Chapitre 5 : Khan


La première fois que j'ai entendu ce nom, j'avais quatre ans et demi. C'était il y a très très longtemps, sur une autre planète dans une autre galaxie… Mon père essayait de nous expliquer, à Telliaan et à moi, que dans peu de temps nous allions devoir quitter le palais pour une longue période, afin de recevoir l'entraînement que notre statut de Warlords nous obligeait à suivre. Nous allions passer vingt longues années sur la planète la plus hostile du système de Kandalaar, celui sur lequel régnait mon père, en compagnie des enfants de ses officiers, et sous la tutelle du vénérable Mathusalem.

Beaucoup de légendes couraient alors sur l'antique maître d'armes de mon père, mais toutes se rejoignaient sur un point: c'était l'homme le plus dur et le plus sévère qui fût. Aussi n'étions nous pas vraiment enchantés de la perspective de passer toute notre enfance et notre adolescence en sa compagnie.

Et c'est là que mon père a mentionné le nom de Khan. Il nous a expliqué que c'était un tyran cruel et sanguinaire qui menaçait notre société, et par conséquent tout ce que nous aimions, et que notre devoir était de nous former pour être capable de nous défendre contre lui. Même à notre âge, nous avons compris cet argument. Nos parents nous avaient inculqué le sens du devoir en même temps que nous recevions nos premiers biberons, et nous avions compris que notre position privilégiée était plus un sacerdoce qu'une vie de luxe et d'oisiveté.

Je n'ai vu mon père que sept fois sur les vingt années que nous avons passées sur K11. Il avait rejoint le camp de l'Empereur et luttait avec acharnement contre les forces de Khan. Souvent il me faisait part de son souhait de débusquer le tyran, que personne n'arrivait à localiser, et d'en finir une bonne fois pour toutes avec lui.

Ce vœu se réalisa, pour finir, deux ans après notre retour au palais. Malheureusement, la force de Khan était telle que, malgré l'aide du puissant Warlord Fen'khar, le bras droit de l'Empereur, mon père ne put venir à bout de son adversaire. En dernier recours, il se résolut à l'enfermer dans une fracture interdimensionnelle. Cette tactique était particulièrement risquée, car en cas d'échec elle condamnerait mon père, vidé de son énergie, à une mort certaine, mais elle paya, et mon père revint en triomphe nous retrouver sur K3.

Mais malgré sa victoire, il était comme miné par de sombres pensées, que son épuisement à lui seul ne parvenait pas à expliquer. Et de mon côté, je ressentais un trouble au sein de mon cosmos, comme si un autre cosmos, qui lui était lié, avait d'un coup disparu. J'étais certain que mon frère avait la même impression, bien que nous n'en avions jamais parlé ensemble. Et avant de prendre connaissance de l'opinion de Telliaan, je me suis décidé à en discuter avec notre père. Grave erreur, mais alors je ne le savais pas.

Quand j'ai mis mon père au courant, j'ai tout de suite remarqué dans ses yeux une lueur malsaine, comme s'il appréhendait cet instant où je viendrais le trouver, et comme s'il savait déjà de quoi il retournait. Ses premières réponses furent on ne peut plus évasives, mais à force de le questionner je parvins à le faire parler.

Il commença par me raconter l'enlèvement dont avait été victime ma mère neuf mois avant notre naissance. Elle avait disparu pendant trois jours, et on l'avait retrouvée errant, hébétée, dans les bois qui entouraient le palais. Il me fit part de la crainte qu'il avait éprouvée de ne plus jamais la revoir, et de sa joie quand elle avait été retrouvée. Il me parla aussi de notre naissance, et du bonheur qu'elle avait apporté dans son cœur.

Puis après un hésitation il enchaîna en me racontant son combat avec Khan. Un combat durant lequel le tyran avait énormément parlé, et lui avait raconté une petite virée qu'il avait faite sur K3 (ce sont les termes que mon père a utilisé, et je soupçonne fort qu'ils soient de la bouche de Khan) vingt-huit ans auparavant, et qu'il était par hasard tombé sur une jeune femme qui se promenait.

Mon père avait un sourire étrange sur le visage, un sourire comme je n'en ai jamais plus revu depuis. Il y avait un mélange de tristesse et de colère dans ce sourire, qui m'effraya au plus haut point. J'étais jeune, mais je savais de quoi était capable quelqu'un qui souriait de cette façon…

J'ai empêché mon père de continuer d'un geste de la main. Je l'ai fixé droit dans les yeux, et je lui ai ordonné de me regarder lui aussi. Et j'ai fait un geste de la main de ses yeux vers les miens. Ils étaient en effet parfaitement identiques. Je lui ai demandé de quelle couleur étaient les yeux de Khan, et il m'a répondu qu'ils étaient noirs, que toute sa cornée était d'un noir brillant. Alors je lui ai souri, et je lui ai proposé de faire un test d'ADN pour compléter ma démonstration. Ce que nous avons immédiatement fait.

Et nous avons eu une petite surprise.

Deux jours plus tard, mon frère tuait notre père dans un accès de rage destructrice. Je l'ai poursuivi dans toute la Galaxie d'Andromède et pour finir nous en sommes sortis, en proie à un combat d'une intensité que vous ne pouvez pas imaginer. Et puis, arrivés dans cette région de l'univers, où ne régnait alors que le néant, lors d'une attaque particulièrement violente, nous avons causé un big bang miniature. Cela arrive parfois quand deux forces très importantes entrent en résonances. Il faut pour cela qu'elles soient de même intensité et de même nature, ce qui était le cas puisque nous sommes jumeaux. Et ce big bang a créé la Voie Lactée, et provoqué la naissance de Hadès, Zeus et Poséidon, ainsi que beaucoup d'autres, qui sont morts depuis. La naissance des immortels.

Quant à la surprise dont je vous ai parlé à propos du test d'identification ADN, voici ce que j'en ai conclu avec huit milliards d'années de recul.

La comparaison entre nos deux structures d'ADN révélait de nombreux points communs. Il n'y avait pas de doute, le mien descendait du sien. Et pour la moitié des différences, elles provenaient de ma mère. Mais le reste n'était pas du même type. Et nous n'avions aucun moyen de savoir d'où ces différences pouvaient provenir. J'y ai énormément réfléchi depuis, et j'ai élaboré une théorie sur ce qui s'est réellement passé, à partir de ces différences, de ce que Khan a raconté à mon père et de ce que nous avions ressenti, mon frère et moi, à la disparition du tyran. J'ai pratiqué de nombreuses expériences génétiques, et dans une moyenne d'un cas sur un million, le résultat a été ce que j'attendais.

Voici ma théorie: au départ il n'y a eu qu'un œuf de fécondé par mon père. Mais ma mère avait sécrété plusieurs ovules. Et sur la base de ce Khan a raconté, je déduis qu'un deuxième ovule a été fécondé, lorsque Khan a abusé de ma mère au cours de sa disparition. Nous sommes donc en présence de deux œufs différents, des demi-frères en quelque sorte. Mais pour une raison que je ne parviens toujours pas à m'expliquer, il s'est produit ce que j'ai pu constater au cours de mes expériences: les deux œufs ont fusionné. Ça arrive assez souvent en présence de jumeaux qu'un des embryons absorbe l'autre, c'est un fait connu des généticiens, mais dans des cas exceptionnels, les ADN des deux embryons fusionnent pour ne plus former qu'un seul être, né non pas de deux, mais de trois parents. Et ensuite l'œuf ainsi formé s'est divisé de nouveau pour donner deux personnes génétiquement semblables, les vrais jumeaux que nous sommes, mon frère et moi.

D'une certaine façon, nous avons deux pères. Dont un est sans conteste un monstre qui s'apprête à revenir assouvir sa soif de pouvoir.

Le dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention, c'est qu'en aucune façon, Khan n'aurait pu se libérer seul de sa prison interdimensionnelle. Vous connaissez Saga, qui fut il y a très longtemps le Chevalier d'Or des Gémeaux, et qui est maintenant à mon service. Il parvient à ouvrir des portes entre les dimensions et à envoyer ses adversaires dans d'autres lieux. Ici ce n'est pas le cas. Khan a été emprisonné dans l'espace entre deux dimensions, là où théoriquement il n'y a rien. Et surtout pas de Big Will ou d'Energie. Rien qui aurait pu l'aider à s'échapper. Et s'il y parvient maintenant, c'est soit qu'il a reçu de l'aide de l'extérieur, soit qu'il a fini par trouver dans le néant quelqu'un ou quelque chose qui pouvait lui permettre de sortir. Et dans n'importe quel cas, il s'agit d'une entité extrêmement puissante et dangereuse…

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.