Chapitre 4 : Réveil


" Je suis une Force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! "


***

Dans la chambre du quartier médical, faiblement éclairée qui recueillait quasi religieusement la respiration régulière de Han, les gazouillements des enfants nouveaux-nés, la peur étreignait Leia.

Quelque chose dormait en elle. Restait un pas à franchir pour le découvrir, mais celui du non-retour. Et c'était un lancinant appel au changement, de ceux qui sont irrémédiables, qui lui vrillait le cœur.
Mais l'inconnu l'effrayait. Elle craignait de laisser le potentiel vierge et malléable de ses enfants à d'autres mains que les siennes. Et même si elle aimait profondément Han, son nom même, Solo, n'était que trop lourd de menaces. Oui, elle avait peur que ce changement qu'elle sentait sourdre en elle précipite l'effondrement de certaines relations.
Il y avait par ailleurs ce besoin impérieux de savoir ; elle était si proche de se trouver. La réponse à toutes ses questions existentielles était , pensa-t-elle une main crispée à ses tempes. Avait-elle seulement le droit de refuser une telle opportunité alors que certains êtres n'y accédaient même jamais ? Ou faisait-elle preuve d'un égocentrisme démesuré en se trouvant de beaux petits arguments ?
La peur me cerne de tout côté. Et je me dois d'affronter mes peurs. C'est le changement que je crains. C'est le changement que je vaincrai.
Et cette pensée - bon sens ou inconscience fébrile et euphorique peu lui importait- annihila toutes les autres. Elle riva la douceur de ses yeux noirs sur la silhouette de son époux endormi. Si calme, lui qui ne se doutait pas naturellement de ce qui se tramait à deux pas de lui. Parfois, il me semble que je te connais depuis toujours. Son regard glissa ensuite vers ses amours de bébés. Leurs cheveux blonds, délicatement effleurés par le halot de la lampe, formaient une étrange auréole, encadrant joliment la soie de leurs yeux bleus.
Petit adieu bien triste. Tout serait différent, après. Et Leia était à cours d'intuition, c'était une certitude.
Debout, paupières closes (pour ne plus être tentée de prolonger ces paisibles instants ?) Leia se fit une raison, aussi prête qu'elle le pouvait pour l'introspection de sa vie, la quête absolue de son être. Elle ne pouvait plus retenir davantage le flot de l'inéluctabilité. Non plus que rester obstinément sourde à ses peurs. Déterminée, elle alla à la rencontre de ce… (et le mot vient tout seul)… de ce nom qui allait lui donner la puissance de renaître, de s'affranchir de ses appréhensions. De se vaincre, elle, Leia. De changer puisqu'il ne lui restait que cela à faire.
Debout, paupières closes (pour la concentration) Leia lança le peu de Force qu'on lui avait appris à déployer. Que Luke lui avait appris à déployer... Luke… et sa dernière pensée fut pour lui.
Puis le temps devint progressivement une notion des plus abstraites à mesure qu'elle plongeait dans un chaos inquiétant et tumultueux. Plus elle s'enfonçait dans les limbes de son propre esprit plus pensées, anticipations anxieuses et visions passées s'entrechoquaient violemment. Et le trop plein de couleurs qui en naissait finit par exploser, sous l'assaut des collisions répétées, en un noir impénétrable et envahissant. Le temps stoppa net sa course folle.

" Tout notre savoir est lié à la conscience. Nous ne pouvons connaître l'inconscient qu'en le rendant conscient. " Freud.

Bribes de désirs insensés dans lesquels elle ne se reconnaissait nullement, il lui sembla errer longtemps apeurée en des contrées obscures. Mais beau leurre en vérité car aucune dimension temporelle n'avait plus de prise en ces lieux.
Et soudain elle vit poindre une lumière timide, tremblotante. Sans plus se préoccuper des ombres qui la happaient plus encore, mâchoires toujours plus voraces, elle se hâta de suivre ce guide. Et c'était miracle que cet infime bourgeon couleur de lune résiste à pareilles noirceurs agressives. Tout semblait se précipiter autour d'elle, flot bouillonnant. Mais Leia fit si bien qu'elle parvint bientôt à rejoindre l'éclat.
Elle le contempla alors : une tendre sphère d'orbe argentée, est-ce vraiment cela qu'elle avait craint ?
Oui.
Car c'était la conscience de ses vies précédentes.
Et Leia comprit qu'elle faisait partie intégrante de ce cycle, qu'il lui fallait prendre sa place et se purifier de l'obscurité dans laquelle elle avait baigné jusqu'alors. Sans peur, elle s'offrit tout entière à la lumière.

Il fallait se défaire des ombres, de l'ignorance. Et puisqu'il fallait s'éveiller, il fallait mourir…

Une chaleur ténue s'insinua en elle. Douce, elle fit éclore délicatement quelques bourgeons de lucidité, çà et là, et plus loin puis partout sur son passage, couleur sang et cœur. Ces idées formaient une flore dense et compacte qui toujours grandissait. Les fleurs, écarlates, en vinrent à fusionner et ce fut un fleuve qui naquit de leur étreinte flamboyante. Et cela enflait encore et encore, sans mesure, sans limite et bientôt sans plus de respect aucun. L'espace si restreint, la pression si forte achevèrent de transformer le fluide… en une morsure virulente, un étau brûlant, un foyer déchirant de ses flammes vigoureuses la moindre parcelle de son petit esprit, impuissant, soumis en définitive. Mais - ah ! - ce torrent de lave, rugissement furieux ou complainte sinistre, dernier sursaut de vie ou force vive et destructrice peu importait. Cette connaissance tuait. Un point c'est tout. Tuait Leia car seuls les Dieux y avaient accès aussi pleinement. Ce savoir absorbait Leia, se l'appropriait. Car elle n'était rien pour lui. Il se suffisait à lui-même. Et souffrance et plaisir se rejoignaient aux extrêmes, c'était à n'en plus douter. C'est donc cela la mort…

Qu'en renaisse…

Et à la fin, où plutôt lorsqu'il ne subsista plus rien que ce savoir, surgit un semblant d'harmonie brute, s'agencèrent les syllabes inaltérées, parut la fatale explosion de pouvoir…

A…

Le heurt fut brutal bien qu'attendu.

…THE…

Ce fut l'esprit de Leia, annexé par l'unique conscience de toutes ses vies antérieures, qui se réveilla tout entier à cette vérité et se propagea alentours annihilant toutes les ténèbres alentours.

… NA !

C'était fait.
L'être ainsi crée sut qu'en plongeant dans cette étrange lumière toutes les barrières sensorielles avaient cédé sous la pression du savoir ancestral. Occultant les seules et maigres assurances de l'humain en ce monde : les perceptions. La Force était devenue sa seule certitude alors. Et cela lui avait fait franchir l'infini.

Le temps reprit ses droits brusquement. Les neuf sens étaient assimilés. Il n'y avait plus qu'une entité unique car cela devait être. Athéna vivait.

J'ai retrouvé et mon nom et mon âme. Elle se récita : " Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve. "
Et elle ouvrit alors des yeux véritablement neufs sur le monde. Car, bordés de gracieux nuages de cils, les iris de marron en étaient passés… pers. A ce miracle, il y eut deux petits témoins, main potelée dans main potelée. Comme Han dormait toujours, Athéna retint un éclat de rire, attestant par-là même de la maîtrise qu'elle avait de son corps : Vous ne pouviez qu'être les premiers à me reconnaître ! Et sous ses yeux divins, les jumeaux glissèrent, épuisés, dans les bras de Morphée.

***

Cela n'avait été qu'un infime contact, n'ayant duré que le temps éclair d'une pensée. Mais cela n'avait pas été léger, loin de là même, car chargé d'une puissance incommensurable. Et d'autant plus terrifiante qu'elle avait été aussitôt maîtrisée, contenue. Simultanément….

***

" Je suis une Force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur fa… "

Tapi dans l'ombre, Icarion interrompit son étrange litanie et ouvrit subitement les yeux. Il y eut quelques étincelles dans le noir en même temps que l'image fugace d'une beauté dure. Buisson épineux de boucles cassées, nez droit et ligne de maxillaires se durcissant sensiblement. Mains crispées, tordant le tissu rêche d'une cape. Il n'était pas content...

***

A plusieurs niveaux de là, la douleur disparut un instant de la poitrine d'Odul. Un petit sourire détendit ses traits endormis.

***

Et d'autres dormeurs avec Odul, parmi les plus puissants à bord sans nul doute aucun, eurent le même sourire au même moment, sans s'en éveiller le moins du monde. Jude Thaddée fut de ceux-là. Mais…

***

Mais cela tira Luke de son sommeil...

Cela ne provenait nullement des jumeaux, pensa-t-il. Leur Cosmo-Energie était discernable depuis des mois. Aisément identifiable. Et leur don allait croissant certes, mais aussi progressivement. L'accouchement n'avait eu ni d'incidence ni d'effet catalyseur sur cette tendance. De cela, il était certain car il avait été présent : il avait supporté de sa Force sa sœur presque ivre de douleur. Non ce n'était décidément pas les jumeaux.
Et soudain, son instinct Jedi lui fit entrevoir ce que son cœur refusait obstinément d'envisager : Cette Force émanait de Leia !! Et ce même cœur rata un battement en la reconnaissant, ayant entraîné sa sœur aux prémices de l'art Jedi. Mais Luke sut confusément que cet instant était le fait d'un éveil si total et si brusque qu'il était presque logique d'avoir écarté cette possibilité. De s'être un temps dérober à cette éventualité… ou plutôt à cet état de fait.
Son effroi fut grand de constater que la puissance dégagée n'avait aucune commune mesure avec le potentiel qu'il avait cru déceler jusque là chez Leia. D'ailleurs cela échappait magnifiquement à toute comparaison ! C'était une échelle de valeurs à elle toute seule, cette puissance, c'en était presque irréel, impensable.
Ses autres souvenirs perceptifs, même les plus intenses, étaient totalement éclipsés par ce qu'il venait de vivre : une perturbation de la Force sans précédent pour sa jeune âme.

Et pourtant Luke en avait vécu.

La mort de l'Empereur Palpatine avait été un tourbillon de Force brute, d'éclairs fous et bleutés, puis… plus rien. Comme si elle s'était consommée elle-même… Ou plutôt comme Luke se l'était toujours dit : comme si elle avait été entièrement absorbée par quelque chose... Quoi qu'il en soit, le déséquilibre brusque que cela avait engendré avait profondément affecté Luke et son père. Ce dernier, déjà fort affaibli par les combats qu'il avait livrés, n'y avait pas survécu.
L'instant de sa mort avait entraîné un autre sursaut cosmo-énergétique. Mais tout comme Ben et Yoda avant lui, Anakin s'était éveillé à un stade de la Force tel qu'il avait dépassé la mort elle-même. Leurs âmes à tous trois subsistaient donc, fantomatiques empreintes psychiques, ancrées dans un état tout autre que matériel. Le lien avec la Force n'avait donc jamais été véritablement dénoué et le choc de leur mort en avait donc été atténué d'autant.
Or, ce que Luke avait expérimenté - Grand Dieux ! (Car il est des choses qui font croire) - dépassait tout cela si pleinement que c'en était bouleversant.

Et dans l'obscurité relative de la chambre il y eut comme un sanglot étouffé.

Deux bras agrippèrent convulsivement un oreiller ; deux lèvres tremblèrent un non qui ne vint jamais ; deux larmes esquissèrent le désarroi esseulé d'un être. Car Luke venait de comprendre l'unique point de comparaison qu'il y aurait jamais pour lui, ce que cela impliquait, pour lui.

La solitude…

Après Yoda, Ben et son… père, à peine retrouvé, il venait de perdre irrémédiablement sa sœur.
Et sa peine était un gouffre béant où quatre visages se mêlaient sans cesse, lui renvoyant en un miroir cruel et impitoyable l'abandon auquel il semblait condamné.
Peu lui importait la nature de cette Force, obscure ou non, qu'il avait ressentie. Il pleurait juste sa sœur. Il pleurait juste sa vie toute ponctuée de pertes qu'elle était. A commencer par oncle Owen et sa tante Béru, tués par l'Empire sur Tatooine, et sa mère…

***

Et durant tout ce temps, Athéna à peine remise de sa propre renaissance avait assisté à l'effondrement moral de Luke.

Leia, et tous ses souvenirs, n'avaient pas disparus puisqu'elle ne faisait plus qu'un avec Athéna. Et cette part d'humanité se souvenait fort bien de ce mot de frère, tant de fois donné à Luke. Elle se rappelait même la phrase qu'elle avait prononcée lorsque Luke lui avait révélé ce lien de sang entre eux : " Je l'ai toujours su. ".
Aussi lorsqu'elle avait vu s'écrouler en pleurant, elle avait voulu lui dire que non, il n'était pas seul. Mais pour s'apercevoir juste a temps que dans sa toute puissance elle était même allée jusqu'à lui cacher inconsciemment sa divine intrusion, sa présence.

Luke ne l'avait pas senti effleurer sa peine, non plus que lire ses pensées endeuillées. Pour lui, elle n'était pas là, à ses côtés.

Se dévoiler, même pour lui parler et le réconforter, aurait été lui signifier plus encore le fossé qui les séparait désormais. Elle n'intervint donc pas.
Devoir infliger une telle épreuve a son frère, à la personne qu'elle avait toujours sentie la plus proche d'elle, était dur à assumer.
Elle n'y était pas insensible, bien au contraire vu l'étendue de ses perceptions ! Mais il est nécessaire de pleurer les morts, Luke, pardonne-moi. Aussi le laissa-t-elle se répandre tout son saoul en idées funestes, désolantes autant que libératrices. Lorsque l'épuisement de Luke fut évident, lorsque les larmes eurent drainé toute son énergie, alors Athéna étendit sur lui toute la compassion dont elle était capable. Cette divine commisération se manifesta sous la forme d'un sommeil sans rêves qui vint ainsi soustraire Luke à ses tourments. Et notre jeune déesse sombra avec lui en ce lieu réparateur car elle avait besoin, juste pour cette nuit, de regretter son existence simple de mortelle.

Et tous deux étaient déjà loin lorsque le trio diaphane apparut aux côtés de Luke. La visite fut brève mais leurs trois sourires mélancoliques semblèrent longtemps flotter dans la pièce. Cela faisait dix mois que Luke les guettait toute la journée et dix mois qu'ils veillaient sur son sommeil.

***

" Je suis une Force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! "

Le rythme avait gagné en vigueur. Vif, comme si cela eut pu le protéger de se le répéter inlassablement. Se balançant d'avant en arrière, agenouillé dans la pénombre, il se rattachait à son petit refrain, attendant un signe.
" Je suis une Force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! "

Quand soudain : Icarion, j'ai entendu ta prière. Fais-moi honneur demain, j'ai dit !
-Qu'il en soit fait selon votre volonté, Seigneur,
acquiesça l'homme de l'ombre. A son doigt, le trident de sa chevalière s'embrasa un court instant.
-En cela je te bénis.
-La confiance que vous me témoignez ne sera pas déçue…
assura-t-il en effleurant la ciselure de l'anneau encore chaude du témoignage d'estime fugace mais ô combien précieux du Dieu.
-Elle ne l'a jamais été.

Cela marqua la fin de l'échange. Icarion se tut donc et goûta le silence de la nuit.

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Cette fiction est copyright Millereux Marie-Line.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.