Chapitre 3 : Vers Giudecca


1743, le Sanctuaire d'Athéna

Les animaux sortirent de la forêt. Biches, lapins, renards ou loups se dirigèrent vers la mélodie. Les notes s'égrenèrent petit à petit, les unes plus belles que les autres. Les doigts agiles d'Orphée paraissaient à peine toucher sa harpe. En cet instant, animaux et hommes semblaient ne plus faire qu'un. La mélodie superbe qui se faisait entendre était également du goût de la jeune femme assise près de lui. L'amour se lisait aisément dans ses grands yeux bleus qui contemplaient l'objet de son affection avec une béatitude prononcée. Toute à l'écoute de la musique, Eurydice ne vit pas le serpent ramper vers elle sans bruit. Celui-ci ne se pressait, pas, sûr de son fait. Il avait déjà remarqué que sa proie ne lui prêtait aucune attention. Il la mordit au moment où elle s'y attendait le moins, le moment où la symphonie d'Orphée touchait à son apogée. Eurydice, touchée mortellement, ne poussa pas le moindre cri et s'écroula. Orphée remarqua immédiatement le serpent qui s'échappait et le détruisit sans autre forme de procès. Il se précipita alors vers sa douce qu'il prit dans ses bras, hurlant son nom et les yeux embués de larmes.

- Eurydice, non ! ! ! ! Pourquoi, ô Athéna ? Pourquoi, ô Zeus ? Pourquoi m'avoir privé de l'être qui m'était le plus cher au monde ?

Orphée pleura pendant plusieurs minutes puis son visage se calma peu à peu. Une détermination incroyable était apparue dans son regard et ses traits s'étaient faits plus durs.

- Et bien soit, fit-il entre ses dents, puisque je ne peux compter que sur moi, je récupérerai moi-même Eurydice. Hadès me la rendra. Je le charmerai tant avec ma lyre qu'il ne pourra faire autrement que de me l'accorder.
- Je suis sincèrement désolé pour Eurydice, Orphée. Mais tu ne peux pas aller aux Enfers.
- Qui a parlé ? Qui es-tu ? Pourquoi portes-tu l'armure du chevalier du Poisson ?
- Je suis le chevalier du Poisson…
- Tu mens, c'est impossible. Jilal est le chevalier de la douzième maison.
- Tu ne m'as pas laissé finir, Orphée. Je suis le chevalier du Poisson, je ne t'ai pas menti. Mais au XXIIIème siècle.
- QUOI ?
- C'est une longue histoire.
- Je n'ai que faire de tes histoires ! Je dois aller sauver Eurydice.
- Tu ne peux plus la sauver, Orphée ; elle est morte.
- Qu'importe ! Hadès me la rendra.
- C'est vrai.
- Quoi ?
- Hadès va effectivement te rendre Eurydice. Pourtant, en raison de la ruse d'un des spectres, Eurydice restera prisonnière des Enfers et tu demeureras avec elle.
- Comment sais-tu tout cela, interrogea un Orphée qui s'était calmé ?
- Je te l'ai dit, je viens du futur. Je suis venu pour te permettre de sauver la Terre.
- Comment cela ?
- C'est une longue histoire, je te l'ai dit.
- Je suis prêt à l'écouter cette fois.

Mime parla longtemps, à voix très douce. Il raconta à Orphée ce qu'il savait de la Guerre Sainte de 1743, c'est à dire pas grand-chose. Il lui parla ensuite des affrontements sans merci qui opposèrent successivement les chevaliers de Bronze aux chevaliers d'Or, aux Guerriers Divins d'Asgard, aux Généraux de Poséidon avant enfin de se mesurer aux Spectres d'Hadès. Il lui expliqua le déséquilibre causé par la mort du corps originel d'Hadès et les terribles conséquences qui avaient suivi. Il lui démontra enfin que s'il allait aux Enfers pour tenter de retrouver Eurydice, il priverait la Terre d'une chance de survie.

- J'ai compris, fit finalement le chevalier de la Lyre. Si je vais aux Enfers, j'y resterai et mon " double " ne pourra jamais y accéder.
- C'est exact.
- C'est d'accord, dit-il après un long silence. Je renonce à aller présenter ma requête à Hadès. Je le combattrai et mourrai sûrement au combat. Mais dis-moi, d'après ce que j'ai compris, tous les guerriers choisis pour cette mission porteront une armure d'Or…
- Tu auras l'armure de la Vierge, répondit Mime, comprenant la question indirecte formulée par Orphée. Il faut que j'y aille, Orphée, ajouta-t-il. Les autres m'attendent avec beaucoup d'impatience.
- Cela a été un plaisir de te rencontrer, Mime, même si j'aurais préféré que cela soit dans d'autres circonstances.
- Je comprends et sache que je suis profondément désolé, Orphée.

Le chevalier du Poisson tendit sa main droite que le chevalier de la Lyre serra avec un plaisir visible.

- Adieu, Mime
- Adieu, Orphée.

Le cosmos de Mime se mit à briller et il disparut. Orphée demeura quelques instants à contempler l'endroit où se trouvait le chevalier du Poisson puis il tourna les talons. Alors qu'il retournait vers le Sanctuaire, les larmes apparurent à nouveau sur son visage.

***

Cinq armures d'Or brillaient de tous leurs feux. Mû s'était incontestablement surpassé. Les armures du Bélier, du Cancer, du Lion, de la Vierge et du Verseau faisaient face aux nouveaux guerriers d'Athéna, ceux de la dernière chance.

Siegfried s'avança le premier et toucha l'armure du Lion. Aussitôt celle-ci se disloqua pour venir recouvrir le corps de son nouveau maître. Io se dirigea vers l'armure du Cancer ; Orphée revêtit celle de la Vierge. Enfin Isaak ne put réprimer une larme lorsque l'armure de son défunt maître Camus et son ami Hyoga, chevaliers du Verseau avant lui, vint se poser sur lui.

Mû s'avança vers les nouveaux chevaliers d'Or. Son armure du Bélier resplendissait autant que les autres. Lentement, il leva et tendit son bras droit. Sans un mot, les cinq autres guerriers posèrent leurs mains dessus. Un lien indestructible les unissait à présent : ils avaient été choisis pour sauver la planète et ils ne failliraient pas à leur mission.

Mû regarda les nouvelles armures d'Or. Il les avait quelque peu adaptées en fonction de la personnalité de leurs maîtres et surtout en fonction de leurs précédentes protections. Les chevaliers de la Vierge et du Poisson avaient par exemple une harpe. Sur le buste de l'armure du Lion, on distinguait des dragons gravés. L'armure du Cancer était elle plus ample, comme pour dissimuler les six bêtes de Scylla. Seule l'armure du Verseau restait inchangée. Il faut dire que les techniques d'Isaak étaient très largement héritées de celle de Camus.

- Bien, je crois que nous sommes prêts, fit le chevalier du Bélier. Toutefois, avant de nous transporter dans le passé, je crois nécessaire que je vous expose ce à quoi nous devons nous attendre.
- Que veux-tu dire, interrogea Mime ?
- Nous allons arriver au moment où les étoiles maléfiques ont été libérées du sceau d'Athéna. Vous savez que, comme pour les Guerriers Divins ou les Généraux des Mers, les âmes des spectres sont enfouies au plus profond des êtres humains. Ceux-ci peuvent se trouver n'importe où sur la planète. Ce qui nous laisse un petit avantage.
- Lequel, fit Io ?
- Simple, répondit Orphée. Tous les Spectres ne seront pas présents au moment où nous livrerons bataille, ce qui nous laisse une petite chance de nous en sortir. Mis à part le fait que les Spectres présents seront probablement les plus puissants. Où allons-nous " atterrir ", Mû ?
- En Allemagne. Au château d'Heinstein. C'est là qu'Hadès a établi son quartier général sur Terre. Une fois que nous serons sur Terre, nous disposerons de cinq heures, pas une de plus.
- Pourquoi, interrogea Isaak ?
- Parce qu'au bout de la cinquième heure, Hadès va réveiller les chevaliers d'Or défunts et leur proposer son marché. Si ce moment arrive, alors les évènements s'enchaîneront jusqu'à la fin sans que nous puissions y faire quoique ce soit. Nous aurons alors échoué.
- Pas forcément.
- Oui, Siegfried ?
- Si nous échouons, les chevaliers du zodiaque détruiront donc Hadès et nous ferons ressusciter une nouvelle fois au XXIIIème siècle. Nous aurons alors une deuxième chance.
- En théorie, oui. Mais tu oublies que si nous échouons, cela voudra dire que nous sommes morts.
- Oui, mais…
- Au Royaume des Ombres, Siegfried. Nous serons alors jetés au Cocyte, là où on condamne ceux qui se sont rendus coupables d'injure aux dieux. Et on ne réchappe pas du Cocyte, à moins d'une intervention divine. Et Athéna sera trop faible pour nous en sortir tous. Non, nous sommes condamnés à vaincre ou à mourir. Et par égard pour ceux qui se sont sacrifiés pour nous ramener à la vie, nous n'avons pas le droit d'échouer.
- Nous sommes d'accord. Une fois au château d'Hadès, que faisons-nous ?
- Il nous faut trouver un moyen de tromper la vigilance de Pandore et de sa garde pour accéder au " puits des âmes ", qui nous permettra d'accéder au Styx. A partir de là, il nous faudra rejoindre Giudecca.
- Comment faisons-nous pour tromper la vigilance d'une gardienne aussi efficace que Pandore, interrogea Isaak ?
- Je me charge de ça, répondit Orphée. Je vais la charmer avec ma harpe pour qu'elle et sa garde s'endorment pendant notre passage. Cela n'est pas un problème. Par contre…
- Par contre, reprit Mime ?
- Si je me souviens bien, un mortel ne peut accéder au Royaume d'Hadès s'il est vivant. Il faut obligatoirement accéder au huitième sens.
- Le huitième sens, fit Io en se tournant vers Mû ?
- Les chevaliers de Bronze maîtrisent parfaitement les cinq sens ; ceux d'Argent y ajoutent un sixième, que l'on a coutume d'appeler l'intuition. Mais les chevaliers d'Or ont atteint le septième sens. Celui qui regroupe tous les autres et qui leur permet de se déplacer à la vitesse de la lumière. Chacun d'entre nous est capable d'atteindre ce stade de connaissance. Mais le huitième sens… Pour autant que je sache, seul Shaka, le chevalier de la Vierge à mon époque, était capable de le maîtriser.
- Ce qui veut dire que nous sommes mal barrés, commenta Siegfried.
- Pas forcément. En unissant nos cosmos, nous devrions être capables de franchir le " puits des âmes ".
- Alors qu'attendons-nous ?
- Plus rien à présent. Je vais nous ramener au XX ème siècle. Une fois que nous serons là-bas, plus question de faire demi-tour.
- En a-t-il jamais été question ?
- En avant chevaliers d'Athéna ! Vers Giudecca !
- Vers Giudecca !

Six cosmos se mirent à briller intensément ; puis une silhouette disparut. Puis une autre. Puis encore une autre.
Jusqu'à ce que les six chevaliers d'Or eurent disparu, emportés vers une nouvelle bataille. La dernière, cette fois ; celle qui allait décider du sort du monde.

Une ombre apparut alors en pleine lumière. Un sourire fugace éclaira son visage.

- Ca y est, ils sont partis, souffla-t-il. J'aurais donné n'importe quoi pour pouvoir les aider. Mais Athéna ne me l'a pas permis…

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.