. Le Grand Pope prononça alors les paroles traditionnelles.

- Athéna a aujourd'hui admis Saga parmi ses chevaliers. Saga, ton armure est le gage de cette reconnaissance.

Au même moment l'armure se fragmenta à nouveau et se reconstitua dans les airs. La statue de métal qu'elle représentait vint se placer au-dessus de l'urne qui s'ouvrit, et s'y engouffra. Le couvercle de l'urne se referma aussitôt. Saga la mit sur ses épaules et s'apprêta à regagner la maison des Gémeaux, quand le Grand Pope l'interpella de nouveau.

- Il faut que je t'avertisse, Saga. Depuis l'Antiquité les Chevaliers ont protégé Athéna et défendu la justice. Cette armure ne peut être portée que pour défendre la justice, tu ne devras jamais t'en servir pour défendre tes intérêts personnels ! Si jamais tu ne suivais pas cette règle et que tu ternissais la splendeur de l'armure, alors les chevaliers sacrés surgiront de la Terre entière pour t'exécuter ! Ne l'oublie surtout pas.
- Je tâcherai de me montrer digne de l'honneur que me fait la Déesse, dit Saga. Je jure sur tout ce que j'ai de plus sacré de défendre la justice au péril de ma vie et de rester inflexible envers le mal !

L'assistance lui fit une ovation mais le Chevalier d'Or des Gémeaux resta de marbre. Le Grand Pope descendit alors de son estrade et le cortège se reforma et quitta l'arène en direction de l'escalier des douze maisons. Il attendit qu'ils soient suffisamment éloignés et il prit à son tour la direction de l'escalier.

Alors qu'il se rapprochait de la maison des Gémeaux, il ne put s'empêcher de penser à Canon. Depuis un an les disputes entre eux étaient devenues assez fréquentes et cela inquiétait Saga au plus haut point. Il avait du mal à croire que son frère ait put être aussi affecté par le drame qu'ils avaient vécu six ans plus tôt, lors de cette terrible nuit au cours de laquelle un séisme avait anéanti leur village et tué leurs parents… À cette pensée ses yeux se remplirent de larmes ; il avait souvent maudit le destin qui leur avait ôté Mélétos et Hestia.

Saga essuya ses larmes d'un revers de bras. Le passé était le passé ! Il fallait qu'il reste fort, fort et inflexible ! Ce n'était pas en se replongeant dans les scènes du passé qu'il y parviendrait ! Sa colère lui décupla ses forces, de sorte qu'il arriva à la maison des Gémeaux plus vite que d'habitude.
Il déposa l'urne de l'Armure d'Or sur son piédestal dans la salle principale du temple. Il resta debout à la regarder pendant un long moment. Ses pensées s'entrechoquaient dans sa tête. Il était devenu Chevalier d'Or, défenseur de la justice et de la Déesse Athéna. Canon incarnait le mal et il aurait dû le tuer comme il avait juré de le faire ; mais Canon était son frère, sa seule famille… Il essaierait d'abord de le soigner, et il ne le tuerait que s'il échouait.

- Exactement, fit une voix. Saga sursauta. Il n'y avait pourtant personne dans le temple à part lui et Canon !
- Qui a parlé ? Où êtes-vous ? Seul le silence lui répondit. La voix avait un ton étrange… presque familier. Mais malgré cela il lui était impossible de mettre un nom dessus. Saga savait qu'à part lui et son frère le temple était désert… mais il regardait autour de lui, mal à l'aise. Ses yeux ne rencontrèrent rien. Rien du tout. Il se tourna en direction de la chambre, dont la porte était toujours barrée par le bouclier d'énergie miroitant.

Saga jeta un œil à l'intérieur de la chambre, Canon était toujours évanoui et ne pouvait pas avoir prononcé ces étranges paroles. Alors qui ?

- Moi, bien sûr. Encore ! La voix mystérieuse semblait sortir du néant. On aurait dit que l'interlocuteur invisible prenait un malin plaisir à faire tourner Saga en bourrique !
- Où êtes-vous ?
- Tout près de toi, cher ami.
- Où ? Saga se retourna brusquement, il n'y avait personne ! Son sixième sens en alerte ne décelait aucune présence dans le temple. Celui qui lui adressait la parole ne pouvait pas se trouver dans la maison, et pourtant il devait y être ! Oui, il devait s'y trouver d'une manière ou d'une autre. D'ailleurs cela n'avait rien d'un appel télépathique, pour la bonne raison qu'aucun télépathe ne se serait amusé ainsi. Saga écarquilla les yeux, il commençait à comprendre ! Si l'homme était dans le temple sans qu'il parvienne à le localiser, cela voulait dire qu'il ne pouvait se cacher qu'en un seul endroit. Cet endroit, c'était… Non ! C'était impossible !
- Pourquoi donc ? Si c'est la seule solution, c'est forcément la bonne, pour incroyable qu'elle paraisse !
- Alors c'est donc ça ! Tu ne peux être nulle part puisque tu es dans ma tête !
- Exact ! Il t'a fallut du temps pour le comprendre. Saga ne releva pas la pique. Je suis dans ta tête !
- Qui es-tu ?
- Voyons mon cher, cela coule de source ! Qui puis-je être d'autre si je suis dans ta tête, ou plus exactement dans ton esprit ? Je suis toi, bien sûr !
- Arrête de te moquer de moi ! Tu es peut-être dans mon esprit mais tu n'es pas moi !
- Vraiment ? Qui es-tu donc ?
- Je suis Saga, Chevalier d'Or de la Déesse Athéna sous le signe des Gémeaux !
- Bien sûr, mais ce n'est pas de cela que je parlais.
- Quoi alors ? Saga commençait à perdre patience.
- Tu ne devines pas ? Bien, je vais te le dire. Je suis la face cachée de ton âme !
- Je vois… Et que veux-tu ? Car je suppose que tu ne t'es pas adressé à moi sans motif précis.
- Tu supposes juste ! Mais tu n'as pas à t'inquiéter, je peux te l'assurer.
- Arrête de tourner autour du pot, et dis-moi ce que tu veux !
- Holà ! Tout doux, Chevalier d'Or ! Je veux seulement t'aider…
- M'aider ? Pff… Crois-tu que moi, j'ai besoin d'aide ?
- Naturellement. Tu es encore jeune et inexpérimenté, bouillant Chevalier d'Or ! Ton courage et ta fougue n'ont d'égale que ta grandeur d'âme, laquelle te destine d'ailleurs à un grand destin.
- Vraiment ? Qu'essaies-tu de me faire croire ?
- Rien d'autre que la vérité, Saga. Le Grand Pope est bien vieux, tu sais…
- Et alors ? Où veux-tu en venir ?
- A ceci : quand tous les Chevaliers d'Or auront été recrutés et entraînés, le Grand Pope choisira son successeur parmi eux, et tu es le candidat idéal pour assumer cette fonction ! C'est pour cela que tu auras besoin de mon aide.
- Tu parles sérieusement là ? Saga avait du mal à en croire ses oreilles.
- Bien sûr ! Mais il faudra que tu sois très prudent sinon un autre sera désigné à ta place. Or je te le répète : nul autre que toi n'est digne de la charge de Grand Pope !
- On verra bien. En attendant, tu as intérêt à te tenir tranquille ! Je ne veux absolument pas que tu me déranges !
- D'accord, d'accord ! Je serai aussi silencieux qu'un serpent… Profite bien de ta nouvelle vie jusque-là. Hé ! Hé…

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Cette fiction est copyright Eric Souty.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.