Chapitre 2 : Sur le Sentier de la Guerre


Depuis des temps immémoriaux, la Terre était placée sous la protection de Zeus. Il en avait été décidé ainsi à la mort de Telliaan, quand la portion de la galaxie soumise à l'autorité d'Hermès avait été équitablement partagée entre ses trois seuls généraux qui avaient survécu. Zeus avait son royaume, Hadès et Poséidon le leur. Zeus avait efficacement protégé la Terre pendant près de trois cent mille ans, avant de déléguer cette tâche à sa fille Athéna. Celle-ci avait immédiatement pris les choses en main, et comme de temps en temps naissaient des frictions entre les différents monarques, elle s'était entourée d'une garde fidèle de chevaliers qui étaient formés en Grèce, au lieu appelé le Sanctuaire.

Mais, heureusement ou malheureusement, les derniers conflits menaçant la Terre avaient eu lieu dix mille ans auparavant, à la fin du deuxième millénaire de l'ère chrétienne, et la paix avait fait oublier aux chevaliers le temps où leur rôle était de servir. Les chevaliers d'or étaient devenus de vrais potentats locaux, et ils cultivaient avec arrogance leurs prérogatives. La plupart étaient entourés de conseillers qui géraient pour eux d'imposants avoirs financiers, ce qui leur assurait une vie aisée, et les douze maisons du zodiaque avaient été désertées au profit de luxueuses villas au bord de mer.

Athéna elle même n'avait pas échappé au phénomène, et elle délaissait ses fonctions pour profiter de son aisance en compagnie de Seiya, devenu entre-temps son mari.

Tout cela attristait un peu Shiryu, même si son service auprès d'Athéna était terminé depuis la fin des guerres contre Hadès. Comme Ikki, Saga, Ayoros, Shakka et Shura, il avait changé d'employeur lorsqu'Athéna s'était détournée de ses chevaliers les plus fidèles, et avait rejoint les anciens guerriers divins Bud et Siegfried au service direct d'Hermès. Celui-ci leur avait fait don de l'immortalité, celle que même le Big Will ne pouvait leur offrir, ainsi qu'à leurs compagnes s'ils en avaient, en échange de leur allégeance. Jamais Shiryu n'avait regretté d'avoir accepté l'offre, et au fil du temps lui et Hermès étaient devenus de véritables amis. Il avait accès à toutes les résidences de son maître, et disposait d'une fortune personnelle qui lui permettait de vivre aisément sans travailler. Damon lui avait enseigné toutes les techniques de combat les plus efficaces, avait formé avec lui, Ikki, Bud et Siegfried une garde personnelle d'une puissance incomparable. Les quatre hommes formaient l'ordre des Elémentaux, quatre guerriers qui tiraient leur pouvoir des quatre formes principales dans lesquelles l'énergie s'était matérialisée : l'air (ou le gaz), l'eau, le feu et la terre.

Depuis le temps où ils étaient au service d'Athéna, les anciens chevaliers avaient évolué. Leur musculature s'était étoffée. Finie leur frêle stature de jeunes garçons. Ils étaient plus rapides, aussi. Parfois Shiryu se disait qu'il était deux ou trois fois plus rapide que quand il avait abandonné l'armure divine. Damon leur avait en outre offert de nouvelles armures, bien plus résistantes que leurs précédentes. Sauf qu'on ne pouvait plus vraiment parler d'armures. C'étaient plutôt des carapaces vivantes. Dans les bandes dessinées de science-fiction du vingtième siècle, on appelait ça des symbiotes. Il ne pouvait jamais se débarrasser du sien, même quand il n'était pas déployé, mais il ne s'activait que quand son hôte le désirait ou que quand il sentait lui-même un danger. Dans un sens, il n'avait plus à promener ces énormes boîtes encombrantes et lourdes. C'était toujours ça de gagné.

Cela faisait plus de dix mille ans qu'il était marié avec Erin, et ils envisageaient de plus en plus de faire un enfant. Ils s'aimaient toujours comme au premier jour, Etain et Oisin, qui selon le vœu de leur mère avaient été rendus immortels, vivaient leur propre vie, tout en leur rendant souvent visite. Mais dix mille ans pour une femme qui avait déjà enfanté, c'était long, et Erin désirait ardemment lui donner un autre fils.

Mais il craignait de n'avoir jamais le temps de s'occuper d'un enfant. En tant qu'Elémental, il se devait de suivre Damon à chacun de ses déplacements, et cela impliquait parfois de longs voyages d'un mois à une vitesse largement supérieure à celle de la lumière dans le croiseur privé qui leur servait de moyen de transport. Damon lui aurait sans aucun doute accordé un congé pour lui permettre de prendre soin d'un enfant, mais au fond de lui-même il n'avait pas trop envie de demander. Les choses évolueraient certainement, et il préférait attendre encore un peu. Qu'étaient quelques décennies après dix mille ans de mariage?

Il en était là de ses réflexions quand la porte de la maison qu'ils avaient fait construire dans la campagne irlandaise s'ouvrit violemment. En un éclair, il fut prêt au combat. Mais il se détendit bien vite.

- Shiryu, on a l'ordre de se rendre immédiatement au Sanctuaire.

C'était Ikki, bien entendu. Jamais en dix mille ans il n'avait fait preuve de courtoisie, et quelque chose disait à Shiryu que jamais il ne se comporterait ainsi. Dans un sens, il appréciait ce fait. Le problème de l'immortalité, c'était que tout changeait autour de soi, et le caractère d'Ikki était comme une sorte de point de repère pour Shiryu qui parfois se sentait perdu.

Il ne laissa toutefois pas passer l'occasion de sermonner son ami.

- Quand vas-tu te décider à frapper aux portes, mon vieux? J'aurais pu être dans une position délicate.

- J'en ai vu d'autres, et tu le sais.

L'Elémental du Feu souriait. Et il n'affichait ce genre de sourire que quand une bataille s'annonçait. Il était né pour se battre, et on pouvait dire qu'il avait parfaitement accompli sa destinée. Aucune des grandes guerres que Hermès avait menées partout dans la galaxie ne l'avait satisfait, et il en redemandait toujours. Shiryu avait cru que sa liaison avec Tara le calmerait, mais il savait qu'on ne peut jamais apprivoiser un prédateur, et c'était cela qu'Ikki avait toujours été: un prédateur.

- Pourquoi diable au Sanctuaire? Damon n'a jamais fait appel à Saori jusque maintenant…

- Ce n'est certainement pas pour lui demander son aide, répondit Ikki avec une moue de mépris.

Les Chevaliers d'Athéna n'auraient jamais pu venir à bout des guerriers que les Elémentaux avaient affrontés depuis dix mille ans, et Damon n'avait pas l'habitude de faire appel à ses meilleurs hommes pour du menu fretin. Ikki se considérait toujours supérieur à tout le monde, même à Athéna qu'il avait servie pendant plus de dix ans, mais il se sentait comme un enfant face à leur nouveau maître. En lui était né quelque chose qu'il n'avait jamais éprouvé pour personne, tant son esprit cherchait toujours la moindre chose à critiquer: le respect. Shiryu et lui se rejoignaient là-dessus, et c'était un trait d'union de plus qui cimentait leur amitié.

- Tu dois partir, j'imagine…

La voix venait de derrière Ikki. Erin s'avança vers son mari. Son intervention troubla le Seigneur du Feu, qui, s'il ne le laissa pas voir, sortit de la pièce en lançant d'un ton sarcastique:

- Je t'attends dehors, mon chéri.

Shiryu sourit à cette boutade et reporta son attention sur celle qui partageait sa vie. Jamais depuis qu'il l'avait épousée, il ne s'était lassé de l'admirer. Ses yeux lui donnaient immanquablement le vertige, et son corps faisait monter en lui des envies qu'il ne réprimait qu'avec peine. Elle lui avait fait l'amour ce matin, lentement, avec une tendresse qui l'avait ému, comme si elle savait qu'il allait devoir la laisser.

- Bon sang, pourquoi faut-il que tu sois si fort que je n'aie pas le droit de te suivre, lui lança-t-elle avec un regard où se mêlaient beaucoup de malice et un soupçon de tristesse. Non, se dit Shiryu, il y a autre chose. Mais il savait ce que c'était: de l'envie. Erin était une guerrière, et combattre aux côtés du maître était un honneur que tout guerrier savait apprécier.

- Jamais Damon ne te laisserait faire, de toute façon, il sait combien tu comptes pour moi…

- Je suis capable de me défendre, tu sais.

- Quand nous nous sommes connus, tu n'as pas pu me battre. Je suis passé à un autre niveau maintenant. Ceux que nous combattons sont tellement puissants qu'ils pourraient détruire une planète. Que ferais-tu contre eux?

Voilà que Ikki déteignait sur lui avec son attitude condescendante. Il s'approcha de sa femme et la serra contre lui.

- Pardon, mon amour, mais je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose.

- Je sais, dit-elle en levant les yeux vers son visage. Elle souriait. Tu marches toujours, n'est-ce pas?

Elle posa ses lèvres sur les siennes, et de sa langue, se fraya un passage. Shiryu répondit à son baiser. Elle sentait son pénis durcir contre son corps à elle, mais ce n'était pas le moment de répondre à cette envie. Quand le maître appelle, on accourt, pensa-t-elle sans ironie. Ils avaient accepté ce fait en devenant des immortels, et ils avaient toujours été habitués à servir, que ce soit avec Athéna ou le petit monde d'Avalon.

Elle se dégagea, et posa un baiser sur la joue de Shiryu.

- Va, mon amour, et reviens-moi sain et sauf, lui dit-elle en effleurant de la main la bosse que son érection formait sur le devant son pantalon. Et garde ça au chaud.

Elle éclata d'un rire clair et disparut dans le salon.

Shiryu aimait ce rire, et il aimait la façon qu'elle avait de prendre les choses à la légère. Tout le contraire de lui, il avait plutôt tendance à s'appesantir sur les événements. Mais le caractère enjoué d'Erin lui permettait de partir le cœur léger, et d'éviter les adieux déchirants.

Ikki était assis dans l'herbe, dont il mâchonnait rêveusement un brin. Il se tourna vers Shiryu dès qu'il l'entendit refermer la porte de chêne.

- Y a rien à faire, cet endroit ma rappelle toujours des souvenirs.

Shiryu éclata de rire.

- Allons bon, voilà que tu tournes au romantique. Décidément Tara finira presque par te civiliser.

Le visage d'Ikki reprit aussitôt son air fermé. Ces instants où il se laissait aller à rêvasser, ce qu'il considérait comme une faiblesse, étaient rares chez lui, et ne duraient jamais bien longtemps.

- J'ai eu un pressentiment. Ce qui nous attend va être sérieux, cette fois.

Puis, changeant de sujet, il lança, de son ton le plus sarcastique:

- On va revoir Seiya.

Shiryu haussa les épaules.

- Il fallait bien que ça arrive.

Cela clôturait la conversation. Les deux hommes posèrent l'index de la main droite sur leur front, et leur visages se fermèrent sous l'effet de la concentration. Leurs corps commencèrent à perdre de leur substance, devenant de plus en plus transparents.

Peu après, il ne restait rien d'eux sous le soleil estival qui baignait la petite île d'Avalon.

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.