Chapitre 3 : Victoire dans la Poussière


Aiolia

La nuit était tombée depuis peu, mais je n'avais aucune envie de rentrer chez moi, Milo non plus d'ailleurs. Nous étions restés toute la journée ensemble, à chercher quel novice affecter à quel maître et nous avions, entre deux éclats de rire, passé notre temps à nous disputer. Pourtant, il était mon meilleur ami et il le savait, mais s'était ainsi que nous nous entendions depuis toujours. Nos rapports avaient depuis l'enfance été basés ainsi, ce ne n'était pas près de changer, car nous aimions autant nous affronter que nous faire des confidences. Nos caractères étaient peut-être trop similaires par certains aspects, bien qu'il se jugeait beaucoup plus ironique, ce en quoi il n'avait pas tort, et nous partagions ensemble, le même courage, le même emportement et la même confiance en nous.
Mais ce soir-là, nous ne nous opposions pas durant l'une de nos éternelles disputes, non, il avait quelque chose qui flottait dans l'air et qui nous forçait à garder le silence l'un et l'autre. Nous avions travaillé toute la journée et avions décidé de partir nous promener une heure ou deux dans les ruines, pour essayer de nous changer les idées et de nous reposer avant de rentrer chez nous, dans nos temples respectifs.
Une légère brise agita le sable qui se trouvait sous nos pieds et je vis les yeux de Milo perdu dans les colonnes abandonnées ne soutenant plus rien et n'ayant sans doute plus lieu d'être là, mais qui donnaient un charme supplémentaire aux limites du Sanctuaire. Son regard bleuté avait l'air particulièrement concentré sur quelque chose et il m'attrapa tout à coup le bras avec une force et une violence qu'il aurait sans doute eu pour l'un de ses ennemis.
-Eh! Milo! Fais attention... qu'est-ce qui se passe?
-C'est bien ce que je te demande! répliqua celui-ci en pointant son index vers le ciel pour me montrer ce qui s'offrait à sa vue.
Je sursautais, avant de reculer d'un pas. Une pluie d'étoiles filantes fendaient le manteau de la nuit, et se dirigeant vers la chambre sacrée, comme pour s'y écraser. C'était un spectacle splendide mais aussi inquiétant car je ne savais pas ce que cela signifiait. Pas plus que Milo en tout cas qui se tourna vers moi en fronçant les sourcils.
-De quoi s'agit-il?
-Je n'en sais rien... On dirait des comètes tant ces étoiles semblent disproportionnées.
Il hocha la tête et me lâcha enfin le bras, même si cela faisait déjà longtemps que je ne sentais plus la pression qu'il exerçait sur moi.
Je scrutais des yeux le ciel, voyant que tout à coup, des petits bouts de météorites tombaient de nulle part, venant finir leur course frénétique sur le sol alors que le spectacle des comètes allant à toute allure vers le temple d'Athéna ne ralentissait pas et s'intensifiait en puissance. Nous étions seuls dans les ruines, presque à la sortie du Sanctuaire, et je devinais qu'au pied des douze Maisons, nos frères chevaliers d'Or devaient s'être rassemblés avec Athéna...
Athéna, pourvu qu'il ne lui arrive rien! J'espérais que ce phénomène étrange n'apportait pas de mauvais présage et je songeais que dans les arènes aussi, tout le monde avait du cesser ses activités. Un comète argentée, beaucoup plus grosse que les autres zébra le ciel de sa couleur et je faillis lâcher un cri d'admiration, tout comme Milo d'ailleurs. Nous échangeâmes un nouveau regard étonné et émerveillé par ce que nous découvrions. Il avait quelque chose d'intimidant dans ce qui se passait et je réussissais au bout de quelques instants de lutte avec moi-même à articuler:
-Je crois que nous devrions rentrer auprès d'Athéna...
Milo acquiesça d'un signe de la main et désigna du menton la route que nous devions reprendre pour atteindre le plus rapidement possible les Temples du Zodiaque. Nous nous apprêtions à nous diriger dans ce chemin sablonneux et mal dessiné quand...
Tout à coup, juste derrière nous, une puissance phénoménale, comparable à celle que j'avais ressentie à regardant la comète argentée nous bouscula, nous poussant, non, nous projetant en avant, comme si nous n'étions que deux pantins désarticulés par rapport à cette force.
Nous nous retrouvâmes au sol, face contre terre, le visage dans la poussière et nous avons, en moins d'un centième de secondes, je crois, repris nos esprits, pour bondir sur nos deux jambes et affronter ce qui nous avait si soudainement... agressés? Non, ce n'était pas le mot qui convenait, mais je n'arrivais cependant pas à trouver ce qui définissait cette puissance. Lorsque nous voulûmes regarder ce qui nous avait violemment fait tomber, nous avons du nous détourner immédiatement, car soutenir du regard le cosmos argenté qui se dessinait devant nous était presque chose impossible.
Je me protégeais les yeux de mon bras, bien conscient que cette force était supérieure à la mienne, mais inférieure aussi à celle d'Athéna. A côté de moi, Milo avait mis sa main devant ses yeux, et regardait difficilement entre ses doigts ce qui se passait. Nous comprenions que nous allions peut-être devoir nous battre, et notre sang n'avait fait qu'un tour. Cela faisait trois mois que nous étions oisifs et sans ennemis pour lutter contre nous et cette brève explosion n'avait pas tardé à réveiller l'âme du combattant, jamais vraiment endormie. C'est alors qu'une forme, une silhouette indistincte se matérialisa peu à peu dans l'éclat d'argent qui l'entourait. Et bientôt, le cosmos cessa de vibrer et nous réussîmes à observer ce qui se tenait sous nos yeux.
La nuit était redevenue calme et sereine, les comètes avaient cessé de fendre les cieux et les météorites ne pleuvaient plus. Tout était rentré à la normal sauf que... sauf qu'une nouvelle puissance était entrée dans le Sanctuaire et se trouvait juste devant nous, sous la forme d'une personne cachée par une cape de drap bleu foncé, qui ne laissait rien deviner. Je restais interdit quelques instants alors que Milo s'empressait de reprendre ses esprits pour dire:
-Qui êtes-vous et qu'osez-vous faire ici?
Il eut un bref éclat de rire qui nous parvint de sous la cape et nous plongea dans l'étonnement. Cet amusement n'avait rien de méchant mais était au contraire teinté de malice et de gaieté. Mais nous étions, Milo et moi, beaucoup trop expérimentés pour nous laisser influencer par les apparences.
-Et vous, qui êtes-vous donc?
La voix devait être à moitié étouffée par le tissu du vêtement et nous avions du mal à discerner si elle était méfiante, indifférente, douce ou agressive. Mais ni Milo ni moi n'avions jamais eu le don de la patience, ni le goût des devinettes et je secouais la tête, enfin de nouveau maître de mes mouvements, avant de déclarer:
-Je crois que c'est à vous de répondre en tout premier à la question... alors qui êtes-vous pour avoir oser faire une telle intrusion dans le Domaine Sacré? Ne savez vous donc pas que c'est un territoire interdit au public!
Milo approuva d'un vigoureux signe de tête et renchérit:
-Nous ne voulons pas de touriste ici, alors disparaissez!
-Connaissez-vous beaucoup de touristes qui portent des capes de drap et qui tiennent à la main des coffrets de bois tout en se promenant?
J'esquissait un sourire, mais Milo restait impassible, à observer de ses yeux de prédateur la personne qui pourrait bien être sa prochaine proie. Je lisais dans ses yeux qu'il songeait à Athéna, qu'il fallait de nouveau la protéger et qu'il ne laisserait passer personne. C'est à cet instant que je me rendis compte qu'il n'y avait pas ici les gardes qui devaient habituellement jouer les sentinelles.
-Je vous prie de décliner votre identité immédiatement, dit Milo à côté de moi d'une voix lourde de menaces et de sous-entendus.
-Très bien... je ne me rappelais pas que l'on était si mal reçu au Sanctuaire d'Athéna!
L'inconnu savait donc que ce domaine appartenait à notre déesse... cela pouvait donc être un ennemi, comme un ami par ailleurs, même si cela se voyait beaucoup moins souvent. Je serrais un poing, prêt à intervenir à tout instant et en position pour fondre sur cette personne si le besoin s'en faisait sentir.
-Mais avant que vous ne découvriez qui je suis, je voudrais vous demander pourquoi des gardes ont le toupet de parler ainsi aux visiteurs?
Milo eut un demi-sourire ironique alors que j'eus envie de rire. Visiblement, cette personne était assez mal informée.
-Je suis, Aiolia, le chevalier d'Or du Signe du Lion et voici Milo, chevalier d'Or du Signe de Scorpion...
J'entendis de nouveau le rire de l'inconnu retentir dans la nuit silencieuse avec le même amusement que précédemment.
-Je suis désolée... je vous avais pris pour de simples gardes. Très bien, j'ai donc à faire à l'élite de la chevalerie, quel honneur! Mais dites-moi donc pourquoi des hommes de votre rang s'abaissent à faire des rondes de nuit? Athéna n'aurait donc plus assez de sous-fifres pour cela? Cela m'étonne qu'elle gaspille ainsi ses meilleurs éléments... et cela ne lui ressemble guère!
La silhouette paraissait réfléchir à voix haute et je coupais court à ses réflexions, peu enclin à la patience ce soir-là.
-Mais qui êtes-vous donc à la fin? Ôtez cette cape ou je viendrais vous la retirer moi-même!
-Je ne vous en crois pas capable, mais je vais arrêter mon jeu de mystère si c'est vraiment ce que vous souhaitez.
L'inconnu posa le coffret de bois qu'il tenait à la main à terre et d'une main adroite prit la manche de sa cape entre ses doigts . Il tira violemment dessus et elle passa par-dessus lui, nous empêchant pendant quelques instant de voir de qu'il s'agissait.
Puis, le vêtement tomba à terre, aux pieds de... la jeune femme! Oui, la voix ne m'avait pas trompé malgré la manière étouffée dont elle nous parvenait. Elle était petite et brune, avec des yeux d'un sombre profond. Je lui donnais quelques années de plus qu'Athéna, mais guère beaucoup, elle avait sans doute comme moi et Milo, une vingtaine d'années.
Mais qui était-ce? Elle portait une toge bleu pâle et très simple, ses cheveux étaient attachés et elle nous souriait d'un air confiant. J'avais cru durant tout notre échange que son ton devait être agressif mais elle avait du en réalité s'amuser et se distraire de notre conversation.
Elle se pencha et reprit dans ses mains, avec une délicatesse et une précaution notable le coffret qu'elle avait posé près d'elle et nous observa pendant quelques secondes. Mais qui était-ce à la fin? Elle avait l'air tout à fait inoffensive, comme Saori d'ailleurs, mais pourtant, elle avait dégagé une aura formidable précédemment. Comment cela se faisait-il? Elle n'avait pas l'air d'une ennemie, non, mais je n'arrivais pas à saisir de qu'il s'agissait.
C'est alors que j'entendis des bruits de pas derrière moi, légers et rapides ainsi que le froissement que produit une robe lorsque une femme court. Je savais avant même de me retourner qu'Athéna était ici. La situation était alors peut-être grave...
Ma déesse passa devant moi et s'arrêta à côté de Milo. Je ne remarquais qu'à cet instant que Camus l'avait suivi, sans doute pour veiller sur elle au cas ou il se serait passé quelque chose.
-Athéna! fit la jeune femme en toge bleu pâle et en ouvrant plus grands ses yeux alors remplis de joie.
Celle-ci hocha la tête avant de faire signe à l'inconnue de s'approcher d'elle. Je regardais l'échange avec intérêt. Saori n'avait pas l'air surprise le moins du monde de cette présence et elle sourit à cette dernière qui saisit d'une seule main, l'autre étant occupée par le coffret, celles d'Athéna. La jeune fille avait immédiatement identifié notre déesse et son expression heureuse me rassurait, pourtant, je ne baissais pas ma garde, pas plus que Milo ou Camus qui se lançaient de temps à autres quelques discrets regards inquiets. La princesse souriait à présent, et elle avait l'air de comprendre la situation, ce qui était loin d'être mon cas.
J'entendis derrière moi les pas de Dohko qui avait du voir Saori s'éloigner en courant et qui l'avait suivi pour la surveiller. Il n'avait pas du remarquer que Camus en avait fait de même et... il se figea, il me sembla alors que chaque partie de son corps était à l'arrêt, tendu, incapable de bouger. Et il articula avec difficulté le nom de la déesse. Celle-ci se retourna vers lui et hocha la tête. Je vis alors Dohko s'avancer de plus prêt et courber la tête, accordant un marque d'honneur à la jeune fille à la toge bleu pâle.
-Cela fait bien longtemps que l'on vous attendait, dit-il en relevant ensuite les yeux sur elle.
-Je sais, et je n'ai pas eu l'occasion de descendre sur terre depuis les temps ou Zeus se battait encore à la place d'Athéna. Je ne viens que lorsque... enfin, nous en rappellerons plus tard.
Saori mit une main sur le bras de l'inconnue avant de dire:
-Messieurs, je vous présente Nikè, la déesse de la Victoire.


Mu

Il devait être minuit quand Milo et Aiolia, dans un tel état de surexcitation que je comprenais à peine les mots qu'ils prononçaient, vinrent m'annoncer qu'une réunion urgente avait lieu sur le champs. Ce n'était franchement pas pour ma ravir. J'étais en plein milieu de l'étude de l'armure du Capricorne et tentais de me familiariser avec les techniques antiques des alchimistes du continent dont j'étais originaire. J'avais déjà appris nombre d'informations en lisant les registres de la main même d'Athéna et j'étais à la fois mécontent d'avoir tant de travail et heureux d'avoir la chance unique de tenir de telles sources de savoir entre mes mains. Mais j'avais vite découvert que l'entreprise promettait d'être des plus difficiles et des plus longues, mais nous avions après tout le temps de notre côté puisque les Guerres Saintes étaient terminées.
Alors que les chevaliers du Lion et du Scorpion remontaient au pas de course les Douze Maisons pour atteindre la chambre sacrée, je me demandais soudainement qu'est-ce qui valait la peine d'organiser un conciliabule en plein milieu de la nuit.
Je me relevais de la table ou je travaillais depuis maintenant des heures, et regardais Kiki, déjà endormi à côté de moi depuis une bonne heure. Il n'avait guère compris ce qu'il lisait, n'ayant pas assez de connaissances pour cela, et je ne pouvais pas lui demander d'étudier les manuscrits autant que moi.
Je secouai la tête, pour sortir tous les mots qui se bousculaient dans ma tête et me passais les mains sur le visage avant d'entamer la lente montée vers chez Athéna.
Dehors, la nuit avait pris possession du Sanctuaire, mais l'on voyait des gardes passés de temps à autre et échangés quelques phrases avec d'autres, car ils reprenaient leur tour de surveillance nocturnes. Je me frottais les yeux pour chasser le sommeil qui les embrumait déjà et songeais que j'aurais vraiment souhaité que la téléportation soit possible entre les Maisons du Zodiaque, cependant le cosmos d'Athéna empêchait l'entreprise. Si c'était un désavantage pour nous, je me consolais en me disant que c'en était un aussi pour nos ennemis qui étaient ainsi obligés de traverser tous nos temples, au péril de leur vie, inutile de le préciser. Je pris une longue inspiration, me préparant aux centaines de marches que j'avais devant moi.

Plus tard, lorsque j'arrivais devant les portes de la salle de réunions, j'étais épuisé et, je découvris, comme je l'avais de toute manière prévu, que j'étais le dernier arrivé. Mes les onze... douze -quand allais-je m'habituer au changement concernant Kanon?- autres chevaliers étaient eux aussi entrain de patienter devant les immenses et imposantes portes de bronze. Je croisais leurs regards uns à uns sans comprendre ce que je faisais là.
-Est-ce que quelqu'un pourrait me dire pourquoi nous sommes tous réunis? demanda Masque de Mort, visiblement impatient de retrouver son lit.
Aphrodite haussa les épaules et je remarquais qu'il avait le visage aussi frais le matin qu'en plein milieu de la nuit. Milo, Aiolia et Camus se regardèrent et, en surprenant leurs oeillades amusées, je saisissais qu'ils avaient l'air dans savoir plus que nous. Mais ils étaient probablement tenus au secret et je leur pardonnais leur cachotterie. Dohko était appuyé contre les portes, les bras croisés sur la poitrine et il regardait avec intensité le bout de ses chaussures lacées. Il avait l'air perdu dans ses pensées et je n'osais pas le déranger.
-Alors, Mu! Le dernier arrivé! s'exclama Aioros en remarquant subitement ma présence.
-Pff... ne m'en parle pas. Tu ne peux pas savoir à quel point tu as de la chance d'habiter la Neuvième Maison du Zodiaque!
Ce dernier se mit à rire et me donna une tape sur l'épaule, sans doute destiné à m'encourager. Il était vrai que l'emplacement de ma demeure n'était pas très facile, la plus éloignée de la chambre sacrée, la première pour les ennemis qui devaient envahir le Sanctuaire... je soupirais rien qu'en y pensant.
-Alors, me dit Saga en s'approchant de moi, est-ce que le projet des armures avance bien?
-Si tu trouves qu'une tortue est un animal très rapide, alors oui, nous aurons bientôt tous de nouvelles armures.
Il esquissa un sourire.
-Courage... je suis certain que tu auras bientôt assez de connaissances pour reproduire des modèles encore plus beaux que les précédents, continua le chevalier des Gémeaux, sans se laisser démonter par mon pessimisme. Et puis, Mu, vois les choses du bon côté! Te rends-tu compte que tu vas rentrer à jamais dans l'histoire! L'homme qui a su faire l'impossible!
Je ne pus m'empêcher de rire en entendant sa boutade et je remarquais alors que, malgré tout le mal qu'il avait fait en tant que Grand Pope, il en avait gardé certaines habitudes, comme celle de redonner espoir et courage à tous ceux qui l'avaient perdu.
-Mais il ne sera pas le seul à avoir son nom dans la légende, renchérit Aphrodite, qui avait sans doute entendu notre conversation. Après les miracles que nous avons tous accomplis, je crois que nous méritons bien une place de choix dans les archives du Sanctuaire.
Shura hocha la tête avec fierté et lui donna raison. Le chevalier du Capricorne ne parlait jamais beaucoup et je ne l'avais encore jamais entendu dire un mot imprécis ou de trop. Il semblait constamment mettre de lui-même, à étudier son prochain mouvement et cela avait quelque chose d'impressionnant pour les autres chevaliers que les Gold Saints.
-Seiya, Shiryu, Hyoga, Shun et Ikki aussi méritent une place de choix dans les plus grands hommes ayant servi Athéna, répliqua Dohko, rendant justice aux méritants et courageux chevaliers de Bronze.
Je l'observais alors qu'il avait l'air de nouveau perdu dans ses pensées. Notre nouveau Grand Pope... le plus apte de nous tous, du moins à mon avis, à remplir ce rôle.
Je l'avais toujours connu sous l'apparence du Vieux Maître et j'avais à présent du mal à m'habituer à son nouveau physique. Il avait maintenant des centaines d'années en moins... il était même plus jeune que moi! Cela me faisait un effet étrange de m'adresser à lui. Je retrouvais dans cet homme la sagesse et l'intelligence aiguisée du Vieux Maître mais aussi la fougue et la rapidité d'une personne que je ne connaissais pas et qui s'appelait Dohko. Je l'appréciais beaucoup pourtant, je pense que c'était même, de tous mes frères, celui que je préférais, mon meilleur ami.
Quand Athéna avait du, avec ses chevaliers, combattre pour prouver sa véritable identité, nous étions alors les deux seuls au courant de toute l'histoire qui se tramait en dessous et cela nous avait inévitablement rapprochés. Je pense qu'il m'aimait bien aussi... un peu du même sentiment que mon défunt maître Sion avait du éprouver à mon égard.
Camus avait les yeux fixés sur les portes de Bronze, comme s'il voulait les transpercer de son regard pour entrer et savoir ce qu'il en était. Il avait cette noble expression impassible qui définissait sa nature et dont il ne se dépareillait jamais.
A ses côtés se tenait Kanon... cet homme était pour moi une véritable énigme. Il avait rejoint notre lutte et nos idéaux, mais j'avais toujours l'impression qu'il se tenait un peu à l'écart des autres, ne cherchant pas à appartenir totalement à notre ordre sans pour autant s'en éloigner. Il fallait dire que nous ne le connaissions tous, hormis son frère Saga, que depuis peu et nous ne savions pas vraiment comme établir le contact avec lui.
A deux ou trois reprises, j'avais tenu de brèves discutions avec lui et je n'avais déceler aucune envie chez lui de voir notre amitié, pour le moment très superficielle, s'approfondir. Il n'avait de soucis que de défendre Athéna et de se montrer digne de sa condition et s'y consacrait entièrement. Il n'avait donc peut-être pas le temps, ou le désir de se forger des liens avec nous qui lui seraient peut-être apparus comme par trop encombrants. Cela m'attristait un peu, mais moi-même, j'avais toujours été quelque peu solitaire, et je comprenais ce qu'il souhaitait. Je ne l'ennuyais donc jamais lorsqu'il se situait dans un coin retiré d'une pièce à attendre que quelque chose se produise en compagnie de ses réflexions secrètes.
Je sursautai en voyant soudainement Athéna pousser les immenses portes qui nous séparaient encore quelques secondes auparavant et sortir de la pièce. Nous nous trouvions donc tous dans l'imposante entrée quand elle prit la parole. Elle avait l'air fatigué, mais heureuse. Elle lança un regard à Dohko qui acquiesça à sa question muette.
-Chevaliers, avant que vous rentriez, je voulais vous dire qu'il se trouve dans cette pièce quelqu'un qui n'est pas revenu sur terre depuis des centaines et des centaines d'années. Il s'agit de la déesse de la Victoire, Nikè.
Il y eut des exclamations et des murmures étonnés, voire même incrédules ou choqués.
- Elle est revenue sur terre pour nous aider et je crois, Mu, que ce qu'elle a dans son coffret de bois va te faire verser des larmes de joie et de gratitude.
Je fronçais les sourcils et je me dis que je n'aimais pas quand Athéna ne s'adressait qu'à moi. Elle l'avait fait à plusieurs reprises depuis son retour et ma discrétion m'empêchait d'apprécier l'attention qu'elle me portait.
Je vis tous les chevaliers se retourner de mon côté, les yeux agrandis pour la surprise et l'étonnement et ils commencèrent à murmurer des paroles presque inaudibles qui ressemblaient à l'écho d'une cascade. Saori s'effaça de l'encadrure de la porte et d'un signe gracieux de la main, nous invita tous à la suivre.
Je rentrais dans la salle, comme toujours, en dernier et pris ma place habituelle, en face de Masque de Mort, à la table, attendant le dernier moment pour découvrir le visage de cette déesse que je ne connaissais pas.
C'est alors que je la vis, assise à la gauche d'Athéna, Dohko ayant pris le siège de droite, assez petite, brune, les yeux sombres, la peau un rien halée et un sourire aux lèvres. Elle paraissait gentille au premier abord et la lueur rieuse au fond de ses yeux me faisait penser qu'elle devait parfois se montrer amusante. Nos regards se croisèrent et je lui souris poliment.
Nikè... ainsi elle s'était elle aussi réincarnée à cette époque sur terre. Mais pour quelle raison? Nous ne l'avions pas vu, du moins physiquement cela allait de soi, puisqu'elle servait depuis toujours notre déesse, durant les batailles de Douze Maisons ou d'Hadès. Pourquoi être revenu sur terre seulement maintenant? Tout cela me paraissait confus et j'attendais avec impatience les explications de Saori, qui permettraient sans doute à la brume dont était entourée mes idées, de se dissiper.
-Mes chevaliers, je vous présente à tous Nikè.
Athéna commença ensuite à nous présenter un à un et nous nous levions chacun notre tour quand elle nous désigna par notre nom et notre titre. Nikè ne nous connaissait pas et je voyais qu'elle essayait de retenir nos visages et nos noms. Elle avait pourtant l'air très à l'aise parmi toutes ces personnes qu'elle n'avait jamais vu mais je me rappelais qu'elle avait la compagnie d'Athéna, qu'elle connaissait depuis toujours.
Notre déesse, assise sur son trône, souriait à tous, le visage aux traits encore tirés par la fatigue dont elle n'arrivait pas à se débarrasser depuis que je l'avais ramené de cette île maudite. Une image ressurgit soudainement dans mon esprit. Celle de la jeune fille dans une toge à moitié calcinée et avec seulement des manches d'or et un haut d'armure sur elle et je me souvins de l'émotion qui m'avait envahi alors que je tombais à genoux devant elle, des larmes comme je n'en avais jamais versées coulant sur mes joues. Et je souris à ma princesse, même si elle ne me regardait pas à cet instant car son regard s'était posé sur Aldébaran, qui n'était pas très bavard ces derniers temps.
-Nikè n'est pas comme moi. Elle n'est pas née sur terre et n'a pas par la suite découvert qu'elle était une déesse. C'est une envoyée divine qui nous arrive de l'Olympe, mais en arrivant sur terre, évidemment, elle a perdu son immortalité, car son corps est devenu vulnérable, évidemment, si elle meurt, ne lui souhaitons pas, elle retournera sur l'Olympe ou à Élision. Toujours est-il que c'est Zeus qui lui a donné la permission de venir nous rejoindre sur la demande spéciale d'Héphaïstos...
Saori laissa couler son regard vers moi et hocha la tête avec joie.
-Nikè, continua Athéna, j'aimerais que tu ouvres ton coffret de bois et que tu expliques à mes chevaliers de quoi il s'agit.
Les deux jeunes filles avaient l'air ravi de ce qui allait se produire, et pour une raison étrange, je sentis que les battements de mon cœur s'accéléraient. Nikè ouvrit la boîte et je restai bouche bée. Non pas de ravissement, mais d'étonnement de ne trouver rien que vingt petits compartiments, dont deux vides, ou ne reposaient que des petits tas de cendres, de vulgaires... toutes mes pensées s'arrêtèrent, comme si j'avais perdu le contrôle de mon cerveau.
J'avais vu un grain de poussières scintillé comme... de l'or! Était-ce bien ce à quoi je songeais qui se trouvait dans ce coffret?! Non, je devais rêver... mais pourtant, c'était bien par Héphaïstos que la déesse de la Victoire était envoyée! Je faillis bondir de mon siège et me précipiter vers la boîte, pour l'arracher jalousement des mains de la jeune fille, mais je ne bougeais pourtant pas d'un pouce, et cachais mon émerveillement derrière le masque d'impassibilité qu'utilisait en permanence Camus.
-Mais, Athéna, de quoi s'agit-il? interrogea Aioros avec une expression d'étonnement égale à celui des autres hommes se trouvant dans la salle.
A part moi-même, je crois que Dohko était le seul à comprendre ce qui se trouvait dans le coffret. Je le voyais car il n'avait nullement l'air surpris, mais plutôt intrigué... et soulagé! Oui, il avait la mine terriblement soulagée. Comme moi, je pense. S'il s'agissait bien de ce à quoi je pensais, je n'allais pas mettre plus d'une semaine à travailler dessus, certes, en y passant peut-être trente-six heures par jours, mais, à la même heure, dans sept jours, nous serions probablement tous entrain de nous vider de notre sang au-dessus de...
Un sourire de gaieté presque enfantin dut se dessiner sur mon visage et Masque de Mort me regarda sans comprendre ce qui pouvait bien provoquer en moins cette soudaine et violente montée de joie et d'exaltation.
-Il s'agit en réalité des cendres de vos armures d'or, des armures des chevaliers de bronze et même de celle d'Athéna... commença Nikè en attendant avec impatience nos premières réactions.
Il y eut des exclamations qui fusèrent de toute part. Tout le monde observait son voisin, cherchait le regard de la personne d'en face et guettait les premières paroles d'Athéna.
-Nos cendres d'armure... murmura Camus alors que son visage reflétait pour une fois une émotion.
-C'est impossible! s'écria Saga en souhaitant de toutes les forces de son âme qu'il est tort.
-Au contraire... ce sont les restes de vos armures. Elles étaient certes d'une solidité quasi indestructibles et elles n'ont d'ailleurs pas été détruites dans l'Hadès car elles sont sans doute seulement irrémédiablement perdus, même les kamuis des Bronze Saints sont restées introuvables . Mais ces poussières sont le fruit du travail du Dieu de la forge et des armes, qui voulait apporter son soutien à Athéna, surtout lorsqu'on sait ce qui va se tramer...
" Enfin bref, il a réussi à fabriquer les poudres nécessaires à la construction d'armures encore plus puissantes que les précédentes, sur sa propre initiative mais aussi sur celle de Zeus. Ils étaient, et moi aussi d'ailleurs, tous deux très inquiets pour Athéna et ses chevaliers et vous venir en aide nous est apparu comme la meilleure solution. Je sais qu'il y a parmi vous un homme qui a connaissance de l'art de la réparation des armures...
Elle chercha du regard la personne de qui elle parlait et je lui fis un signe de la main pour lui montrer qu'il s'agissait de moi. Elle fixa alors ses yeux noirs sur moi et hocha la tête, tournant mieux le coffret dans ma direction pour que je découvre à mon aise ce qu'il renfermait.
-Voyez-vous... Mu? C'est bien cela! Ce n'est pas très dur à se rappeler puisque c'est comme votre Continent! Bon, bref, toujours est-il que cela ne devrait pas vous prendre très longtemps pour leur redonner vie. Personnellement j'ai bon espoir que vous y parveniez en cinq jours. Si vous deviez faire plus... non, je ne veux même pas y penser. Toujours est-il que le temps presse et que vous allez tous autant que vous êtes, devoir risquer vos existences pour qu'elles reprennent formes.
Il y eut un silence dans la salle car nous avions tous de quoi réfléchir pendant de longues heures. Cependant, Shura devait juger qu'il ne devait pas y avoir de moment d'hésitation et il posa son regard sur Nikè.
-Que nous y laissions la vie ou non n'a de toute manière pas beaucoup d'importance. Le principal sera donc que nous laissions à nos successeurs des armures en parfait état pour les prochaines Guerres Saintes.
Nous approuvions tous avec vigueur ses paroles, exceptés Athéna et Dohko, ce que je remarquais immédiatement. Je n'eus pas le temps de leur demander pourquoi, que Nikè reprenait déjà son discours, après que Saori lui eut murmuré quelque chose.
-Vous devrez, comme vous le savez déjà, vous vider des deux tiers de votre sang, entreprise très risquée mais malheureusement nécessaire.
-Athéna aussi? demanda Shaka de sa voix paisible et calme qui sonnait étrangement par rapport au contexte d'inquiétude et de surprise dans lequel nous évoluions tous.
-Oui, car dans le cas contraire, elle n'aurait plus d'armure pour se battre, ni maintenant ni dans sa prochaine réincarnation.
Shaka me regarda, du moins je le supposais car il avait ses yeux bordés de longs cils noirs fermés et le visage tourné dans ma direction. Se demandait-il lui aussi pourquoi fallait-il aller si vite pour réparer les armures? Non, il avait l'air de comprendre pourquoi, sans même que l'on le lui ait dis. Je l'enviais à ce moment, car j'avais du mal à saisir pourquoi le temps paraissait nous être compté. Pour que nous soyons si pressés, il fallait sans doute une raison valable, mais pourquoi aurions-nous eu besoin des armures dans cinq jours, car c'était bien le délai -impossible à tenir- que Nikè m'avait accordé. Je réfléchissais sur ce problème lorsque je croisais le regard d'Athéna. Elle s'était levée de son trône et elle nous sourit à tous de façon si mélancolique que l'on avait l'impression qu'elle nous voyait pour la dernière fois.
-Je crois qu'il est temps de vous mettre au courant de la situation, dit-elle, en marquant une pose car ce qu'elle avait à dire requérait sans doute le silence le plus absolu. Je ne voulais pas vous en toucher mot avant d'être certaine de ce que j'allais affirmer, mais maintenant, le doute n'a plus sa place ici et... Je crains, oui, je crains qu'il ne se trame quelque chose d'extrêmement grave. En effet, Zeus et Héphaïstos eux-mêmes se sont montrés anxieux face à ce qui allait se produire et je ne peux vous maintenir plus longtemps dans l'innocence de notre situation. Alors, écoutez-moi bien, mes chevaliers: Une nouvelle Guerre Sainte se prépare.
Un silence de mort envahit la pièce, froid et glaciale comme les attaques de Camus et je me sentais incapable de bouger ou de faire le moindre commentaire.
Je me contentais d'observer ce que faisait les autres. Guère plus que moi. Seuls Dohko et Shaka semblaient maître d'eux-mêmes, ce en quoi je les admirais car cette nouvelle avait de quoi faire perdre tout sang-froid à quelqu'un. La phrase de Saori était tombée comme un couperet. C'était impossible, nous ne voulions ni ne pouvions y croire. Nous n'allions pas devoir encore nous battre!
Mais, au fait, quel Dieu voulait nous attaquer?! Et pour quelles raisons? Cette dernière question m'apparut comme inutile. Par pure folie ou pour gouverner le monde et le genre humain. Cela dépassait mon entendement, et je fermais brièvement les yeux, pour me couper de cette réalité que j'avais tout à coup envie de fuir. Cependant, je savais que partir en courant ou se cacher la vérité était la solution des lâches, et par conséquent, certainement pas la mienne. Mais il me fallait me contrôler et poser des questions sensées à ma déesse, sans bafouiller ou hurler. Cela ne me ressemblait de toute manière guère de me comporter comme cela et je réussis bientôt à reformer ma carapace de protection et à reprendre mon air digne. Toujours pas le moindre son de voix. C'était comme si nous étions tous devenus muets subitement... si seulement nous avions aussi pu être sourds!
-Et...
Je me retournai brusquement car une voix venait de s'élever. C'était celle de Camus et elle me parvint avec difficulté, comme si j'étais entouré d'un épais voile, celui de l'incrédulité. Il me parut qu'elle était plus rauque que d'habitude. Il avait toujours l'air impassible et distant, même si je pouvais presque deviner son cœur battre à tout rompre sous sa tunique bleu et sa peau.
-Et à quel divinité aurions-nous affaire? continua-t-il, encore sous le choc de ce qu'on lui avait raconté mais essayant de camoufler au mieux ses émotions.
-Il s'agit d'Arès, le dieu de la Guerre. Il s'est lui aussi réincarné à notre époque, mais très récemment car le sceau que j'avais apposé sur son urne s'est brisé. Normalement, il aurait du encore tenir plusieurs centaines d'années, jusqu'à ma prochaine apparition sur terre, mais sa fureur en apprenant la défaite de son meilleur ami, Hadès, qui l'a toujours aidé dans ses combats face à nous, a du le pousser au réveil et... il doit préparer une offensive.
La voix d'Athéna était calme car elle savait parfaitement que l'énervement ne menait à rien, surtout dans pareil cas. Elle était toujours debout et posait l'une de ses mains sur son trône, comme pour y prendre appuie. Mais comment allait-elle faire pour combattre alors qu'elle était revenue du gouffre de l'enfer depuis à peine une semaine? Elle ne pourrait jamais tenir face à Arès, que l'on m'avait toujours présenté comme un dieu particulièrement agressif et cruel. Je voyais sa blancheur de teint, sa fatigue, pour ne pas dire son épuisement... Décidément Arès, avait su choisir le bon moment pour entrer en scène, celui en nous étions le plus affaibli. Et puis, c'était sans compter sur notre perte de sang! Nous ne pourrions jamais récupérer à temps pour le prochain combat! Nous avions certes une santé à toute épreuve, mais nous avions tout de même un corps humain, et par conséquent nous allions vite atteindre nos limites.
Je soupirais. En face de moi, Masque de Mort s'agita sur son siège. Il était loin d'être ravi et son expression le trahissait.
-Nous n'avons de toute façon pas le choix, commenta Saga en se massant les tempes quelques instants avant de laisser retomber ses mains. Nous avons fait vœu de toujours défendre l'humanité et notre planète, il ne nous faut donc pas perdre espoir... nous avons jusqu'à présent toujours cru que les Guerres Saintes étaient terminées, mais personne ne nous l'avait dis. Nous nous en sommes nous-mêmes convaincus parce que nous en avions envie. Mais ce n'est pas là notre destin et si nous devons encore une fois combattre le mal, nous ne devons pas nous avouer perdant avant même que la bataille soit engagée. Et tant qu'une déclaration de guerre n'a pas été envoyée, nous devons nous économiser au maximum, pour être prêt le jour dis.
-Bien parlé, Saga! s'exclama Shura qui partageait sans doute les mêmes vues que le chevalier des Gémeaux.
-Mais, Athéna? murmurai-je sans grand espoir d'être entendu alors que tous mes frères approuvait par de grands cris le discours qui avait été fait.
Kanon fut, je crois, le seul à m'entendre et il hocha la tête pour me montrer qu'il comprenait ce dont je voulais dire. Il m'invita même d'un geste du menton à rééditer ma question à notre déesse.
-Athéna... mais vous allez perdre deux tiers de votre sang alors que vous êtes à peine revenue des Enfers et vous devriez combattre après tout cela? répétais-je, sûr, cette fois, que j'allais être entendu.
-Ne t'inquiète pas, cela ira très bien et de toute façon, comme le disait tout à l'heure Saga, nous n'avons pas le choix. Et en sachant ce qui nous attend, aucun de nous ne perdra la vie dans la réparation des armures. Et puis, Nikè est de retour, nous ne pouvons donc que gagner. Et c'est aussi la première bataille ou vous, les chevaliers d'or, êtes tous ensemble réunis du même côté. Nous vaincrons Arès et les Berserkers, parce que nous le devons, nous le voulons... et nous le pourrons!
Elle avait un sourire confiant qui me rassurait, mais cela n'était pas suffisant pour m'affirmer que tout irait bien. Je jetais un coup d'œil au coffret de Nikè et levais ensuite les yeux sur la propriétaire de ces cendres divines. Elle avait les mains croisées sur la table, un regard serein et un demi-sourire assuré aux lèvres. Elle hochait la tête au discours de Saori et je me doutais qu'elle serait sans doute une alliée de taille.
La déesse Nikè s'était battue durant les époques mythologiques, notamment durant la guerre opposant les Dieux aux Géants qui avaient voulu renverser leur gouvernement, ou elle s'était illustrée auprès de Zeus, et de plus, je savais que la divinité qui avait la chance de l'avoir de son côté, avait généralement la victoire assurée. Et puis, cette déesse avait toujours servi, tout comme Athéna, la justice et le bien être de l'humanité. C'était sa première réincarnation auprès de notre déesse, car elle était habituellement simplement représentée par la statuette de l'armure de celle-ci. Mais maintenant qu'elle se tenait en chair et en os devant nous, cela nous prouvait que nous allions vaincre nos ennemis, c'était le bon côté de choses, mais aussi, et malheureusement, que l'Olympe avait de sincères préoccupations à notre sujet. Arès devait être encore plus puissant que je ne me l'étais imaginé!
Une vague sensation me revint soudainement en mémoire... mais de quoi était-il question? Ce devait être la nuit et... tout cela était si floue dans ma mémoire, comme un rêve que j'aurais fait et dont je n'arrivais pas à me souvenir. Une sorte d'aura, oui, quelque chose comme cela... elle était d'une force incommensurable, s'était étendue... ou cela? Je sursautai, me rappelant soudainement une nuit, ou, alors que j'étais à moitié endormi, plongé entre le monde de la réalité et celui du sommeil, j'avais éprouvé une terrible sensation de malaise à l'approche d'un cosmos maléfique... Arès évidemment. Le lendemain matin, je m'étais persuadé que j'avais simplement rêvé, mais l'émotion que j'avais éprouvée était bien restée gravée dans ma mémoire.
Je secouais la tête pour m'en débarrasser alors que je comprenais que la réunion était terminée. J'avais manqué les dernières phrases qui avaient été échangées mais cela ne comptait sans doute pas beaucoup. Tout le monde se levait et formait de petits groupes, parlant à grand renfort de haussement d'épaules et de commentaires, de ce que l'on nous avait appris. Je me doutais que Dohko nous parlerait bientôt des combattant d'Arès, les Berserkers... je n'avais nullement peur d'eux, bien loin de là, mais sans armure...
Je me dirigeai vers Nikè pour lui adresser la parole mais avant même que je n'ai pu faire un pas en avant, elle était sous mes yeux et me tendait le coffret qu'Héphaïstos lui-même lui avait confié. C'était un présent divin et unique au monde et je réalisais ma chance de tenir entre mes doigts une création qui venait de la main même du Dieu des armes et de la Forge.
Je restais quelques secondes pantois d'admiration devant la finesse prodigieuse du coffret de bois finement ciselé d'or, d'argent et de bronze et dont les fresques et les fronces compliquées donnaient un charme supplémentaire à la magnifique boîte. Mais plus encore que le coffret lui-même, ce qu'il contenait était merveilleux. C'était un don du ciel, un véritable miracle et je pouvais dire, sans peur de me tromper, que les dieux étaient de notre côté. Alors que je tenais l'objet serrer contre moi, je sentais presque des vibrations qui émanait de lui, ou plutôt des petits tas de poussières qui constitueraient bientôt nos armures. La force que cela dégageait me faisait comprendre que je mettrais en effet peut-être seulement cinq jours, en travaillant à un rythme effréné pour remettre en état douze Gold Cloth, cinq Bronze Cloth, et une armure divine, car je ne pouvais malheureusement pas reproduire les kamuis de Seiya et de ses compagnons et ce pour la simple raison que je n'en avais pas les plans. Je souris à cette déesse que je ne connaissais pas car je sentais le courage revenir en moi. J'allais travaillé dès ce soir, pour ne pas perdre de temps, car celui-ci, surtout en ce moment, était bien trop précieux.

Le fait qu'une nouvelle Guerre Sainte allait peut-être avoir lieu s'était répandu comme une traînée de poudre dans tout le Sanctuaire et les moments de liesse qui avaient été engendrés par le retour d'Athéna était à présent bien loin derrière, si jamais ils avaient existé!
Arès et ses Berserkers étaient dans chaque conversation, dans chaque esprit et dans chaque cauchemar. Les novices en parlaient entre eux, s'imaginant déjà entrain de terrasser au nom de la justice le maléfique Dieu de la Guerre et ses armées. Les chevaliers restants étaient beaucoup moins optimistes et se contentaient d'en apprendre le maximum, de tendre l'oreille lorsqu'un chevalier d'Or prenait la parole ou lorsque Athéna elle-même échangeait quelques mots avec l'un d'entre eux. L'arrivée de la déesse Nikè aussi avait valu quelques commentaires de la part de tout le monde seulement on ne voyait cette dernière que bien rarement, mais elle était facilement identifiable. Toujours vêtue de bleu pâle et un air pressé sur le visage, elle passait de temps à autre dans les arènes, pour voir ce qui s'y passait et pour apprendre, connaître et recueillir les réactions de tous sur les évènements qui se préparaient. La rumeur s'amplifiait de jour en jour et pourtant, personne ne la voyait se vérifier.
Dohko s'était même rendu sur Star Hill avec le consentement d'Athéna pour y lire dans les étoiles ce que le destin réservait au Sanctuaire. Mais le ciel lui-même semblait indécis, incapable de fournir une réponse concrète aux interrogations qui parcouraient comme un frémissement la population du Domaine Sacré. Il avait fait par de tout cela à Saori qui s'était montrée intriguée mais pas alarmée. L'affolement était mauvais conseiller et il valait mieux l'éviter. C'était ce que chacun se répétait à l'envie, sans pour autant réussir à faire taire ses angoisses perpétuels.
Les novices, à qui l'on avait vite expliqué qu'ils n'étaient décidément pas de taille à se frotter aux Berserkers et encore moins à Arès, avaient vite déchanté tout en montrant un courage et une foi en eux à toute épreuve, car ils prenaient exemple sur chaque chevalier du Sanctuaire. Si certains rêvaient de nuée de monstres arrivant sur le territoire d'Athéna, il n'arrivait pourtant rien de tel et chacun essayait de garder foi en l'avenir. Seiya et ses compagnons s'étaient rendus, depuis qu'ils avaient appris qu'Arès préparait une offensive, chez Athéna et ils avaient conversé durant des heures entières. Mais Saori refusait de les voir combattre, de les imaginer encore une fois le corps couvert de blessures, des larmes roulants sur leurs visage maculés de sang, serrés les uns contre les autres comme les enfants qu'ils n'avaient jamais été. Elle leur avait demandé de quitter le Sanctuaire, de reprendre des existences normales, d'essayer enfin de vivre pour eux et non plus pour leur cause ou pour les hommes.
Mais rien n'y avait fait. Ils s'étaient tous les cinq entêtés, répétant qu'il faudrait les expulser du Sanctuaire pour qu'ils en partent et qu'ils y reviendraient malgré tout. Ils voulaient participer à la bataille contre Arès, car ils avaient parfaitement conscience que leurs pouvoirs étaient nécessaires contre le dieu de la Guerre. Ils n'étaient pas question pour eux de se tourner les pouces et d'attendre patiemment l'issu d'un combat auquel ils n'avaient même pas été.
-Tu as besoin de nous, disait Seiya tout en étant touché par le fait que Saori voulait qu'ils vivent une vie normale.
Et c'était vrai, elle avait besoin d'eux. Et ils avaient besoin d'elle et de sa cause pour survivre. Leur véritable existence, à tous, résidait là, dans le Sanctuaire, dans des batailles pour des idéaux justes, dans des guerres durant lesquelles ils s'efforçaient de défendre le monde et ses habitants. Ils étaient en réalité comme les chevaliers d'or, ils voulaient vivre entièrement et pas dans des demi-teintes ou dans des sensations tièdes et sans parfums.
Tous autant qu'ils étaient, les chevaliers d'Athéna, la déesse elle-même, et maintenant Nikè, avaient conscience d'être le dernier recours de l'humanité, leur ultime de chance, leur seul espoir face aux forces des ténèbres que représentaient les divinités maléfique qu'étaient Hadès, Arès et encore bien d'autres. Ils étaient tous animés d'une foi inébranlable en leurs rêves de justice, d'égalité et de paix. Ils avaient beau agir dans l'ombre, cela n'avait aucune importance, la gloire ne les intéressait pas, ils ne cherchaient que le bonheur du genre humain et leur récompense résidait dans un geste amicale, dans un éclat de rire d'enfant ou encore dans un sourire qu'une personne adressait à une autre dans les rues d'Athènes. Ils étaient tout simplement des messagers d'espoir... mieux, ils étaient les chevaliers de l'espoir.
Que faisaient les Berserkers durant les cinq jours qui suivirent la réunion ou Nikè avait été présentée aux chevaliers d'or? Et que préparait Arès? Ces interrogations étaient sur toutes les lèvres sans que personne ne fusse capable d'y répondre. Mais cela était-il vraiment capitale? Non... il fallait avant tout qu'il leur laisse du temps, car c'était de cela dont il avait besoin et dont il manquait.
Mu travaillait jours et nuits sans relâche, assisté de temps à autre par Shaka, Athéna ou encore Nikè, car ils avaient tous des notions d'alchimie non négligeables et qui aidaient grandement le chevalier du Bélier, qui était parfois plus qu'irritable. Cependant, personne ne se formalisait de son humeur, car il allait de soi que le manque de sommeil n'était pas fait pour rendre aimable quelqu'un. Kiki aussi s'était attelé à la tâche de redonner vie aux armures et la poussière d'Héphaïstos s'était révélée absolument hors du commun. A peine avait-il été verser sur les cendres de la poussière d'étoiles, que des gerbes de lumières avaient jaillis, que des formes avaient commencé à apparaître et que les armures reprenaient peu à peu leur apparence originelle. Il y avait de quoi rester sans voix face à l'incroyable travail du Dieu des Armes et Mu n'arrivait souvent pas à s'expliquer comme tel ou tel miracle arrivait. L'aide divine était aussi avec lui, puisqu'il n'avait jamais manié ses outils avec autant de dextérité, de facilité et de brio.
Lorsque Nikè était arrivée, une pluie de bouts de météorites datant des âges mythiques s'était abattue sur le Sanctuaire et il avait été en récupérer quelques morceaux, car cette matière, dorénavant presque introuvable, était nécessaire durant la fabrication des armures.
Mu avait cru qu'il était impossible d'accomplir la tâche qui lui avait été confiée en cinq jours et pourtant... les heures passaient, se fondant les unes dans les autres pour bientôt former des jours, puis des nuits. S'il n'avait plus aucune notion de l'heure, il aurait même été incapable de dire si c'était le soleil qui brillait dans le ciel ou la lune... il réalisait malgré tout qu'il était entrain de respecter le délai imposé. C'était incroyable, invraisemblable... et pourtant, c'était entrain de se produire. Évidemment, il y avait un prix à payer, celui de la fatigue, voire de l'épuisement, mais il était bien léger par rapport aux merveilles qu'il accomplissait.
Shura et Aioros, puis Camus et Milo, s'étaient proposés pour lui tenir compagnie, car, même s'ils n'étaient pas d'une grande aide, ils avaient tous voulu le distraire en lui parlant, mais Mu envoyait généralement Kiki pour les mettre dehors en les refusant, ou plutôt en les congédiant, non sans une certaine mauvaise humeur. Il n'acceptait auprès de lui que les deux déesses et le chevalier de la Vierge, car ils savaient se rendre utile, ils comprenaient de quoi ils parlaient, et ils étaient même capables, pas toujours mais par moment, de le soulager en prenant en main les outils célestes.
Il avait d'abord cru que son matériel ne suffirait pas mais, une fois encore, il s'était trompé. Était-ce parce que les dieux eux-mêmes voulaient que l'entreprise arrive à bien? Était-ce parce qu'il avait réellement du génie et qu'il se trouvait durant ces quelques jours au sommet de son art? Un peu des deux sûrement...
Durant toutes les heures qu'il passait enfermé dans son atelier, il essayait de ne pas penser à Arès, au fait qu'il pouvait surgir, accompagné de l'une de ses quatre armées de Berserkers d'une seconde à l'autre. Et généralement, son travail lui occupait tellement l'esprit, qu'il y arrivait. Mais à chaque fois que l'on ouvrait la porte de la pièce ou il se trouvait, chaque fois qu'il entendait des bruits de pas sur les grandes dalles de marbre lustrées de son temple, il sursautait, frémissait, s'attendant à voir surgir un guerrier de l'empereur de la Guerre, prêt à se battre alors même que rien n'était terminé. Mais toutes ses craintes se révélaient injustifiées lorsqu'il découvrait le visage souriant ou serein du visiteur qui venait pour le soutenir et l'assister.
Et puis, le soir du cinquième jour, alors qu'il était seul et qu'il se trouvait dans l'allée de son temple parce qu'il avait sorti les dix-huit armures restaurées et une qu'il avait entièrement fabriquée à l'intention de Kanon et qui était la parfaite copie de l'autre, il releva la tête, cherchant ou remettre de l'Orichalque, ou verser une nouvelle dose de poussières d'étoile, ou redonner un coup de marteau céleste... Mais non...
Il tourna autour de ses oeuvres, et celles d'Héphaïstos, car il devait rendre justice à ce dieu surdoué. Il les passa en revue, les comptant, les observant. Il caressa d'un main presque amoureuse l'immense bouclier d'Athéna, il engloba du regard sa propre armure avant de tomber par terre, à genoux, la tête entre les mains et ses longs cheveux mauves se répandant autour de lui. Il avait terminé. Il était épuisé, à moitié mort de sommeil, mais heureux, car il avait réussi.
Oui, il avait réussi.


Aphrodite

Je me demandais qu'est-ce qui me valait le plaisir d'être réveillé en plein milieu de la nuit, par Camus qui me secouait comme un fou, comme si je n'étais qu'un vulgaire tas de chiffon mal empaqueté.
J'ouvris les yeux en grognant mais je remarquais immédiatement que son visage avait perdu sa majesté qui le rendait d'habitude si impassible et inatteignable. J'avais l'impression qu'un autre homme se trouvait sous mes yeux et je m'assis dans mon lit, essayant de me fixer sur ses paroles sans queue ni tête qu'il me lançait au visage. Je tentais de saisir au moins un mot ou deux pour reconstituer le message qu'il essayait de me faire passer... Armure... Mu... Fini!
Cela me suffit pour que je bondisse hors de ma chambre, que je jaillisse vers les escaliers menant à la maison du Verseau tel un diable sortant de sa boîte alors que Camus me suivait en courant, dévalant les marches comme le soir ou le cosmos d'Athéna avait envahi le Sanctuaire. Dieu merci, je m'étais endormi tout habillé sur mon lit, trop épuisé pour avoir la force de me changer et je réalisais que je n'avais même pas pris la peine de me coiffer. Mais Camus avait les cheveux aussi emmêlés que les miens, cela me consolait, et je décidais de jeter au loin mes considération qui voulait que j'aparraisse toujours décent et dignement devant Athéna.
Et puis, et surtout, je mourrais d'envie de revoir enfin l'armure des Poissons, mon armure. Je rêvais de la voir de nouveau m'éblouir par son aspect scintillant, par la force qu'elle dégageait et dont elle vibrait lorsque je la revêtait. Mais je devinais qu'avant de pouvoir faire cela, il allait nous falloir braver la mort et nous vider de notre sang. Mais je partais déjà vainqueur, même si je savais que cette entreprise était mortelle neuf fois sur dix. Il n'était pas impossible de réussir... mais tout de même très difficile.
Mais je n'avais pas le choix, et de toute manière, même si je l'avais eu, j'aurais donné les deux tiers de mon sang. Jamais armure d'or ne serait plus puissante et le jeu en valait la chandelle, c'était certain. Ce sacrifice ne serait pas inutile et je savais que j'en serai justement récompensé au moment ou je verrai mon armure sous mes yeux, encore plus belle qu'autrefois. Je ne craignais pas de mourir, non, et mon instinct me soufflait que rien ne pourrait m'arriver durant cette nuit.
Camus devait avoir les mêmes pensées que moi, alors que nous courrions côte à côte, si vite que le vent sifflait à nos oreilles alors que la brise n'était pas levée. Il fallait environ deux heureux pour traverser les Douze Temples des signes du Zodiaque quand il n'y avait personne pour vous arrêter, mais nous étions si pressés, si avides de nous retrouver devant nos nouvelles armures, qu'à peine cinq minutes s'écoulèrent entre le moment ou Camus et moi nous étions précipités dehors et celui ou nous avions franchi le seuil de la Maison de Mu. En dévalant les marches, nous avions vu des ombres s'élancer vers le pied du Sanctuaire et nous arrivions parfois à reconnaître Milo, tantôt Shaka et même Masque de Mort. Nous avions tous le cœur battant et les mains légèrement tremblantes à l'idée du plaisir que nous allions avoir en retrouvant nos compagnes de toujours.
C'est alors que je les vis.
Toutes installées dans un vaste cercle, toutes les dix-neuf, oui, il y en avait deux des Gémeaux... elles avaient leur forme initiale et j'aurais pleuré de joie en découvrant la mienne si je n'avais pas été en publique. Les cinq chevaliers de Bronze étaient là eux-aussi... ils tournaient autour de leurs armures et riaient, se racontant une quelconque plaisanterie que je ne pouvais pas entendre d'ou je me trouvais. Ils avaient l'air ravi et semblaient avoir retrouver cette intense envie de vivre depuis qu'Athéna était revenue parmi les vivants. Je savais qu'elle les voyait assez souvent, et qu'ils étaient proches d'elle, mais je supposais, j'en étais même certain, qu'elle comptait à présent plus sur nous pour assurer la paix du Sanctuaire et du monde. Cela me flattait et je comprenais qu'il n'était pas uniquement question de force et de puissance. Évidemment, nos pouvoirs étaient beaucoup plus étendus que ceux de Shun, Ikki et de tous les autres, mais, et surtout, ils devaient vivre une existence à peu près normale. Même s'ils résidaient en permanence au Sanctuaire, ce qui m'aurait étonné, car je me doutais bien qu'il y avait sur terre quelque endroit qui conviendrait mieux à leur nature, ils ne devaient plus avoir une vie faite de combats et de batailles.
Mais cette nuit-là, ils avaient autant que nous le droit de se trouver là, de rire, de vivre ce moment d'émotion qui serait sans doute orchestré par Mu. Celui-ci se tenait au centre du cercle et nous regardait, nous observait tous. Il avait de quoi s'enorgueillir de son travail, c'est ce que j'aurais fait à sa place en tout cas, mais il ne prêtait pas attention aux cris d'admiration que nous poussions en découvrant nos armures.
Il cherchait une personne du regard... pourtant nous étions tous là. Je recomptais mentalement tout le monde et pointant l'index sur chaque personne que je dénombrais. Je me frappais la tête du plat de la main... Athéna! Comment avais-je osé l'oublier! Mais que faisait-elle?
Comme pour faire taire mes interrogations, elle apparut à ce moment là dans l'entrée de la Maison du Bélier. Elle ne venait donc pas de la chambre sacrée et Nikè se tenait à ses côtés. Elles étaient l'une et l'autre habillées, coiffées, comme si nous étions le matin et j'approuvais d'un signe de tête car être prêt à tout instant et en toutes circonstances était une merveilleuse et rare qualité. Elles s'avancèrent d'un même pas vers le cercle, alors que Nikè se mettait un peu en retrait, là ou le jeune disciple de Mu... son nom... je ne l'avais pas oublié tout de même! Kiki, oui, quelque chose comme cela, se trouvait. Athéna rejoignait son bouclier, son sceptre et son armure. Je surpris le regard inquiet de Shura et d'Aioros alors qu'ils avaient les yeux posés sur elle. Dohko, Saga et Mu n'ont plus n'avaient pas l'air rassuré. C'est alors que notre alchimiste de génie prit la parole en se dirigeant devant son armure.
-J'ai donc terminé le travail et maintenant que je le vois, j'ai l'impression que j'ai accompli un miracle que je ne pourrais pas reproduire une seconde fois. Bref, je crois qu'il vaut mieux en venir directement au fait. Nous allons à présent devoir subir la partie la plus inquiétante de cette épreuve céleste, nous vider de notre sang, au deux tiers, ce que tout être humain normale serait incapable de supporter. Shiryu, Shaka et quelques autres chevaliers d'or, vous avez déjà une expérience de la réparation et puisque vous êtes toujours en vie pour en témoigner, c'est que c'est donc réalisable.
Il toussota alors que je me préparais déjà à m'ouvrir les veines.
-Les premières minutes sont les plus faciles, alors ne pensez pas pour autant que vous pouvez vous permettre de parler, ou de discuter avec votre voisin. Vous devez économiser toutes vos forces pour votre armure. N'oubliez pas qu'Arès et les Berserkers peuvent surgir à n'importe quel instant et que le temps nous est compté. Quand vous aurez perdu assez de sang pour que votre armure perde sa couleur grisâtre et retrouve son scintillement, Nikè viendra vous fermer vos plaies et vous emmener un peu plus loin, pour que vous puissiez vous reposer. S'il n'y a pas de questions, nous pouvons commencer immédiatement.
Seul le silence se fit entendre, alors que des frissons d'impatience me parcouraient.
C'est alors que je vis Shaka et Milo se fendre le poignet, à toute allure, provoquant une étincelle en dessinant ce mouvement. J'en fis de même et Masque de Mort et Kanon, qui se trouvaient à mes côtés ne tardèrent pas à m'imiter. Je lançai un coup d'œil à Athéna. Elle n'avait sans doute pas la force physique pour s'entailler les veines avec sa seule main et avait utilisé l'athamé qui lui avait permis de mourir pour partir aux enfers, durant la bataille qui nous avait opposé à Hadès.
Nous avions tous les bras tendus, au dessus de nos armures, alors que de longs filets de sang s'écoulaient des plaies béantes que nous nous étions nous-mêmes provoqués. Je me demandais combien de temps tout ceci allait duré. Deux tiers de notre sang... cela ne représentait pas rien. Dans moins d'une demi-heure j'aurais accompli mon devoir, et je serai probablement plongé dans un sommeil profond, car je savais cette épreuve épuisante. Je crois que c'était cette idée qui nous permettait à tous de rester debout, à attendre, à attendre que la vie s'échappe peu à peu de notre corps, doucement, lentement, irrémédiablement. Aucun de nous n'avait peur et nous avions le cœur bien accroché et les nerfs solides.
Si nous autres chevaliers d'or avions pu traverser toutes les dimensions, atterrir aux quatre coins de la planète et nous diriger malgré nos blessures vers le Sanctuaire, ce n'était pas cela qui allait avoir raison de nous, si les chevaliers de Bronze avait réussi à se remettre de leur ultime affrontement face à Thanatos, Hypnos et Hadès, ce n'était pas cela qui leur feraient plier genoux et si Athéna avait pu revenir à la vie du néant et revenir aux travers des ombres, ce n'était pas non plus cela qui allait la faire disparaître à jamais.
Toutes mes réflexions me réconfortaient alors que peu à peu, mon armure prenait la teinte rouge de mon sang. Je savais que d'ici peu de temps, la pièce commencerait à tourner autour de moi, que les bruits m'apparaîtraient comme déformés, que j'allais prendre une teinte bleutée et blanche assez terrifiante pour ceux qui ne l'avaient jamais vu. Je décidais, pour occuper mes dernières pensées logiques avant plusieurs heures, de regarder un à un mes compagnons.
Ils étaient tous concentrés sur ce qu'il faisait et je devais être le seul à songer à me distraire, à m'occuper l'esprit. Mu avait un air sérieux, au front d'Aldébaran perlaient déjà de petites gouttes de sueur pendant que Saga accomplissait cette épreuve avec noblesse alors qu'il lançait de temps à autres des oeillades inquiètes à Athéna qui était à côté de lui. Celle-ci avait l'air de bien supporter le choc mais sa peau déjà blanche perdait de plus en plus de sa couleur. Elle restait pourtant vaillamment debout, pour nous soutenir et ne se dépareillait pas d'un demi-sourire.
Kanon gardait, comme toujours, sa superbe, Masque de Mort paraissait s'ennuyer ou bien réfléchir, je ne savais pas trop. Cet homme était parfois aussi insaisissable que de la fumée. Aiolia avait l'air fier et Shaka serein, calme et presque reposant à regarder. En face de lui, Milo souriait sans doute à l'une de ses propres plaisanteries alors qu'Aioros et Shura gardaient leurs yeux fixés sur leur armures, comme si celles-ci s'apprêtaient à disparaître d'une seconde à l'autre. Enfin, venait Camus, l'impassible chevalier du Verseau qui ne bougeait pas alors que Dohko, lui, avait un air de volonté et de confiance qu'il ne perdait jamais.
Je décidais ensuite de tourner mon regard vers les chevaliers de Bronze. Shiryu et Seiya se murmuraient de temps à autres des paroles inaudibles, tout comme Shun et Hyoga qui paraissaient plus complice que jamais. Enfin venait Ikki, déjà revêtu de son armure car la capacité de restructuration de celle-ci était hors du commun. Je hochais la tête, envieux... certain avait de la chance! Et moi, de quoi pouvais-je avoir l'air? Comment les autres me percevaient-ils à cet instant? J'avais un regard lucide et perçant lorsqu'il était question des autres, mais quand il s'agissait de moi, ce n'était pas très facile. J'espérais que mon image était celle d'un homme gracieux et intelligent, plus malin et rusé qu'intelligent d'ailleurs. Enfin, cela n'avait pas beaucoup d'importance, après tout, du moins pour l'instant. Tant que je m'évanouissais pas, j'estimerai que j'aurais su me montrer digne de cette épreuve.
Je souris de façon imperceptible alors que le chevalier du Taureau s'effondrait dans un bruit sourd qui me fit brusquement relever la tête. L'entaille qu'il avait réalisé à son bras était beaucoup plus large que la notre, car sa stature le lui imposait et c'était sans doute pour cela qu'il avait déjà terminé. Je l'enviais presque car la sensation de devenir de plus en plus faible était des plus désagréables. J'avais l'impression de vivre un mauvais rêve et j'entendis dehors une chouette hululer. Je vis Saori qui faillit se mettre à rire car c'était son oiseau mais qui n'en avait plus la force. Elle était au bord de l'épuisement mais se tenait solidement campée sur ses deux jambes, prête à tomber que lorsqu'elle l'aurait décidé.
Masque de Mort, à mes côtés, s'assit par terre, tout en gardant son bras au dessus de son armure du Cancer, il fut bientôt rejoint par Milo, Aiolia, Aioros, Camus et moi-même car l'épreuve devenait de plus en plus pénible à chacun. Mais il n'était pas question de déclarer forfait, non, quitte à verser la totalité de mon sang, je réussirais à rendre sa brillance à mon vêtement de protection!
J'entendis soudainement un froissement de robe et cela me sortit, pour quelques secondes de la torpeur et de l'hébétude dans lesquelles je plongeais lentement. C'était Athéna, évidemment, qui avait failli se laisser couler à terre tant elle était fatiguée, mais elle était toujours debout, soutenu par le bras encore valide de Saga qui la tenait visiblement avec les forces qui lui restaient. Mais ou les puisaient-ils? Il ne voulait sans doute pas que sa déesse tombe et l'aidait à reprendre son équilibre, sans que celle-ci y parvienne. Je devinais qu'il la tiendrait de son bras jusqu'au dernier moment et je trouvais ce geste qu'il avait eu admirable. Aurais-je eu la même idée? Non... je devais le reconnaître, mais je l'aurais sans doute aider à s'asseoir... ma déesse. Je vis que Shaka, qui se trouvait à la gauche de Saori, n'avait pas remarqué ce que faisait Saga et il sursauta en le découvrant. Il s'empressa alors de venir à l'aide du chevalier des Gémeaux en aidant de son bras encore vierge de sang ce dernier. Il était dis qu'Athéna ne tomberait pas... ni maintenant, ni jamais.
Le moment ou tout devenait difforme et floue était arrivé pour moi et la dernière chose bien proportionné et clairement visible que je pus voir furent les quatre chevaliers de bronze restants, tombant au même moment, comme toujours, et Nikè se précipitant vers eux pour les guérir.
Pour ma part, je ne pouvais plus que me raccrocher à mon sens de l'ouie, car il ne me restait guère plus que cela d'utilisable étant donné que j'avais fermé les yeux et que j'avais perdu toute sensation du touché. Je me repérais au bruit pour savoir quel chevalier s'effondrait. Mu était sans doute à présent assis, tout comme l'orgueilleux Shura. Mais nous ne nous arrêtions pas. Seuls Dohko, Shaka, Saga et Kanon étaient encore debout, et Athéna bien-sûr... Nous devions sans doute avoir la peau d'une coloration étrange, un peu bleuté sans doute, cela ne devait pas être très saillant!
J'avalais difficilement ma salive. Jamais les minutes ne m'étaient apparues comme aussi longues et je savais que dans quelques secondes, je plongerais dans une sorte de demi-coma dont seul ma volonté pourrait me permettre de triompher. Je sentis que mon bras couvert de sang tremblait, que mes yeux pourtant fermés se révulsaient, que les battements de mon cœur ralentissaient pour devenir presque inexistants et alors que je tombais peu à peu dans cette semi-mort, j'entendis les cinq personnes encore debout s'effondrer par terre, d'un même mouvement.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.