Chapitre 1


Le néant… Mais quelque chose perça sous le néant. Du mouvement. Des cris d'hommes et de femmes. Quelque chose qui bougeait sous moi. De la lumière, là où il y avait eu seulement de l'obscurité. Une lumière rose… Non, blanche. Des voix. Tellement de voix, alors que l'on me soulevait, mais une seule qui m'était familière. Un nom. Tatsumi. Mais cette pensée fut la dernière, pendant que les images et les sons disparaissaient peu à peu, et que tout devint noir à nouveau. Plus tard j'ouvrai mes yeux, seulement pour avoir l'impression de me faire transpercer par des lances de lumières. Je hoquetai et les refermai rapidement pour revenir à la rassurante obscurité. Quelque chose de chaud toucha alors mon visage.

- Daijoka, dit une voix rassurante.

Tout va bien, traduisit mon cerveau. Les mots passèrent dans mon crâne, se reliant avec mes pensées. C'était du Japonais, et je le comprenais… Mais ne devrais-je pas parler Allemand ? Soudain je me rappelai que j'habitais au Japon. J'y vivais depuis un certain temps. Je parlais également plusieurs autres langues… On me les avait appris. J'ouvris à nouveau mes yeux, cette fois plus lentement. Les " lances " diminuèrent peu à peu, dissoutes dans un visage de femme orientale. Les traits doux de son visage étaient entourés par de longs cheveux noirs. Une légère chaleur monta en moi alors que je le remarquai. J'adorai les cheveux longs. J'avais une préférence pour les blondes, mais ce noir me paraissait briller comme de l'onyx. Tout cela était-il réel ou une hallucination ? Je tentai de lever ma main pour toucher les cheveux, mais mon bras refusa de faire autre chose que se plier, envoyant des signaux de douleurs horribles dans mon cerveau.

- Ne bougez pas, s'il vous plaît, jeune homme. Votre bras se rétablit très lentement et vos autres blessures sont encore plus graves.

Des autres blessures… Bien sûr. J'avais perdu le nombre de fois où je m'étais éveillé dans un hôpital après une bataille. Je me rendis alors compte que je ne me souvenais pas de celui-là ; cela devait être pire que d'habitude. Je pris une grande inspiration du masque à oxygène qui couvrait ma bouche et mon nez. Mes poumons me parurent sur le point d'exploser ; ils n'avaient pas du inspirer comme cela depuis… depuis combien de temps ? Des cheveux verts tombèrent sur mon visage, me brouillant l'image de la femme.

- Je suis… dans un hôpital.

Je ne pouvais parler. A peine murmurer. Elle hocha la tête, semblant plutôt soulagée. Je reconnus l'uniforme. L'Hôpital de Recherche de la Fondation Graad. Ils prendraient bien soin de moi.
Je détestais leur nourriture, mais Hyoga, Shiriu et Seiya trouvaient d'habitude le moyen de me ramener des gâteaux. Je tentai de sourire. La nurse se redressa, quittant mon champ de vision.

- Pouvez-vous me dire votre nom ?
- Schon Gruenwald.

Je venais de donner mon nom de naissance; soudain je me rappelai que mon frère, Gustave, s'appelait Ikki à présent. Quant à moi, je ne m'appelai pas Schon, qui voulait dire joli, mais Shun, qui voulait dire scintillant, comme les étoiles. Le visage de la nurse revint vers moi, l'air inquiet.

- Schon quoi ?
- Je suis désolé… Shun… Juste Shun. Je suis l'un des enfants adoptés par Kido.

Je voulais expliquer mais ma voix ne semblait pas vouloir faire plus qu'un " crôa " de crapaud. J'avais l'impression d'être un idiot et me demandais quand les copains allaient arriver pour me remonter le moral. J'étais le petit bébé des chevaliers et j'étais couvé comme c'était pas permis. J'avais besoin d'attention : un câlin, un sourire et une explication.

- Ce n'est pas grave, jeune home. Je pense que vous savez qui vous êtes à présent. Reposez-vous, vous êtes encore très faible.

La voix de la femme montrait une véritable inquiétude. Je clignai des yeux et pensai à ses cheveux. Elle était gentille et jolie. J'aimais cela chez une personne.

- Je me reposerai si vous me dites une chose.
- Très bien, répondit-elle en hochant la tête.

Mon corps était raide et mes muscles criaient même si j'essayais juste de bouger un peu. Je savais que j'avais dormi pour un long bout de temps.

- Combien de temps aies-je été… endormi ?

Sa bouche s'ouvrit légèrement et elle posa sa main sur mon épaule. Mon cœur rata un battement et mon estomac se noua ; je savais qu'elle voulait prévenir un choc.

- Vous avez été dans le coma pendant plus d'un mois, Shun.

Je sentis un étourdissement s'emparer de moi. J'étais trop choqué pour penser pendant un bon moment. Puis je forçai ma tête à regarder des deux côtés et vis les moniteurs, les fils et les tubes, senti un vide dans ma gorge : un tube de perfusion pour me nourrir avait du être là peu de temps auparavant. Pas étonnant que je puisse à peine bouger ! Mes muscles étaient en train de s'atrophier ! Cela prendrait des mois avant que je puisse récupérer ce que j'avais perdu.
Des larmes de frustration perlèrent de mes yeux. J'adorais courir, bouger, jouer… Je tournai ma tête vers l'infirmière.

- Mes frères…

Ses yeux se fermèrent et soudain tout me revint. L'Obscurité. Le Mal. Un dernier cri à mes frères pour leur dire de me tuer avant qu'il ne soit trop tard.

Ils étaient morts pour me détruire.

Ils avaient échoué.

J'étais seul. Ils n'étaient plus là: Pégase, Cygne, Dragon, Athéna et mon frère, Phénix. Ils étaient morts. Je les avais tués. Aucune larme ne vint pourtant. J'avais pleuré pendant trois heures et le staff médical avait peur de devoir me mettre sous sédatifs. De toute façon, je n'avais pas envie de dormir. Pas en les sachant morts. Déshonneur. Je connaissais bien la signification de ce mot. Mes amis, ma famille, étaient morts en essayant de me tuer quand mon âme avait été pervertie par le mal. C'était ironique. J'étais le kamikaze solitaire, qui défiait la mort qu'il attendait pourtant. L'armure d'Andromède représentait le sacrifice, mais je n'avais pas pu me tuer quand le mal avait pris le contrôle de mon cerveau. A la place, c'étaient mes amis qui étaient morts pour me détruire. Leur sacrifice avait été vain et je ne pouvais les rejoindre dans la mort. J'ignorai ma douleur et me mis sur le côté. Mon corps n'était pas aussi endolori que je le croyais, mais je m'en moquais. Je voulais mourir. Je voulais être avec ceux que j'aimais !

- Niisan !!

Je criai pour tenter de parler à mon frère, puis je me retirai sous mes draps. Il était mort. Comment pouvais-je l'avoir trahi ?

- - Niisan !!

Quelque chose me toucha.

- Là, là, tout va bien, Shun. Tatsumi sera là bientôt. Vous n'êtes pas seul.

Mensonges, que des mensonges, ma vie entière était un mensonge ! J'étais seul et j'étais mauvais. J'étais seul dans ce mot avec seulement une sorte de carcasse en guise d'identité. Hadès attendait de reprendre le contrôle et il n'y aurait personne pour l'en empêcher. Je criai à nouveau. Crier m'aidait. Cela envoyait des décharges de douleur dans mon corps, douleur qui faisait remonter dans ma conscience tout le mal que j'avais fait, tout le mal que je referais dès qu'Hadès aurait retrouvé ses forces. Je m'arrêtai, soudainement conscient que j'avais mis le doigt sur quelque chose. Dès qu'Hadès aurait retrouvé ses forces… J'avais retrouvé mes forces avant Hadès.
Même s'il se réveillait maintenant, il mettrait du temps avant que ce corps puisse être éveillé au pouvoir d'un Dieu. Et si je mourrais avant qu'Hadès ne se réveille… Une triste paix s'empara de moi. Oui. J'allais regagner mon honneur et celui de mes frères. J'allais faire seppuku, tuant Hadès et moi en même temps. Mais pas ici. Dans un hôpital, il serait trop facile pour des médecins ou des infirmières de l'empêcher, surtout vu ce que j'étais faible. Hadès mettrait un certain temps à revenir, ce qui me laissait plusieurs jours, voire semaines, devant moi. J'allais attendre d'être fort et le faire comme un véritable Samouraï. Alors le monde serait tranquille et moi libre. Mes pleurs s'espacèrent. Je m'autorisai à me rallonger. J'avais un but et cela me permettait de me reposer. Je fermai les yeux et m'endormis.

- Après quatre mois sans nouvelles, nous avons du vous déclarer morts.

La voix de Tatsumi était étrangement serrée, comme s'il était vraiment touché. Nous étions le lendemain. Je m'étais éveillé et vu Tatsumi assis tranquillement sur une chaise près de mon lit… et le petit Kiki aussi. Voir Kiki me fit un peu mal. Il y avait au moins une personne qui pourrait me manquer quand je mourrai. Mais personne d'autre. Tatsumi me raconta tout ce qui s'était passé, avec quelques curieuses hésitations, qui me faisaient m'interroger sur ses sentiments réels. Nous étions le 18 mars 1990. Cette date me causa un nouveau choc. Presque un an d'écoulé ? Tatsumi avait expliqué que Saori et ses frères étaient décédés dans une explosion qui avait eu lieu près de la Grèce. Je regardai son visage, un visage que je haïssais. Mais à présent je ne pouvais nier ce que j'y voyais. A chaque fois qu'il mentionnait chacun de nos noms, son visage semblait se contracter encore plus. Il avait vraiment tenu à nous. Je revins à la réalité, réalisant qu'il avait changé de sujet.

- Comme le prévoyait le testament de M. Kido, Shun, si quoique ce soit venait à arriver à Mlle Saori, l'entière fortune devait passer à n'importe lequel des orphelins encore en vie.

Son regard tint le mien. Je serrai mon bras encore plus autour de Cygnus II, mon ours en peluche. L'entière fortune de Kido… A MOI ? La Fondation ? Même Tatsumi ? L'homme qui me terrorisait dans mon enfance et qui semblait à présent s'intéresser à moi… Mon employé ?

Shun Kido... Milliardaire?

Je ne pouvais m'y faire. C'était trop. Saori avait toujours été la riche héritière, elle y était habitué. J'étais juste habitué à écouter du rock et à me faire battre par des méchants guerriers. Je déglutis et me demandai ce que mes frères diraient s'ils étaient en vie. Je savais ce que Seiya dirait : il n'en voudrait pas un centime. Il haïssait la Fondation Graad encore plus que Niisan. C'était de l'argent du sang pour lui. Je me demandais si je devais l'accepter ou le rejeter, puis je me souvins : je devais me tuer. L'argent ne comptait guère.

- L'entière fortune ?

Tatsumi hocha la tête. L'employé chauve était toujours imposant, mais pourtant plus du tout effrayant et méchant. Il semblait plus petit, épuisé et hagard. Je vis une larme perler dans le coin de ses yeux ; un nouveau choc pour moi. L'honneur et l'âge de Tatsumi l'obligeraient à mourir plutôt que de montrer une telle émotion. Kiki sourit légèrement, mais parut toujours inquiet et triste. Mais au moins ma chambre d'hôpital ne semblait plus froide ou vide. Il y avait deux personnes là qui s'intéressaient à ce qui m'était arrivé.

- Argent, Actions, Propriétés… Tout est à vous, Shun.

Sa bouche laissa apparaître un très petit sourire et il inclina la tête de son siège.

- J'aurais voulu vous annoncer votre héritage dans de meilleures circonstances.
- Difficile pourtant, fis-je en soupirant. Après tout… Saori aurait du mourir de toute façon …
- Pas tout à fait. Le testament stipulait que tous ceux qui atteignaient leurs 18 ans auraient une partie de la fortune Kido. Vous auriez hérité tous les cinq en temps voulu.

Je ne pouvais pas répondre. Je ne faisais que regarder dans le vague et penser aux autres.

- J'aimerais qu'ils soient là…
- Moi aussi, répondit Tatsumi en inclinant à nouveau sa tête. Un jour… Quand vous serez prêt et pas avant… J'espère que vous me direz comment ils sont morts. Ce qu'il s'est passé aux Enfers. Mais vous n'avez pas besoin de le faire, si vous ne le voulez pas…

Sa voix était basse et pleine de respect, mais je pouvais sentir une profonde tristesse à l'intérieur. Je demandais soudain si Tatsumi avait de la famille. Je sus la réponse immédiatement: il n'avait personne d'autre que nous. Kido avait été son maître, son Seigneur presque, mais Saori avait été sa fille, pratiquement autant que si elle avait été de lui. Ma bouche s'ouvrit pourtant avant que je ne puisse l'arrêter.

- Tatsumi, est-ce que tu tenais vraiment à savoir ce qui nous était arrivés… A part Saori ?

L'expression de son visage était suffisante pour répondre à la question, mais il parla.

- Je ne peux pas vous blâmer pour cette question, pas plus que je ne peux pas vous blâmer si vous ne me croyez pas quand je vous dis que je tenais à vous plus que vous ne pouvez vous l'imaginer.

Je secouai ma tête et tendis la main vers lui. J'étais peut-être Hadès… Mais j'étais le Chevalier Andromède. Je pouvais pardonner.

- Je te crois.

Il prit ma main et la serra avec douleur; je m'en moquais. Tant qu'il ne serait pas temps de mourir, je voulais être moi-même. Mais que dirait Tatsumi quand il découvrirait que je les avais tous tué ?

- Bon, allez, assez des pleurnicheries, ok ? fit Kiki. Nous sommes tous les deux ravis que tu sois vivant. Mieux vaut un que zéro, pas vrai ? Ils voudraient tous que tu t'éclates dans ta nouvelle vie. Zeus est témoin que tu la mérites, non ?

Il essayait, tant bien que mal, de cacher les larmes qui coulaient sur son propre visage. Si seulement Kiki savait. Continuer signifiait ma prochaine mort. Je récupérai ma main et soupirai.

- Alors je dois aussi diriger la compagnie ?
- Quand vous serez assez rétabli, oui. Les règles de la Fondation sont très claires sur ce point - sinon je suis certain que quelques-uns des plus gros actionnaires auraient déjà tenté un coup dans les derniers mois. Je devais avoir le contrôle total pendant une période de deux ans au cas où tous les héritiers étaient morts ou disparus. Si aucun héritier légitime ne se présentait à l'issue de cette période, alors la question se poserait de savoir qui prendrait le contrôle. Une fois que vous serez debout et mieux portant, je vous présenterai Tessa Lafayette, notre directrice financière. Elle a fait du bon boulot jusqu'à présent, mais ce n'est pas assez. Sans un Kido à la tête de la Fondation, la confiance n'a pas été suffisante pour nous maintenir devant la compétition. Certains actionnaires ont pensé vendre leurs parts. Lanier Industries a déjà tenté de nous racheter. J'ai refusé bien sûr. Le vieux Kido n'aurait pas voulu que nous vendions; à tout le moins pas à cause d'une faiblesse et d'un désespoir.

Comme cela tombait bien. Les Chevaliers étaient morts et la Fondation qui les avait créé était en train de mourir. Pourquoi ne voulais-je pas faire de même ? Tout ce que la Fondation avait jamais représenté pour mes frères et moi étaient cruauté et peine, kidnapping et abus. Et je voulais la garder en vie ? Je savais pourquoi. Parce que si elle s'écroulait maintenant, tout le mal qu'elle avait fait ne serait pas vengé. La Fondation Graad, la fortune de Kido… Tout cela pourrait faire tellement de bien, dans les mains d'une de ses anciennes victimes. La Fondation avait été construite sur le sang des Chevaliers. Ce sang ne devait pas être gâché, leur peine oubliée avec des papiers et des banqueroutes.

Avec réticence, je l'admis. Je ne pouvais pas mourir. Pas encore du moins. Il y avait l'honneur personnel des Chevaliers, il est vrai, mais il y avait également la dette d'honneur que nous avions envers les quatre-vingt quinze autres orphelins, garçons et filles que le vieux Kido et la Fondation avaient brutalisé et conduit soit à la mort, soit à la Chevalerie ; ce qui pouvait revenir au même. La Fondation qui avait détruit leurs familles vivrait pour être leur monument. Par Shiva, quelles responsabilités pour un gamin de douze ans !

- Très bien Tatsumi. Je promets que la Fondation vivra, si tant est que mes actes permettent cela. Mais je veux tout savoir, tous les secrets sur la Fondation, sur le vieux Kido et sur les Chevaliers.
- Bien sûr, Maître Shun, répondit-il en hochant lentement la tête. Les fichiers de la Fondation seront à votre disposition. Je préférerais que vous les lisiez plutôt que de me poser des questions, du moins dans un premier temps. Une fois que vous aurez lu et compris ce qu'il y a là-dedans, je répondrai à toutes les questions qu'il vous restera.

Il hésita, puis continua.

- Vous allez apprendre tout ce que vous voulez savoir… Et probablement des choses dont vous souhaiterez n'avoir jamais entendu parler. Mais il vous faut les apprendre.

Il sourit à nouveau, tristement.

- Je suis content que vous nous soyez revenu, Maître Shun.
- Merci.

Je m'adossai sur mon oreiller et fermai les yeux. J'avais de nouveau un futur… pour un petit laps de temps.

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