Chapitre 3 : L'épreuve d'Athéna


Pendant plusieurs heures, j'ai couru à la recherche de Yoko à travers les forêts de Rozan. Après que je l'eus surprise malencontreusement dans la rivière, elle avait saisi ses vêtements et s'était enfuie à toutes jambes et en pleurant. J'étais effondré par ce que je venais de faire malgré moi, et par ce secret qu'elle m'avait caché, à moi comme à maître Anatol, durant ces quatre années passées ensemble. Ce jour qui devait être le plus beau de notre vie à tous les deux venait de prendre des allures de drame. Comment réparer cette erreur ? Il fallait que je retrouve Yoko à tous prix pour parler de ce secret, elle devait exorciser le mal, qui n'en était pas un d'ailleurs. Non, je ne comprenais vraiment pas. Je pensais connaître Yoko comme personne depuis toutes ces années, ne plus pouvoir être surpris par elle, et j'ignorais jusqu'à son identité sexuelle…

Fatigué par mes heures de course, je décidai d'interrompre pour l'instant mes recherches et de prendre conseil auprès de maître Anatol. La nuit était tombée sur Rozan et, dans le ciel, les étoiles de la constellation du Dragon semblaient briller comme jamais. Je retrouvai mon maître qui méditait auprès de la cascade, et qui tardait à aller se coucher, comme s'il était resté pour m'attendre.

- Maître Anatol ! Où est Yoko ?
- Elle est rentrée dans la cabane, ne t'inquiètes pas, Doko. Ce n'est pas facile pour elle ; je pense que tu peux maintenant aller lui parler. Dis-lui ensuite de me rejoindre, je lui dois quelque chose depuis votre combat…
- Mais alors…vous savez tout ?
- Oui, je le savais depuis le début, mon fils. Et ce bien qu'elle ne m'en ait jamais parlé, à moi non plus…il y a beaucoup de signes qui ne trompent pas chez une femme. Tu aurais dû être plus observateur…

Je courus, encore plus vite qu'avant, jusqu'à la cabane qui nous servait de logis. J'entrai d'un pas hésitant, embarrassé à l'idée de reparler de ce qui s'était passé, mais il le fallait. Yoko était allongée sur son lit, et ne dormait pas, regardant fixement le plafond d'un air livide.

- Yoko ?

Elle ne répondit pas.

- Yoko !

Je décidai de m'approcher d'elle. Elle se releva alors et se tourna vers moi, les yeux encore embués de larmes.

- Doko, je suis désolée ! Pardonne-moi !
- Mais te pardonner quoi ? Je cherche seulement à comprendre, Yoko. Pourquoi ? Pourquoi ces quatre années de silence à ce sujet ?
- Un homme ne peut pas comprendre ce pourquoi !
- Mais, que racontes-tu ? Explique-toi !
- Très bien, si tu y tiens vraiment, écoutes donc mon histoire.

Et Yoko me raconta alors une histoire terrible, la sienne. Celle d'une enfant, une fille unique orpheline de mère très tôt, et que son père avait rejetée pour son " inutilité ", comme il le disait lui-même. Un père fort et vigoureux physiquement, bûcheron de son état, obsédé par sa succession, qui avait honte de sa fille, ou plutôt du seul enfant que les dieux lui avaient donné, et qui maudissait ces mêmes dieux de ne pas lui avoir plutôt donné un fils. Au fil des années, il avait traité Yoko de plus en plus durement, ne s'occupant pas d'elle et la laissant livrée à elle-même pour se nourrir et trouver par elle-même de quoi subsister. Plus d'une fois, Yoko avait manqué d'y laisser la vie et son père se disait qu'après tout, elle pouvait très bien se débrouiller seule. Une haine mutuelle et réciproque s'installa entre eux et grandit de jour en jour, et força Yoko à s'endurcir pour subsister. Un jour, alors qu'elle devait avoir huit ou neuf ans, ce père détesté perdit la vie écrasé par la chute d'un arbre qu'il avait lui-même abattu. Le soir de ce jour-là, Yoko avait alors décidé de se couper les cheveux et de renoncer à jamais à son identité même de femme. Se battre et devenir la plus forte, ou plutôt le plus fort, était devenu sa seule raison de vivre. Finalement, au fil des années, elle avait fini par apprécier cette condition d'être humain livré à lui-même, et en avait fait une force qui l'avait poussé à se battre et à s'entraîner sans relâche pour ne plus dépendre de personne.

- Il est bien difficile d'être une femme, de nos jours, Doko. Tu ne peux pas comprendre. Depuis ce temps-là, j'ai nourri le désir de devenir un chevalier pour combattre le mal sous toutes ses formes, mais le monde de mâles dans lequel je vis m'en a toujours empêché, me l'a toujours interdit. Les femmes n'ont pas leur place dans ce monde, elles ne peuvent qu'enfanter et leur vie ne se limite qu'à cela. Moi, j'ai rêvé d'un autre type d'existence, fait de liberté et d'indépendance, où je pourrais moi-même donner à cette existence le sens que je désire. Et cela ne m'aurait pas été possible si j'avais gardé mon identité de femme. C'est tout, Doko.
- Mais, Yoko ! Crois-tu que je t'aurais déconsidérée si j'avais eu connaissance de cela dès le début ? Pourquoi une femme n'aurait-elle pas le droit de se battre aux côtés des hommes qui ont pour mission de protéger la terre du mal qui la ronge ? Tu m'as montré par ta bravoure, durant ces quatre années passées ensemble, que tu étais mon égale, et seule une poignée de malchance t'a empêché de me vaincre aujourd'hui. Tu dois être fière d'être une femme, et ne surtout pas le renier. La déesse Athéna n'est-elle pas elle-même une femme ?
- Il a raison, Yoko, fit une voix familière qui n'était autre qu'Aritaki le samouraï, qui venait d'entrer dans la Cabane. Si tu veux défendre la justice sur terre comme Doko, tu dois oublier jusqu'au fait que tu es une femme. Tu auras ta place au Sanctuaire d'Athéna parmi les autres chevaliers, j'en suis convaincu. Ton pouvoir est plus grand que celui du commun des mortels, et le fait que tu sois femme ne t'as pas empêché, durant toutes ces années, de développer ta cosmo-énergie à un niveau prodigieux !

Aritaki parlait ainsi à Yoko alors qu'il ne la connaissait que très peu. De ses quelques semaines passées à Rozan, il n'avait eu pratiquement que ma seule présence pour compagnie, une certaine timidité l'empêchant de nouer le contact avec Yoko et maître Anatol. Il avait l'habitude de se faire très discret et, d'ailleurs, lors de mon combat contre Yoko quelques heures auparavant, je sais, pour avoir senti sa présence, qu'il s'était caché près d'une montagne et nous regardait de loin, sans se rapprocher. Je ne lui avait toutefois pas encore montré l'armure de bronze du Dragon, que j'avais rangée dans son urne après avoir surpris Yoko dans la rivière. Je savais combien il était curieux de me voir la revêtir, et je comptais bien lui faire cet honneur dans un avenir proche.

- Assez de lamentations, Yoko ! Ressaisis-toi ! Osai-je alors lui dire. Toi aussi, tu es désormais un chevalier d'Athéna ; tu as atteint le but que tu t'étais fixée ! Maître Anatol t'attend depuis tout à l'heure à côté de la grande cascade de Rozan. Ne le fais pas attendre !

Yoko mit un certain temps pour réagir, et nous dûmes discuter encore un long moment avec elle, Aritaki et moi, pour la décider à aller rejoindre maître Anatol. J'avoue que je ne savais quelle était l'exacte réalité de la condition des femmes chevaliers au sanctuaire d'Athéna. Je savais qu'il y en avait quelques-unes et que le cas de Yoko n'était pas isolé. Mais Yoko avait en partie, hélas, raison. En l'an de grâce 1742 où nous vivions, être une femme n'était pas chose aisée, surtout pour une qui, comme Yoko, nourrissait d'autres désirs que celui d'accomplir une vie d'épouse et de mère de famille. Mais elle se décida enfin, et alla rejoindre maître Anatol.

- Je n'ai pas encore eu l'occasion de te féliciter, mon ami, me fit Aritaki, alors qu'il ne restait maintenant plus que nous deux dans la cabane.
- Tu as assisté à notre combat, n'est-ce pas ? J'ai senti ta présence près de la grande cascade de Rozan.
- Oui, c'est exact, j'étais là, Doko. Ainsi tu es désormais un chevalier d'Athéna, et tu vas combattre la justice ! Ton armure du Dragon est merveilleuse, je n'ai jamais rien vu d'une telle beauté.
- Tu l'as donc vue aussi ? Mais, dis-moi, passes-tu donc ton temps à m'espionner ? Lui répondis-je en plaisantant.
- Tu ne peux savoir à quel point je t'admire, Doko. Avant d'arriver ici par hasard, il y a quelques semaines, je ne pouvais imaginer qu'une telle chose, qu'une telle force existait. La force ultime au monde me paraissait être celle des samouraï, notre caste toute dévouée au shogun et à notre divin Empereur le mikado. Mais que suis-je, que sommes-nous face à vous…votre tâche est ingrate, car le monde entier ignore jusqu'à votre existence et vous n'avez pas la moindre reconnaissance d'une humanité que vous êtes prêt à défendre au péril de votre vie.
- Il en est ainsi, Aritaki, lui répondis-je. Je suis né pour me battre auprès de la déesse Athéna et pour défendre cette terre du mal qui la ronge. Tel est mon destin, et, aussi dur soit-il, je l'ai accepté depuis des années. Moi et Yoko, tout comme le fut maître Anatol en son temps, sommes nés pour accomplir ce destin. Bientôt, les forces du mal rejailliront de l'ombre et tenteront de prendre le contrôle de la terre, comme elles le font cycliquement depuis les temps les plus reculés. C'est pour cette raison que la déesse Athéna s'est réincarnée sur terre, et pour cette raison que nous autres chevaliers d'Athéna sommes nés, sous une étoile protectrice, sous une constellation qui guide nos pas en chaque instant. Regarde le ciel. Vois-tu comme brille la constellation du Dragon ? C'est elle qui me protège et qui me protègera à l'avenir lors de tous les combats que j'aurai à mener. Les dieux seuls savent si je n'y laisserai pas la vie…
- Il y a toutefois quelque chose qui m'intrigue dans ce que tu racontes, Doko, fit un Aritaki dubitatif, lorsque tu parles de ce destin qui t'a fait chevalier. Je voudrais te montrer quelque chose, si tu le veux bien.

Je ne comprenais pas de quoi il voulait parler. Il me fit sortir de la cabane et nous en éloignâmes de quelques centaines de mètres, sous ce ciel étoilé magnifique que je ne me lassais pas de contempler. Aritaki m'emmena jusqu'à une petite montagne de cailloux d'où l'on pouvait contempler Rozan et, au loin ,la grande cascade. Il me fit signe de m'arrêter.

- Et maintenant, Aritaki ? Que voulais-tu me montrer ?
- Regarde bien, Doko.

Aritaki ferma les yeux et serra très fort son poing droit en ramenant son bras vers lui. Il se concentra très fort et, au bout de quelques instants, leva le poing en direction du sol rocheux sur lequel nous nous trouvions. Je n'osais comprendre. Il essayait de m'imiter à briser la roche ? Il allait pour sûr se briser le poignet s'il tentait une telle chose. Avant que je n'aie eu le temps de le dissuader de ce qu'il allait faire, il dirigea son poing à toute vitesse en direction de la roche et cria un grand coup. Il releva le poing sans une égratignure, sûr de ce qu'il venait de faire. Je n'étais pas aussi optimiste que lui.

Pourtant, au bout de quelques instants, la roche se fissura et éclata en des milliers de petits cailloux, pulvérisée. Un cratère de près de trois mètres de diamètre et d'un de profondeur se forma ! ! Je n'en revenais pas.

- Ca alors, Aritaki ! ! Mais…comment ? Comment as-tu pu acquérir la connaissance du cosmos ?
- Que crois-tu que j'ai fait, Doko, pendant ces quelques semaines passées ici, à Rozan ? Je n'ai pas fait que travailler dans les rizières.
- Mais je pensais que seuls les chevaliers pouvaient maîtriser ce pouvoir !
- Et pourtant…regarde ces étoiles qui brillent, dans le ciel, Doko. Exactement comme la constellation du Dragon.

Il avait raison ! Un groupe d'une douzaine d'étoiles brillaient prodigieusement, comme si Aritaki les avait appelées. Mais ce samouraï qui était arrivé à Rozan par hasard, quelques semaines plus tôt, et que rien ne prédestinait à venir ici et à me rencontrer…c'est alors que je compris tout. Ce n'était pas un hasard. Le destin d'Aritaki était de me rencontrer, de découvrir l'existence des chevaliers d'Athéna…et d'en devenir un à son tour.
Je ne savais comment, mais il allait le devenir tôt ou tard, son destin était maintenant tout tracé. Grâce à ces étoiles qui brillaient pour lui dans le ciel. Ce n'était pas Aritaki qui les appelait, c'était elles qui l'appelaient.

La constellation de Pégase.

***

- Maître Anatol ! Pardonnez-moi pour mon retard !
- Ne t'en fais pas, ma fille, tu es pardonnée. Et pour tout le reste aussi…tu avais des raisons valables.
- Comment m'avez-vous appelée ? ? Vous saviez tout, depuis le début ?
- Tu pensais pouvoir tromper le vieux Anatol durant ces quatre années passées ici ? Je suis peut-être vieux et ne suis plus le combattant que j'ai été jadis, mais mes sens ne peuvent me tromper !…Tu dois maintenant accepter le destin que les dieux ont tracés pour toi, Yoko…tu es femme et tu le resteras, même une fois chevalier d'Athéna. Cela ne t'empêchera nullement d'être l'égale des hommes et d'accomplir la mission qui t'attend.

Yoko, tout comme Doko, buvait littéralement les paroles du vieux Anatol. L'âge lui avait donné une autorité naturelle telle que personne n'aurait osé contredire la moindre de ses paroles. Yoko acquiesça.

- Assez parlé, maintenant. Doko a en ce jour remporté le combat que vous avez mené pour l'armure du Dragon. Ce qui ne signifie d'aucune manière que tu n'as pas mérité de devenir, toi aussi, un chevalier d'Athéna. Simplement, c'est une autre protection qui t'accompagnera dans ta nouvelle existence. Regarde bien.

D'un geste du bras droit, le vieux Anatol fit remuer le fond de l'eau de la grande cascade de Rozan, et une gigantesque boule de lumière jaillit de l'eau, et irradia tous les alentours, éblouissant Yoko et rendant au ciel l'éclat du jour durant quelques secondes. Lorsque Yoko rouvrit les yeux, elle vit une forme orange et blanche se poser devant elle. Plusieurs pièces assemblées formaient un animal qu'elle identifia vite comme étant un tigre sacré. Une nouvelle lumière jaillit de cet assemblage et les pièces se détachèrent d'elles-mêmes pour venir se fixer solidement et harmonieusement contre les différentes parties du corps de Yoko, de ses pieds à ses cheveux. Maître Anatol lui sourit.

- Désormais, Yoko, tu es le chevalier de bronze du Tigre, au service d'Athéna. Comme tu peux le voir, l'armure t'a acceptée et reconnue comme son légitime porteur.

Yoko ne prononça pas un mot pendant quelques instants, intimidée par cette armure qu'elle venait de revêtir et qu'elle sentait vibrer d'une force et d'une puissance indicible.

- Comme Doko, j'ai donc une constellation protectrice dans le ciel, maître Anatol ?
- Pas tout à fait, Yoko. L'armure de bronze du Tigre est un peu particulière parmi les armures des chevaliers d'Athéna. Elle ne fait pas partie des 88 armures correspondant aux constellations du ciel, pour la simple raison qu'il n'existe pas de constellation du Tigre.
- Comment ? Mais alors, quelle est cette place ?
- Comme je te l'ai expliqué durant ton combat contre Doko, le tigre et le dragon sont les deux animaux les plus puissants dans la mythologie chinoise, et sont étroitement liés. L'armure de bronze du Tigre est indissociable de celle du Dragon, elle est un peu comme sa sœur jumelle, bien que chacune ait ses propres caractéristiques. Depuis la nuit des temps, c'est à Rozan qu'elles reposent toutes les deux et que les différents chevaliers qui les ont portées les ont conquises à chaque génération. Aussi, toi et Doko possédez maintenant avec ces armures un pouvoir particulier, celui d'unir vos cosmos et de les faire fusionner en une seule et même attaque. Vous parviendrez sans doute un jour à la connaissance de ce pouvoir, lorsque vous combattrez ensemble…C'est un pouvoir unique, que seuls possèdent les chevaliers du Tigre et du Dragon, et tu ne devras jamais oublier cela à l'avenir, car ce pouvoir te sauvera peut-être la vie un jour.
- Un pouvoir unique…mais quel est-il ?
- Je ne peux te le révéler, Yoko, c'est uniquement en toi et en Doko que se trouve la réponse. Tâche de le prévenir, dès que tu le reverras. A présent, ma fille, va te reposer, tu l'as bien mérité.

Elle obéit et ne resta pas davantage auprès du vieux Anatol.

***

Le lendemain ,alors que nous devions en principe nous apprêter à repartir pour cette lointaine contrée de Grèce, Yoko et moi, maître Anatol tomba gravement malade. Dès le début de la journée, il ne se sentait pas bien et son mal empira au fil des heures. Rien pourtant ne pouvait permettre de donner un nom à ce mal mystérieux et encore moins de trouver comment le soigner. C'était à peine croyable car, en ses deux siècles d'existence, maître Anatol, et il nous l'avait dit lui-même, n'avait jamais souffert du moindre mal. Il n'y avait malheureusement pas le moindre médecin dans les environs de Rozan, tant cet endroit était reculé, et nous ne pûmes qu'assister impuissants, Yoko et moi, à la propagation du mal. Nous avions allongé maître Anatol dans son lit et le veillions avec l'espoir qu'il ne s'agisse que d'un mal passager. Je fus toutefois bien surpris par l'expression de son visage, qui dégageait une sérénité quasi irréelle en de pareilles circonstances. Comme si maître Anatol savait qu'il allait tomber malade et qu'il se préparait depuis longtemps à cette éventualité. Au fur et à mesure que je réfléchissais, je réalisai que notre vieux maître était tombé subitement malade le lendemain même du jour qui nous avait vu devenir chevaliers, Yoko et moi. Une coïncidence trop troublante pour en être une. C'est alors que je compris ce que cela signifiait. La volonté de la déesse Athéna.

- Mes enfants, Doko et Yoko, nous adressa maître Anatol d'un sourire chaleureux, je suis fier de vous. Vous êtes désormais des chevaliers d'Athéna, et allez me succéder dans le combat que vous allez bientôt devoir mener.
- Maître Anatol, je ne comprend pas. Hier soir encore, vous vous portiez comme un charme et aujourd'hui, subitement, un mal vous ronge ! Que signifie ce mal mystérieux que nous ne parvenons même pas à identifier ?
- Tout simplement, répondit-il, que mon existence arrive à son terme, Doko.
- Comment ? ? Que dîtes-vous ? Je ne peux le croire !
- Je pense que vous avez tous deux compris le pourquoi du comment, mes enfants. Je savais que mon existence prendrait fin le jour où vous endosseriez les armures pour lesquelles vous vous êtes entraînés si durement durant ces quatre années…

Une grande émotion nous envahit, Yoko et moi. Dans un coin de la salle se trouvait également Aritaki qui, en raison des circonstances, s'était permis de venir au chevet de maître Anatol.

… Ma mission était d'attendre l'arrivée de la nouvelle génération de chevaliers et de la former pour la nouvelle guerre sainte qui se prépare, continua maître Anatol. C'est pour cette seule et unique raison que la déesse Athéna m'a prêté vie jusqu'à aujourd'hui, et, maintenant que j'ai accompli ma mission et que la relève est assurée, je peux mourir en paix…

Des larmes coulaient sur les joues de Yoko, celles d'Aritaki et bientôt les miennes également.

- Ne soyez pas tristes, mes enfants. J'ai bien vécu durant toutes ces années et je n'ai pas à regretter la vie que j'ai menée. Tâchez à l'avenir de suivre mon exemple et de mettre en pratique tous les préceptes que j'ai tenté de vous inculquer ; soyez mes dignes successeurs. De là où je serai, je continuerai à veiller sur vous et vous sentirez ma présence près de vous lors des moments les plus difficiles. Je vous le promets. Et, un jour, peut-être plus tôt que vous le pensez, nous nous retrouverons, tous ensemble…

***

Maître Anatol mourut dans la nuit qui suivit. Nous le pleurâmes un long moment, Yoko, Aritaki et moi, avant de nous décider à en faire notre deuil et à lui offrir une tombe près de la grande cascade de Rozan où il avait passé tant de temps à méditer dans sa solitude. Ainsi en allait-il de la volonté d'Athéna. Je savais qu'il y avait onze autres survivants de la dernière grande guerre qui avait opposé Athéna au mal il y a deux siècles de cela, et je me demandais si leur mission et leur rôle avait été le même que celui de maître Anatol.

Parmi ces onze personnes, il y avait avant tout le Grand Pope du Sanctuaire d'Athéna, Ivan, que nous devions maintenant retrouver. Notre entraînement désormais terminé et nos armures de chevalier conquises, il nous fallait regagner le Sanctuaire au plus vite. Nous partîmes, Yoko et moi, nos armures sur le dos, et je décidai d'emmener avec nous Aritaki, qui souhaitait plus que jamais devenir comme nous un chevalier d'Athéna. Il était sans doute un peu audacieux d'imposer sans prévenir un homme au Sanctuaire, le Grand Pope seul ayant seule autorité pour décider de qui devait ou non devenir chevalier, mais je ne voulus pas décevoir Aritaki, d'autant plus que j'avais bel et bien senti en lui, l'autre jour, la force du cosmos s'éveiller en lui.

C'est ainsi que, après une longue route à dos d'âne jusqu'à la mer, nous embarquâmes tous les trois sur un bateau à destination de cette lointaine contrée ottomane qui avait pour nom la Grèce. On disait que c'était là autrefois le centre du monde, lors des premières guerres qu'Athéna avait eu à mener contre ses ennemis, et que se trouvait à Athènes un Sanctuaire imparable dans la montagne, qui protégeait le Grand Pope et la déesse. Lors de notre première visite il y a quatre ans, Yoko et moi, ainsi que les autres futurs chevaliers, avions été reçus dans la plus grande discrétion dans un bâtiment annexe au véritable palais du Grand Pope, et n'avions pas eu le droit de voir de nos yeux la plus grande partie du Sanctuaire d'Athéna ; une telle chose n'était permise qu'aux chevaliers une fois leur armure acquise, et encore, après en avoir eu l'autorisation. Ce qui était le cas pour nous. Après être arrivés au pied de la montagne en question, nous fûmes accueillis par des gardes qui nous firent monter pas à pas un gigantesque escalier entrecoupé par douze temples correspondant aux douze signes du zodiaques et à leurs protecteurs, l'élite de la chevalerie, les douze chevaliers d'or. Nous n'eûmes même pas le droit de rencontrer ces derniers et Aritaki, étant parfaitement inconnu ici, dut rester en bas attendre que nous revenions. Quelle solennité ! Avec de telles mesures de sécurité, le Sanctuaire d'Athéna était on ne peut mieux protégé.
Après avoir franchi le douzième et dernier temple, nous fûmes enfin accueillis par le Grand Pope et par son émissaire Baruch.

- Grand Pope, annonça ce dernier, voici deux nouveaux chevaliers, Yoko du Tigre et Doko du Dragon.
- Très bien fais-les entrer, Baruch.

Dans la salle, outre le Grand Pope et Baruch, se trouvaient également cinq autres jeunes chevaliers, venant juste d'arriver eux aussi. Leurs armures de diverses couleurs scintillaient comme les nôtres d'un éclat magnifique. Vraiment, j'étais fier d'être un chevalier d'Athéna.

- Je vous souhaite la bienvenue à vous sept, chevaliers, fit le Grand Pope. Vous venez tous d'achever avec succès votre entraînement après plusieurs années faites de durs sacrifices, et de conquérir les armures que vous portez aujourd'hui. Avant toute chose, je voudrais que vous vous présentiez tous, un par un.
- Je suis Alphéa, chevalier de bronze de la Colombe.
- Onyx, chevalier de bronze de la Boussole.
- Adam, chevalier d'argent de l'Horloge.
- Neil, chevalier de bronze du Lynx.
- Arcturus, chevalier d'argent d'Orion.
- Doko, chevalier de bronze du Dragon.
- Yoko, chevalier de bronze du Tigre.
- Bien, reprit le Grand Pope après ces brèves présentations. Jurez-vous maintenant solennellement, devant la déesse Athéna, que vous combattrez toujours pour le bien et la justice sur terre, et que vous serez prêts à donner votre vie pour cette cause ?
- Nous le jurons, répondîmes-nous tous en cœur.
- Dans ce cas, la déesse Athéna va maintenant vous recevoir.

Dans le fond de la salle, derrière le trône du Grand Pope, deux simples soldats de garde, qui se trouvaient devant un épais rideau rouge, tirèrent sur celui-ci pour l'entrouvrir et laisser entrer une jeune femme d'une quinzaine d'années. Je ne revins pas de ce que je vis ; j'eus du mal à me rappeler de l'enfant que je vis il y a quatre ans à ma première venue. Une telle beauté m'éberluait. Ses cheveux châtain longs et soyeux lui tombaient jusqu'au bas du dos. Ses yeux bleus d'un azur profond exprimaient une douceur infinie, et ses petites joues roses faisait ressortir la fraîcheur de sa jeunesse. Une chaleur indicible l'enveloppait et irradiait les parages de la même manière que le cosmos d'un chevalier. Il n'y avait aucun doute possible, cette femme était bel et bien la déesse Athéna !

- Jeunes chevaliers, dit-elle, je vous félicite pour les pénibles épreuves que vous avez surmontées avec succès durant ces longues années. Mais sachez ce que vous avez subi jusqu'ici n'est rien en comparaison des terribles combats qui nous attendent bientôt. Vous savez que le mal va renaître et tenter de s'attaquer à la terre que nous devons protéger et qu'une terrible bataille risque d'avoir lieu; c'est pour cette raison que nous avons tous pris vie à cette époque. Mais nous ne savons nullement quand cette résurrection aura lieu. Même moi, Athéna, je l'ignore. C'est pourquoi j'ai pris la décision de vous faire subir une épreuve qui permettra de connaître les plus méritants parmi tous les chevaliers du Sanctuaire. Ce sera l'Epreuve d'Athéna.
- L'Epreuve d'Athéna ? Firent-nous tous en chœur, un peu étonné par cette décision. Je tentai de deviner par moi-même en quoi consisterait une telle épreuve, et je devinai très vite qu'il ne pourrait s'agir d'autre chose que d'un combat qui nous opposerait tous pacifiquement entre nous.
- Cette Epreuve a parfois été pratiquée par le passé, et il s'est souvent avéré qu'elle était un moyen de forcer notre ennemi à sortir de l'ombre et à se manifester. C'est encore une fois ce que j'attend d'un tel événement, en espérant que cet ennemi tombe dans le piège que nous lui aurons tendu et que nous pourrons alors l'étouffer de l'intérieur. C'est ainsi que s'est déroulée la dernière Guerre Sainte, comme le Grand Pope ici présent pourrait en témoigner. Je vais vous expliquer en quoi cette Epreuve va consister...

Il y eut un moment de silence d'un solennité pesante. Personne n'osait prendre la parole dans la salle.

- …Vous êtes tous ici des chevaliers de bronze ou d'argent, qui avez conquis vos armures au terme de longues et éprouvantes années d'entraînement, et qui font de vous des hommes aux pouvoirs quasi surhumains. Mais il existe un groupe de chevaliers dont le pouvoir est bien supérieur au votre et dépasse tout ce que vous pouvez imaginer. Certains d'entre vous, comme les chevaliers de l'Horloge et du Lynx ici présents, les connaissent pour avoir eu l'honneur d'être leurs élèves et apprentis. Ils ont pour mission de protéger les douze temples qui précèdent la chambre sacrée du Grand Pope où nous nous trouvons. Ce sont les douze chevaliers d'or des signes du zodiaque…

Les chevaliers d'or ! Un frémissement m'envahit rien qu'en entendant leur nom. L'élite de la chevalerie…les rencontrer était un honneur, même pour nous autres chevaliers de bronze et d'argent, car ils ne se montraient que rarement, uniquement lorsque la situation l'exigeait.

- …Les douze temples du zodiaque, tous protégés par un gardien, sont l'ultime rempart du sanctuaire, qui font de la chambre du Grand Pope une citadelle imprenable pour le commun des mortels, et même pour notre ennemi. Seulement, avec l'Epreuve d'Athéna, vous allez avoir l'occasion de pouvoir le vérifier par vous-mêmes. Vous allez tous vous lancer à l'assaut des douze maisons, depuis la toute première, et tenter de les franchir en affrontant leurs gardiens, les chevaliers d'or. Bien sûr, ces derniers ne se battront pas au maximum de leur force, sans quoi il vous serait impossible de parvenir ne serait-ce que jusqu'à la deuxième maison. Ce combat se veut pacifique, et il n'est pas question une seule seconde de vous entretuer. Il s'agit seulement de déterminer, par votre courage et votre volonté de repousser vos limites, quels sont les chevaliers les plus vaillants d'entre vous, qui auront la tâche de m'entourer personnellement lors de la bataille que nous allons bientôt mener. Les chevaliers d'or sauront vous récompenser et vous permettre peut-être de franchir leur maison, si vous vous montrez à la hauteur. Mais, je tiens à ne pas vous donner de faux espoirs ; seuls une poignée d'entre vous y parviendra, et ce ne seront pas forcément les chevaliers d'argent, qui font pourtant partie du groupe de chevaliers intermédiaire…

Autrement dit, me dis-je alors, la récompense suprême de cette Epreuve d'Athéna était de rejoindre la garde personnelle de la déesse, en quelque sorte. Alors que d'autre chevaliers, dont Yoko, semblaient paniqués à l'idée d'affronter des adversaires aux pouvoirs dépassant l'entendement, l'enjeu m'excitait. J'allais enfin affronter des adversaires bien plus fort que moi, et voir ce qu'était la puissance de ceux que, depuis quatre ans, je n'avais pu qu'admirer en pensée, sans jamais les rencontrer !

- …Le combat, reprit Athéna, serait inégal si vous vous lanciez seuls à l'assaut des douze maisons, c'est pourquoi vous serez trois à participer à l'Epreuve à chaque fois, à raison d'une tentative par jour, et, à partir de là, advienne que pourra. Il y a actuellement cinquante-quatre chevaliers détenteurs d'une armure qui ont rallié le sanctuaire, chevaliers d'or compris. Avec vous sept, ce chiffre est porté à soixante et un, et d'autres chevaliers sont encore attendus dans les jours, voire les semaines à venir. Dès demain, l'Epreuve commencera et un premier groupe de trois chevaliers tentera le combat. D'après mes informations, il s'agit des chevaliers de bronze d'Andromède, de la Table et de la Chevelure de Bérénice. Quelqu'un a t-il maintenant une objection ou une requête à formuler ?

C'était le moment tant attendu de parler à la déesse et au Grand Pope de nos problèmes personnels. Je devais m'entretenir avec eux au sujet d'Aritaki, et Yoko, de son côté, avait un lourd secret à révéler…C'est elle qui se décida la première.

- Déesse Athéna, fit Yoko, je dois m'entretenir avec vous.
- Parle, chevalier du Tigre, n'aie crainte. De quoi veux-tu me parler ?
- C'est que…Athéna, dit-elle d'une voix sanglotante, je voudrais…je voudrais implorer votre pardon, pour une faute, ou plutôt un mensonge, que j'ai entretenu pendant mes quatre années d'entraînement.

Je devinais que son cœur battait à se rompre, à l'idée d'avouer ce qu'elle pensait être une faute grave. Je savais qu'il n'en était rien.

- Déesse Athéna, pardonnez-moi, fit-elle alors que de petites larmes commençaient à couler de ses yeux. Je me suis faite passer, pendant tout ce temps, pour l'homme que…que je n'étais pas.
- Et pour quelle raison, chevalier du Tigre ?
- C'est que…la raison en est personnelle, et je voudrais m'entretenir seule à seule avec la déesse, si vous me le permettez.

Je trouvais cette requête audacieuse, mais je fus bien surpris quand je vis Athéna esquisser un sourire et accepter d'entendre seule la confidence de Yoko. Tandis que les deux jeunes femmes s'isolaient dans un coin de la pièce, je poursuivis avec ma propre requête.

- Grand Pope, fis-je, j'ai moi aussi une requête à vous formuler.
- Je t'écoute, chevalier du Dragon.
- Durant mon entraînement dans les terres sacrées de Rozan, dans l'Empire de Chine, j'ai rencontré un homme du nom d'Aritaki qui était originaire de l'Empire voisin du Soleil Levant. Il était un samouraï au service du mikado Empereur, et fuyait l'Empire à la suite d'une rébellion. Il a assisté à mon entraînement et a développé par lui-même la connaissance de son cosmos, sans que personne ne l'y ait initié. Devant un tel exploit, j'ai donc pensé que…
- Que cet homme pourrait rejoindre nos rangs, n'est-ce pas ?

J'étais plus qu'étonné par une telle spontanéité. Je me demandais comment le Grand Pope allait prendre cette requête, qui ne manquait pas d'impertinence. C'est Baruch qui prit alors la parole.

- L'Empire du Soleil Levant est, il est vrai, une contrée isolée du reste du monde où il est très périlleux de se rendre pour un étranger. Lors de mon voyage à travers le monde, il y a quatre ans, je n'ai pu en effet y aller, les autorités de la cité d'Edo ayant refusé de m'accueillir. Je ne suis pas étonné, chevalier du Dragon, de t'entendre dire qu'il y a dans cette contrée un homme assez puissant pour devenir chevalier. Ne pouvant aller jusqu'à lui, le destin aura fait que c'est lui qui est venu jusqu'à nous. Si vous me le permettez, Grand Pope, je souhaiterais faire confiance au chevalier du Dragon et offrir une chance à ce dénommé Aritaki.
- Baruch, fis le Grand Pope, je te laisse décider par toi-même d'accueillir ou non cet homme au Sanctuaire. Un chevalier en plus dans nos rangs ne sera jamais de trop, tu le sais bien.
- Très bien, Grand Pope, dans ce cas, cet homme s'entraînera dès demain, et il aura pour maître Abel, le chevalier d'or du signe du Capricorne. Il se trouve qu'il y a non loin d'ici, en Grèce, armure de bronze qui n'a pas trouvé de porteur jusqu'ici. L'armure de bronze de Pégase.

L'armure de Pégase ! Comme je l'avais pressenti à Rozan! Aritaki avait vraiment beaucoup de chance. Il était dès son arrivée pressenti pour devenir chevalier de bronze, et en plus, il allait avoir pour maître l'un des chevaliers les plus prestigieux dont on pouvait rêver, un chevalier d'or !

- Déesse Athéna, fit le Grand Pope qui vit Athéna revenir avec Yoko, quelles sont les nouvelles ?
- Tout va bien, Grand Pope, répondit-elle. J'ai expliqué au chevalier du Tigre que certaines règles, au Sanctuaire, régissaient le statut des femmes chevaliers. Yoko devra désormais porter un masque, et ne jamais plus dévoiler son visage à qui que ce soit, sous peine de lourdes conséquences.

Moi, Doko, allais devoir me résoudre à ne plus jamais revoir le visage de celle qui avait été mon compagnon d'entraînement durant ces quatre dernières années. Mais tout allait pour le mieux, finalement. Yoko, comme Aritaki, avait conquis sa place au sein de la chevalerie d'Athéna.

Maintenant, tout allait enfin pouvoir commencer.

***

Le lendemain matin, de bonne heure, trois hommes s'engagèrent dans le grand escalier qui partait du bas de la montagne du Sanctuaire et semblait se prolonger sans fin. Trois hommes remplis de jeunesse et de fraîcheur, qui s'apprêtaient à tenter ce que nul homme avant eux n'avait jamais réussi. Les armures qu'ils portaient leur était également fraîchement acquises, et resplendissaient de noir, de bleu et de rose dans la lumière naissante du soleil. L'un d'entre eux portaient des chaînes enroulées à ses bras, et l'un des deux autres des sortes de serpents noirs dans le dos, qui ornaient son armure d'un style décoratif très particulier. Leur détermination était sans faille et ils avaient hâte d'achever la montée de ces marches interminables.

- Ca y est, le voilà ! Nous y sommes ! Fit l'un d'eux. Ils s'arrêtèrent devant un imposant temple aux colonnes doriques somptueuses.
- C'est la première maison des signes du zodiaque, celle du Bélier. Allez ! Ne perdons pas de temps, franchissons-là ! !

Ils se précipitèrent vers l'entrée sombre qui ne permettait pas de voir le fond du temple, mais, au moment de franchir cette entrée, ils se heurtèrent à une sorte de mur invisible qui les projeta à plusieurs mètres en arrière. Ils retombèrent lourdement sur les marches en contrebas. Un homme apparut dans l'entrée, alors qu'ils se relevaient.

- Eh bien, jeunes chevaliers, où pensiez-vous aller d'un pas si décidé ?

L'homme, aux cheveux roux en épis, portait une splendide armure presque intégrale, qui brillait comme le soleil. Il avait deux cornes sur les épaules et portait son casque dans sa main. Il avait la particularité d'avoir deux points rouges sur le front à la place des sourcils.

- C'est donc toi, notre adversaire ! Le chevalier du Bélier ! Fit le chevalier aux chaînes.
- Je suis Jason, chevalier d'or du Bélier et gardien de la première maison du zodiaque. Voici donc les trois premiers chevaliers soumis à l'Epreuve d'Athéna et que j'ai l'honneur d'affronter. Pourriez-vous avoir l'amabilité de vous présenter ?
- Je m'appelle Alban, je suis le chevalier de bronze d'Andromède.
- Vic, chevalier de bronze de la Table.
- Et moi je suis Pallas, le chevalier de bronze de la Chevelure de Bérénice.

Les trois chevaliers se relevèrent totalement et se dressèrent devant le chevalier du Bélier, encore un peu secoués par leur projection sur les marches.

- Chevalier du Bélier, fit Alban, quel est ce mur invisible sur lequel nous nous sommes heurtés tous les trois il y un instant ?
- Je vois que tu es perspicace. Il s'agit du Mur de Cristal, qui non seulement arrête les ennemis dans leur course, mais leur renvoie leurs propres attaques. Tel est le pouvoir de défense du Bélier.
- Une telle chose serait possible ! fit Vic. Je n'ose le croire.
- Allez, attaquez-moi maintenant, lança Jason. Montrez-moi de quoi vous êtes capable. N'ayez crainte, je ne serai pas dur avec vous.

Les trois chevaliers prirent ces propos pour une quasi provocation. Pour qui les prenait-il ? Il se montrait prétentieux sur sa propre force, et sous-entendait qu'il n'aurait pas besoin d'utiliser toute sa force pour les affronter à armes égales. Certes, il était chevalier d'or, mais, sous l'armure, il n'en restait pas moins un homme, et c'était trois adversaires qu'il avait face à lui. Après tout, si Athéna avait organisé cette Epreuve, c'était que franchir au moins un ou deux temples sur les douze était chose possible ! Pallas se décida à attaquer Jason de toute sa force, et à lui montrer de quoi il était capable.

- Très bien, Jason. Nous allons nous battre. Moi, Pallas, je vais déployer devant toi toute la puissance que j'ai acquise durant mes années d'entraînement. Regarde bien. Que le venin de Bérénice te terrasse !

Cette attaque était impressionnante. Les serpents qui ornaient le dos de l'armure de Pallas se mirent à s'animer et à prendre vie. Ses deux compagnons découvrirent cette attaque avec stupéfaction, eux qui avaient été associés à Pallas par tirage au sort. Ils réalisèrent en voyant les serpents s'agiter et se diriger vers leur ennemi qu'il ne s'agissait en fait pas de serpents, mais de cheveux en tresse. Oui, c'était bien là le pouvoir de la Chevelure de Bérénice, cette princesse légendaire. Des tresses agréables au regard, mais porteuses d'un poison venimeux redoutable. Celles-ci se dirigèrent donc vers Jason, en s'allongeant jusqu'à atteindre une longueur démesurée. Elles encerclèrent le chevalier du Bélier et il se trouva capturé dans une sorte d'étau. Les tresses le serraient de plus en plus et comprimaient son armure. Pallas se crut en bonne posture.

- Ainsi c'est donc ça, la Chevelure de Bérénice ? Impressionnant mais peu efficace.
- Mais, comment ? ? ? S'écria Pallas. Tu ne devrais même plus être en état de parler ! !
- Cette attaque serait sans doute redoutable sur un homme démuni de protection ; malheureusement pour toi, je suis revêtu de l'une des armures les plus puissantes de l'ordre de la chevalerie. Ton venin ne peut m'atteindre. Quant à leur étreinte…

Jason se concentra et contracta ses muscles d'un coup, en dégageant une parcelle de son cosmos. Les tresses explosèrent et libérèrent le chevalier du Bélier. Pallas en restait sans voix.

- Les tresses de Bérénice sont peut-être inefficaces à cause de ton armure, fit Alban d'Andromède, mais voyons si tu peux être aussi chanceux avec mon arme d'attaque. Par la chaîne nébulaire ! !

Une longue chaîne terminée d'une pointe se déroula depuis le bras droit d'Alban et se dirigea à vive allure vers Jason. Contrairement à la chevelure de Bérénice, elle semblait en mesure de s'allonger à l'infini et d'atteindre n'importe quel ennemi, fût-il à des années lumières. Elle brillait d'un éclat incomparable et obéissait à Alban comme s'il s'agissait d'une entité vivante. Mais, au moment d'atteindre son adversaire, elle buta contre un nouveau mur invisible crée devant Jason, et retomba à terre tel un chien émoussé et apeuré.

- Vague de tonnerre ! ! ! Lança maintenant Alban. Il changeait de tactique, et ne s'avouait pas vaincu pour si peu. La chaîne, rappelée, décrivait maintenant un déplacement en dents de scie, encore plus rapidement que lors de la première attaque. Jason, les yeux fermés, se contenta de lever la main droite et de pointer l'index vers Alban. Il ne put croire ce qu'il vit alors. La chaîne, arrivée sur Jason à une vitesse quasi imperceptible à l'œil nu, s'arrêta net sur l'index de Jason et amorça un demi-tour ! Alban dut faire un saut sur le côté pour éviter sa propre arme qui se retournait contre lui. La chaîne finit dans un rocher près du temple, qui explosa sous l'impact.
- Je n'arrive pas à le croire, fit Alban. La chaîne d'Andromède n'obéit qu'à son propriétaire ! Par quel miracle as-tu pu la retourner contre moi ?
- Ce n'est pas un miracle, chevalier d'Andromède. C'est seulement une partie de mon pouvoir de télékinésie.
- De télékinésie ?
- Oui, je possède le pouvoir de déplacer tous les objets que je souhaite, par la seule force de la pensée. Et la chaîne d'Andromède, aussi performante soit-elle, n'échappe pas à la règle.
- Cet homme est-il humain ? pensa Alban. Il peut créer une barrière de protection, déplacer des objets à volonté…de quoi diable est-il encore capable ? Je perd courage…Suis-je condamné à perdre ce combat ? N'y a t-il pas d'autre issue ?

Alban et Pallas étaient désespérés ; en même temps que Jason paraît leurs attaques, il leur donnait l'impression de s'être entraînés dans le vide, pour rien, durant des années entières. Ils étaient réduit à l'inertie la plus totale, et seul Vic restait debout, prêt à attaquer. Il ne fallut pas lui dire deux fois.

- Moi, Vic de la Table, je jure de tout tenter pour éviter le ridicule dans ce combat. En garde, Jason ! Par l'avalanche des métaux !

Jason prenait finalement goût à ce combat, qui lui permettait de découvrir des armures et des attaques originales, dont il ne soupçonnait pas l'existence. Les constellations du ciel, au nombre de 88, étaient décidément aussi nombreuses que variées. Cette fois, le chevalier attaquant déclenchait une attaque à base de divers métaux dont le but était d'écraser l'adversaire sous un poids insupportable. Il y avait là du bois, de la pierre, du marbre…tous les matériaux qui servaient à la fabrication des tables ordinaires ou particulières, et qui se dirigeaient vers lui sous forme de pieds sculptés, de stères ou de colonnes ioniques. Il fallait une force herculéenne pour déclencher un tel déluge, et le chevalier de la Table était effectivement d'une constitution robuste, dépassant les deux autres chevaliers de bronze de plus d'une tête et doté d'épaules carrées. Malheureusement, une fois encore, c'était trop peu pour l'inquiéter…Jason feignit de se laisser emporter sous l'avalanche de métaux et Vic crut l'avoir enseveli.

- J'ai réussi ! J'ai terrassé le chevalier d'or du Bélier ! !
- Tu devrais être plus observateur, chevalier de la Table, fit une voix derrière lui.

Le sang de Vic ne fit qu'un tour et il se retourna vivement. Jason venait d'apparaître derrière lui, comme par enchantement !

- Mais…comment ? Comment as-tu pu éviter mon attaque ? ? ?
- Sache que mes pouvoirs de télékinésie sont très étendus. Outre le déplacement d'objets à ma guise, je possède également le pouvoir de communiquer par télépathie et celui de me téléporter, comme tu viens de le constater. Il m'a ainsi suffi de le faire au moment où ton avalanche s'abattait sur moi. Tu as même cru au début que tu avais réussi, car tu étais trop concentré sur ce que tu étais en train de faire et pas sur ton adversaire. C'est une erreur qui pourrait te coûter cher à l'avenir…
- Jason du Bélier ! Es-tu invincible ? ? S'écrièrent les trois chevaliers, paniqués de voir que leurs attaques respectives avaient toutes échouées.
- Jeunes chevaliers de bronze, je ne suis guère invincible, loin de là. Pour me tenir tête ou ne serait-ce que me porter un seul coup, il vous manque un pouvoir, ou plutôt un savoir, que vous ne connaissez pas parce que vous êtes encore trop inexpérimentés au combat et que vous n'êtes pas encore parvenus à intensifier suffisamment vos cosmos. Il s'agit du septième sens. Seuls les chevaliers d'or le possèdent.
- Le septième sens…c'est donc ce qui nous sépare de toi et des autres chevaliers d'or ? Ce sens au-delà des six autres, que nous devons acquérir pour être ton égal ?
- Ce n'est pas aussi simple que cela, chevaliers de bronze. Un fossé sépare votre pouvoir du mien, car votre vitesse est également bien inférieure à la mienne. Vos attaques ne peuvent guère dépasser la vitesse du son. Nous, chevaliers d'or, sommes capables de nous déplacer à la vitesse de la lumière.

La vitesse de la lumière ! ! ! Les trois chevaliers de bronze ne le croyaient pas leurs oreilles. Il était impossible de quantifier une telle vitesse, tant celle-ci était grande ; tous les grands savants du monde avaient été jusqu'ici impuissants à la calculer. On disait seulement que cette vitesse permettait à celui qui l'atteignait de traverser l'univers. Une telle démesure, face à la lenteur ridicule des chevaliers de bronze… Non, jamais ils ne parviendraient à atteindre un adversaire tel que le chevalier du Bélier. Et dire que cet homme ne se battait même pas au maximum de sa force face à eux ! !

- Mais assez parlé, reprit Jason. Place au combat. Allez ; attaquez-moi maintenant tous les trois ensemble !
- Il a raison, fit Pallas. C'est notre seule chance de lui porter un coup. Chevaliers de la Table et d'Andromède, unissez vos deux cosmos au mien, et, ensemble, tentons le tout pour le tout !
- Oui ! !
- Allez ! Que le venin de Bérénice te terrasse !
- Par l'avalanche des métaux !
- Chaîne nébulaire, attaque ton ennemi !

Cette fois, l'union des trois chevaliers dégagea un cosmos beaucoup plus puissant et impressionnant. Jason fut satisfait de ce sursaut qui témoignait de la détermination sans faille de ses trois adversaires. Il sentit qu'il ne pourrait cette fois pas contrer une telle attaque à mains nues. Pour la première fois, il se décida à attaquer.

- A mon tour, maintenant ! Stardust Revolution !

Une explosion retentit devant le temple du Bélier. Jason lui-même manqua de perdre l'équilibre et recula de quelques pas. Malheureusement, ses trois adversaires gisaient au sol, touchés par l'attaque, et étaient hors de combat.
Ainsi s'acheva la première journée de l'Epreuve d'Athéna.

***

Le lendemain matin, à la même heure que la veille, trois hommes s'élancèrent à nouveau à l'assaut de la maison du Bélier. C'était devenu un rituel. Trois nouveaux chevaliers plein d'espoirs, prêts à relever le défi qui leur était lancé. D'eux d'entre eux portaient des armures relativement couvrantes, d'une couleur blanc ivoire avec un peu de bleu pour l'un des deux. Le troisième portait une armure plus simple, rudimentaire, de jaune et de rouge, dont les pièces se limitaient à l'essentiel.

- Soyez les bienvenus, jeunes chevaliers, fit une voix qui devenait habituée à la scène. Je suis Jason, chevalier d'or du signe du Bélier. A qui ai-je affaire, aujourd'hui ?
- Je suis Tubal, chevalier de bronze de la Girafe !
- Arcanan, chevalier d'argent du Corbeau !

Le troisième chevalier ne répondit pas tout de suite. Il regarda fixement le chevalier d'or du Bélier, d'un regard rempli de respect et d'admiration. Il avait de longs cheveux gris-roux qui lui tombaient dans le dos avec de nombreuses mèches, et portait sur le front les mêmes points que Jason en place des sourcils. Il se décida à se présenter.

- Sion de Jamir, chevalier d'argent du Lotus, votre élève, pour vous servir, maître Jason.

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Cette fiction est copyright Christophe Becquet et Fabrice Willot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.