Chapitre 18 : Le fils du Dieu des Océans


Qu'est-ce qui sépare un homme d'un dieu ? La puissance brute ? L'immortalité ? La compréhension de l'univers ? Ou serait-ce quelque chose d'encore plus considérable, une différence de nature qui ne peut tout simplement pas être franchie ? Et si c'est le cas, quel est donc le statut de quelqu'un qui unirait en lui ces deux natures ?

Toutes ses pensées traversèrent en une fraction de seconde l'esprit d'Arathorn tandis qu'il se jetait à son tour sur le Général Denby de la Sirène. Le fils de Poséidon se tenait toujours au même endroit, sa flûte dorée dans une main et un demi-sourire aux lèvres tandis qu'il regardait l'attaque glaciale de Janeel s'évaporer contre son cosmos flamboyant.

- Excalibur !

Le coup déchira l'air, fracassant dans sa course les dalles de pierre de la vaste salle. Mais Denby n'était déjà plus là au moment où il aurait dû l'atteindre. Il s'était décalé d'à peine un mètre, juste assez pour esquiver l'impact.

- Excalibur !

Déterminé à ne pas abandonner l'initiative, Arathorn enchaîna immédiatement sur une succession d'attaques de plus en plus rapides. En l'espace d'une fraction de seconde, Excalibur zébra l'air d'une myriade de traînées incandescentes, occupant tout l'espace à la fois sans laisser la moindre échappatoire.

Et pourtant, Denby se montrait toujours plus rapide, devançant chaque coup d'un instant infime, sans jamais se laisser rattraper, sans jamais même donner l'impression d'effectuer le moindre effort.

Au bout d'une longue minute, le Chevalier du Capricorne dût interrompre son offensive, (momentanément) épuisé par son effort intense. La vaste salle où ils se trouvaient actuellement, quelle qu'ait pu être sa destination première, était désormais jonchée de débris de pierre et de colonnes brisées.

Denby fit un pas en avant. Ses yeux brillaient d'amusement, mais il ne relâchait pas pour autant son attention sur ses deux adversaires. Arathorn s'efforça de reprendre son souffle. Sa maîtrise d'Excalibur s'était beaucoup affinée grâce à son dernier combat, mais la dépense d'énergie restait énorme et il était déjà fatigué. Pourtant, il n'osait pas laisser à leur adversaire l'occasion de passer à l'offensive. Il fallait que…

- Koliso !

Denby se figea sur place. Une multitude de cercles cristallins venaient de se matérialiser autour de lui, l'enfermant immédiatement dans une cage translucide. Arathorn vit aussitôt l'occasion qu'il attendait. Concentrant instantanément toute la force qui lui restait, il recourut une nouvelle fois à Excalibur.

Le cosmos doré de Denby s'embrasa au même instant, désintégrant aussitôt les cercles de glace, mais il était trop tard cette fois pour qu'il puisse esquiver. L'impact le percuta de plein fouet, le projetant en arrière sans qu'il puisse résister.

Une bouffée d'exaltation emplit Arathorn. Puis se dissipa comme si elle n'avait jamais existé. Le coup avait certes balayé Denby jusqu'à l'autre extrémité de la salle, mais le Général de la Sirène était pourtant toujours sur ses jambes. Bien pire encore, son écaille doré ne montrait guère que quelques fissures négligeable, comme si le cosmos qui l'entourait avait été suffisant pour amortir l'essentiel du choc.

Arathorn se sentit presque défaillir au moment où leur adversaire traversait la salle pour revenir jusqu'à eux. C'était à peine si une parcelle d'énergie demeurait encore en lui. Comment parvenir à vaincre un tel homme ?

Puis il remarqua Janeel, debout à ses côtés. La jeune fille se tenait immobile, comme plongée dans un état de concentration absolue. Elle avait joint ses mains au-dessus de sa tête et son aura s'était embrasée comme un feu glacé. L'air autour d'elle était d'une froideur indicible.

Denby était parvenu à une dizaine de mètres d'eux lorsqu'elle déclencha brutalement son attaque.

* * *

Alcyar était plongé dans un océan de douleur où il lui semblait se noyer. Les profondeurs glaciales l'attiraient à elles et une partie de lui ressentait le désir de se laisser sombrer, de glisser sans plus de résistance vers l'apaisement de l'oubli. Sa conscience, pourtant, continuait de lutter pour surnager.

Alcyar ! Accroche-toi, je vais te soigner ! Tu m'entends ? Accroche-toi !

Une voix. Mais qui cela pouvait-il bien être ? Alcyar avait presque l'impression de la reconnaître, mais le nom qui y était attaché lui échappait. Cela ne paraissait presque plus important, maintenant. Le froid s'était fait plus intense autour de lui, mais la douleur commençait au contraire à s'estomper. Il se sentait presque bien.

Alcyar !

Qui était-ce ? Mais qui était-ce donc ?

* * *

Les coups déferlèrent sur le général du Dragon des Mers comme une pluie d'étoiles filantes bleutées. Momentanément prise au dépourvu, Tyry ne put qu'interposer ses bras devant elle pour se protéger le visage. Les impacts lui martelèrent tout le corps en une fraction de seconde, absorbés en partie seulement par son écaille déjà endommagée. Tyry grimaça sous l'effet de la douleur, mais ne relâcha pas sa garde.

Une pause infime. Le jeune chevalier qui s'était précipité sur elle venait d'interrompre brièvement son offensive pour reprendre son souffle. C'était quelque chose qu'une combattante expérimentée comme Tyry ne pouvait pas laisser passer.

- Flying Sea Dragon !

Pris à contre-pied alors qu'il s'apprêtait à déclencher une nouvelle fois son attaque, Laramil vit la femme à l'écaille étincelante fondre sur lui à une vitesse insensée, cernée d'une aura destructrice presque aveuglante.

Laissé à lui même, il n'aurait pas eu le temps de réagir, mais ce n'était fort heureusement pas le cas. Au dernier moment, Myrtès le poussa brusquement en-dehors de la trajectoire de l'attaque et le coup qui aurait dû décapiter le jeune chevalier Pégase vint fracasser le mur qui se trouvait derrière.

Il fallut moins d'une demi-seconde à Tyry pour se remettre en position de garde.

Face à elle, les deux chevaliers se tenaient côte à côte, ayant embrasé leur cosmos. Myrtès avait posé une main sur l'épaule de Laramil, retenant le jeune homme qui paraissait vouloir s'élancer de nouveau à l'attaque.

- Général de Poséidon, fit le Chevalier de la Vierge d'une voix neutre, vous feriez mieux d'abandonner maintenant. Vous êtes blessée et nous sommes deux.
- Tu plaisantes, siffla furieusement Laramil ? Elle a tué Nyx et Erèbe ! Je vais…
- Vous n'êtes pas dans une situation tellement meilleure, répondit Tyry en ignorant le chevalier de Pégase. Quatre des vôtres sont déjà morts ou hors de combat. Deux autres sont arrivés jusqu'à Denby et vont se faire massacrer pour leur peine. C'est peut-être vous qui devriez abandonner. Je suis même prête à vous laisser la vie sauve si vous quittez ces lieux immédiatement.

Myrtès secoua la tête et vint se placer face au Général du Dragon des Mers, s'interposant entre elle et Laramil. Tyry réprima une grimace.
Elle avait cherché à provoquer une réaction impulsive du plus jeune des deux par ses paroles, dans l'espoir qu'il l'attaque de nouveau sans réfléchir. Mais son camarade ne semblait pas aussi aisé à déstabiliser.

- Bien entendu, reprit-elle d'une voix aussi sarcastique que possible, si vous préférez persister dans l'erreur, je…

Puis le cosmos de Myrtès s'enflamma et elle se tut brusquement. Il se dégageait de lui une impression de… puissance.
Mais ce n'était pas cela qui retenait vraiment son attention. Denby était plus puissant encore. Non, il se dégageait avant tout de lui une sensation de sérénité absolue.

- Général de Poséidon, dit Myrtès d'une voix infiniment harmonieuse, bien que ton cœur ne soit peut-être pas maléfique, tu obéis néanmoins à un dieu qui cherche à asservir l'humanité pour servir son propre orgueil. Tu es donc notre ennemie.

L'aura qui l'entourait s'accrut encore, toujours aussi paisible et pourtant d'une force sidérante. Et Tyry réalisa brusquement que, même sans être blessée, elle n'aurait pas pu égaler celui qui lui faisait face.

Sauf peut-être… un instant très bref… juste assez pour…

Le cosmos de Myrtès s'intensifiait toujours et Tyry réalisa subitement que cela n'avait plus d'importance. D'une façon ou d'une autre, elle ne survivrait pas à ce combat. Ce n'était pas quelque chose qui l'effrayait. Elle s'y était préparée depuis que Poséidon l'avait choisi pour le servir. Autant finir par une action d'éclat qui assurerait la victoire à son camp.

- Je te laisse finir le travail, Denby, murmura-t-elle dans un souffle.

Puis son cosmos explosa. Une force inhumaine parcourut ses membres en l'espace d'une fraction de seconde. Le sang se remit à couler de sa blessure, mais Tyry ne le sentit pas. Son esprit était plein d'une fureur presque divine qui ne demandait qu'à être libérée. Maintenant !

- Final Sea Dragon !

Au même instant, Myrtès projetait sa propre attaque.

- Par la Capitulation du Démon !

Laramil dut se protéger les yeux pour ne pas être aveuglé par la déflagration terrible qui emplit l'espace juste devant lui, secouant les murs du temple comme l'un des séismes de Poséidon lui-même.

Lorsqu'il put voir de nouveau, la destruction qui l'entourait était indescriptible. De larges quartiers de roche gisaient çà et là, épars.
Le sol de pierre était creusé de profondes failles et d'un large cratère là où s'était produit la rencontre des deux attaques.

Tyry était morte, cela ne faisait aucun doute. Elle gisait sans vie dans une mare de sang qui allait en s'élargissant, ses cheveux blancs de neige désormais écarlates. L'écaille du Dragon des Mers qu'elle avait porté avait été littéralement désintégrée par la violence du choc.

Myrtès était toujours debout, mais il semblait éprouver de la difficulté à se maintenir sur ses jambes. Son visage était très pâle et du sang maculait son front, même s'il ne semblait pas être autrement blessé. Laramil vint le soutenir avant qu'il ne s'effondre.

Et ce fut alors qu'il vit : l'attaque de Tyry n'avait pas véritablement affecté Myrtès, mais elle avait eu un effet presque aussi dévastateur. Le plastron de l'armure d'or que portait le jeune aveugle avait été presque totalement détruit par l'impact et l'aura de puissance qui en émanait d'ordinaire s'était évanouie.

L'armure de la Vierge était morte.

* * *

L'humeur de Jaelrina était inhabituellement sombre tandis qu'elle travaillait à sa dernière création. L'arrivée subite - l'un des coffres s'était matérialisé juste au-dessus d'elle et avait failli l'écraser sous son poids - de réserves plus que suffisantes d'orichalque était pourtant un signe que la mission des chevaliers se déroulait bien. Mais Jaelrina ne pouvait s'empêcher d'éprouver de sombres pressentiments. Son sixième sens était peu développé, elle en avait conscience. Mais il s'était pourtant affiné sous la tutelle patiente d'Alcyar, suffisamment pour qu'en ce moment, elle ait acquis une certitude.

De tous les chevaliers qui étaient partis pour l'Atlantide, plusieurs avaient déjà trouvé la mort. Et plusieurs la trouveraient sans doute encore.

Son maître lui-même en réchapperait-il ? Jaelrina ne parvenait plus à sentir la moindre trace de sa présence. Elle espérait que c'était seulement dû à la distance ou à quelque chose de ce genre. Elle espérait que cela ne signifiait pas autre chose. Alcyar paraissait toujours tellement maître de lui. Il ne se serait sûrement pas laissé blesser. N'est-ce pas ?

La jeune nubienne passa une main nerveuse dans ses longs cheveux blancs tandis qu'elle examinait l'armure en train de prendre forme devant elle. Elle aurait voulu savoir où se trouvait Athéna en cet instant, ne fut-ce que pour se sentir réconfortée. Mais la déesse aux yeux pers avait disparu. Avait-elle choisi ne pas intervenir ? Ou se préparait-elle au contraire à agir personnellement ? Jaelrina n'en avait aucun idée.

L'idée qui hantait pour l'instant son esprit, c'était ces neuf chevaliers qui était parti se battre dans le domaine même de leur ennemi. Combien étaient déjà mort et combien mourraient encore pour accomplir ce but ? Pourquoi ces sacrifices étaient-ils nécessaires ? Où était la justice divine dans tout ce qui arrivait ? L'esprit habituellement pur de Jaelrina se chargeait de colère et de rancœur à ces pensée.

Et ce fut dans cet état d'esprit qu'elle poursuivit sa création, celle d'une armure d'immortalité dont la forme se dessinait peu à peu comme celle d'un grand oiseau.

* * *

La vaste salle du temple évoquait désormais quelque enfer de froid et de glace qui serait apparu dans le monde terrestre. L'attaque surpuissante de Janeel avait recouvert murs et colonnes d'une épaisse couche de givre, donnant au tableau un caractère féerique que venaient rompre les nombreuses marques de destruction qui s'offraient à la vue.

- Janeel, tu vas bien ?

Respirant avec difficulté à travers son masque métallique, la jeune femme esquissa néanmoins un faible hochement de tête. L'attaque était apparue presque spontanément dans son esprit et elle avait su l'exécuter avec une facilité déconcertante. Mais la puissance colossale qu'elle avait ainsi dépensée en l'espace d'une fraction de seconde l'avait vidé de toutes ses forces. Ses jambes lui paraissaient fragiles comme des brindilles et elle s'étonnait presque de ne pas s'être encore laissé choir au sol. Elle vit Arathorn tendre une main pour l'aider à rester debout, puis s'immobiliser.

Dans la salle glaciale, un air de flûte lent et moqueur se faisait entendre.

Les deux chevaliers d'Athéna se retournèrent vers le centre de la salle, redoutant d'avance ce qu'ils s'apprêtaient à voir.

Denby se tenait debout à une dizaine de mètre d'eux, les yeux mi-fermés. Il avait porté sa flûte à sa bouche et s'en échappaient des notes d'une pureté douloureuse, qui transperçaient le cœur et déchiraient l'esprit.

La dernière attaque de Janeel l'avait certainement touché, mais lui-même ne montrait aucune trace de blessures. Son écaille de la Sirène était recouverte d'une couche de givre scintillant et des fissures à peine perceptibles y étaient apparues sous l'effet du froid intense.

Mais Denby lui-même n'était nullement affaibli. Arathorn et Janeel tentèrent d'enflammer à nouveau leur cosmos pour déclencher une nouvelle attaque malgré leur état d'épuisement intense. Mais aucun des deux ne put même esquisser un geste. La mélodie s'était refermée autour d'eux comme la toile d'une araignée et ils ne pouvaient déjà plus lui échapper.

La résistance est vaine. Il n'y a plus de bravoure, plus d'héroïsme. Plus rien que le sommeil.

La voix de Denby emplissait leurs esprits alors même qu'il jouait toujours de la flûte. Arathorn et Janeel se forcèrent à résister, puisant dans toute leur volonté pour ce faire. Mais leur corps avait déjà cessé de leur obéir. Leurs membres étaient comme fait de plomb et ils ne pouvaient plus esquisser le moindre geste.
La même panique les traversa tous deux à cette réalisation et ils s'efforcèrent de se libérer de cette emprise invisible. Mais ils n'avaient ni la force, ni la connaissance nécessaire à cela.

Denby cessa brusquement de jouer et un sourire se dessina sur ses lèvres. Il tendit une main et son cosmos semi-divin s'embrasa autour de lui, allumant des reflets irréels dans la salle gelée. Face à lui, Janeel et Arathorn luttaient toujours.

- La victoire est trop facile.

La déflagration qui s'ensuivit se réverbéra à travers la totalité du temple immense et tous les chevaliers qui s'y trouvaient encore l'entendirent, au même moment où ils sentaient deux nouveaux cosmos s'éteindre subitement.

Le sang n'avait pas fini de couler du côté d'Athéna.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.